Lundi 30 janvier 2023, le président algérien Tebboune a réuni de nouveau le Haut conseil de sécurité (HCS), qu’il préside, en présence du chef de l’état-major de l’armée, le général Saïd Chengriha.
Le communiqué officiel ne donne aucune précision sur l’ordre du jour de ce rendez-vous. Mais ce qu’il faut relever; c’est qu’il s’apparentait plutôt a un «conseil de guerre». À preuve, les gradés étaient majoritaires, à l’exception de Tebboune et son directeur de cabinet. De plus, tous les dirigeants sécuritaires et militaires étaient présents (gendarmerie nationale, DGSN, DGSI, DGSE, DGSA...). Membres de droit, étaient pourtant absents le Premier ministre, ainsi que les ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur.
Créé en 1976 par la Constitution, ce HCS compte aujourd’hