Biens immobiliers algériens expropriés à Rabat: la réaction survoltée, et infondée, du voisin

Le siège de l'ambassade d'Algérie à Rabat.

Le siège de l'ambassade d'Algérie à Rabat.

Réagissant, avec son hystérie habituelle, à la décision des autorités marocaines de lancer une procédure d’expropriation de trois biens immobiliers algériens à Rabat, pour les besoins d’extension des locaux du ministère marocain des Affaires étrangères, la diplomatie du pays voisin dénonce une «confiscation», «contraire au droit international» et une «escalade» méritant des «représailles». C’est tout simplement faux. Et voici, calmement, ce qu’il en est réellement.

Le 18/03/2024 à 15h04

Si le ministère algérien des Affaires étrangères maîtrise un tant soit peu les bases des relations diplomatiques, sa réaction est pour le moins grave. S’il n’en sait finalement rien, et qu’il se contente de faire feu de tout bois uniquement pour prouver qu’il existe, elle est dramatique. À la lecture du communiqué incendiaire du département d’Ahmed Attaf, relatif à la procédure d’expropriation lancée par les autorités marocaines, notamment sur trois propriétés immobilières algériennes à Rabat, c’est plutôt la deuxième piste qui l’emporte.

Tout a commencé le 13 mars, quand un projet de décret portant expropriation, entre autres, de biens détenus par la République algérienne a été publié dans l’édition consacrée aux annonces légales, judiciaires et administratives du Bulletin officiel de ce jour. Dans ce projet de décret, il est clairement spécifié que, pour des raisons d’extension des locaux administratifs du ministère des Affaires étrangères, il a été décidé de lancer une procédure d’expropriation des terrains nécessaires pour la construction de ces nouvelles dépendances. Celle-ci est justifiée par «l’utilité publique», conformément à la loi n° 81-7 du 16 avril 1982.

Sont concernés des biens immobiliers appartenant à des citoyens marocains, composés de trois grands lots (trois villas d’une superficie respective de 1.149 m², 547 m² et 542 m²), mais aussi trois propriétés appartenant à l’État algérien. Dans le détail, il s’agit d’un terrain de 619 m², dit «Kabalia», un autre bien dénommé «Zanzi», d’une superficie de 630 m² et constitué d’une résidence sur deux étages, avec des bureaux au rez-de-chaussée, ainsi qu’une villa dénommée «Villa du Soleil levant», d’une superficie de 491 m².

L’exécution des termes du décret a été confiée au ministère de l’Économie et des Finances et au directeur des Domaines de l’État. Le texte en question précise que, durant deux mois, à compter de sa publication au Bulletin officiel, un dossier sera ouvert auprès des autorités compétentes et un registre sera mis en place pour recevoir les oppositions, les observations et les déclarations des personnes physiques ou morales concernées. Le registre en question est mis à la disposition du public pour consultation au niveau de la commune de Rabat, durant les heures d’ouverture des administrations, est-il précisé.

Justifiée, on ne peut plus légale et offrant des voies de recours, la procédure, strictement administrative, est limpide, pour ne pas dire banale. Mais c’est compter sans l’imagination fertile du régime algérien, qui a le don de voir de l’hostilité partout, et sa promptitude à sortir les griffes pour un oui ou pour un non. Dans un communiqué au ton martial, le ministère algérien des Affaires étrangères parle de «prémices de confiscation de l’ambassade d’Algérie au Maroc». Ce qui est d’abord faux, nous y reviendrons.

Le généralement mou Ahmed Attaf voit aussi dans la procédure une «nouvelle phase escalatoire dans ses comportements provocateurs à l’égard de l’Algérie». La bête est lâchée et au MAE du voisin de condamner «dans les termes les plus énergiques» cette «opération de spoliation caractérisée», de dénoncer «avec force» son illégalité et son incompatibilité avec «les devoirs qu’assume tout État membre de la communauté internationale avec rigueur et responsabilité», promettant que l’Algérie «répondra à ces provocations par tous les moyens qu’elle jugera appropriés».

Mieux, l’Algérie aura recours à toutes les voies et à tous les moyens de droit disponibles, «notamment dans le cadre des Nations unies, pour assurer le respect de ses intérêts». Il est vrai que saisir l’ONU pour trois petits bouts de terrain est une réplique parfaitement calibrée. Rempart indestructible des droits, Alger entend ainsi taper très haut contre «une violation inqualifiable du respect et du devoir de protection à l’égard des représentations diplomatiques d’États souverains que sanctuarisent tant le droit que la coutume internationale». Pour l’Algérie, la démarche des autorités marocaines s’inscrit «en contravention avec les pratiques internationales civilisées» et «déroge gravement aux obligations de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques qui lui imposent de respecter et de protéger les Ambassades sur son territoire, quelles que soient les circonstances».

Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose…

On aura eu du mal à ne pas le saisir, les accusations sont graves et nombreuses, les références au droit international donnent le tournis et les menaces de représailles provoquent des frissons. Mais là encore, si la forme y est, dans le fond, le communiqué n’est rien d’autre qu’un amas de contrevérités et d’inexactitudes et une autre preuve d’une réaction compulsive qui sert de politique d’État.

Il y a d’abord un grossier mensonge. Le ministère algérien des Affaires étrangères parle de «confiscation du siège de l’ambassade d’Algérie au Maroc». Or, les biens qui sont en voie d’expropriation par l’autorité publique marocaine à Rabat n’appartiennent pas à l’ambassade d’Algérie. Le siège de celle-ci à Rabat n’est même plus au quartier Hassan, à côté du siège du ministère des Affaires étrangères, mais sur la route des Zaërs, précisément sur l’avenue Mohammed VI, pas loin du célèbre Méga Mall. Mais le régime n’est pas à une calomnie près.

«Les trois propriétés que le Maroc exproprie à l’État algérien (et non à l’ambassade d’Algérie) sont d’une superficie totale de 1.740 m². Dans toute procédure d’expropriation, il existe des voies judiciaires et légales pour contester et protester devant la justice pour obtenir réparation», précise cette source informée.

Il y a mieux, et c’est l’avocat et expert en droit international Mourad Elajouti qui nous éclaire sur le sujet. «Le droit d’expropriation est reconnu dans l’ordre juridique international, quels que soient les droits patrimoniaux en cause ou la nationalité de leur titulaire», assure le juriste. Et de détailler: «La Charte des droits et des devoirs économiques des États, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 12 décembre 1974, confirme le droit souverain d’un État en matière d’expropriation et spécifie que chaque État a le droit de nationaliser, d’exproprier, ou de transférer la propriété des biens étrangers, auquel cas il devrait verser une indemnité adéquate, compte tenu de ses lois et règlements et de toutes les circonstances qu’il juge pertinentes».

Pour maitre Elajouti, et selon ce principe, on ne peut parler de «confiscation», puisqu’au regard du droit international, celle-ci est définie comme une expropriation sans paiement d’une indemnité. Il n’en est évidemment rien dans le cas d’espèce.

S’y ajoute le fait que la rupture unilatérale des relations diplomatiques avec le Maroc par l’Algérie en août 2021 met de facto fin à tout discours sur l’existence d’une relation diplomatique entre les deux pays. Et jusqu’à preuve du contraire, il n’y a donc pas lieu de parler d’«ambassade».

Le ministère algérien dénonce également un comportement contraire à «la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques». Or, cette convention porte sur l’ambassade et les établissements consulaires. Les biens en voie d’expropriation ne sont des dépendances ni de l’ambassade, ni du consulat algérien.

Et même si tel était le cas, les allégations algériennes sont indéfendables. «Tous les biens diplomatiques et consulaires d’un État au sein d’un autre État ne sont pas nécessairement couverts par les exigences de la Convention de Vienne, mais certains d’entre eux relèvent plutôt de la juridiction des États membres, y compris le pouvoir de mettre en œuvre les exigences du droit administratif encadrant les nécessités d’expropriation pour cause d’utilité publique», explique Abdelfettah Naoum, professeur en relations internationales.

Là où la réaction algérienne est, disons-le, sacrément culottée, c’est quand son ministre des Affaires étrangères mentionne une «provocation» et une «nouvelle phase escalatoire marocaine». Quand on sait qu’Alger vient tout récemment d’ouvrir son chéquier et une représentation, dans les quartiers coloniaux de la capitale, à un obscur Parti national du Rif, il y a comme un sérieux souci de légitimité. Quand on ajoute que ce quintette a appelé depuis Alger à s’armer pour soi-disant libérer le Rif, le régime du voisin oriental devient un refuge pour le terrorisme international comme l’en a très justement accusé le gouvernement malien. Cet appel aux armes contre les Marocains depuis Alger ne restera pas de toute façon sans suite.

Ne rappelons même pas l’unique dossier du régime d’Alger consistant à biberonner un Front Polisario depuis 1975. Un acte d’amitié et de cordialité?

En une phrase comme en mille, le Maroc est un État souverain et il dispose d’une loi qui réglemente le processus d’expropriation sur tout le territoire national. Demander l’autorisation de l’Algérie pour procéder de la sorte… il ne manquerait vraiment plus que cela.

Par Tarik Qattab
Le 18/03/2024 à 15h04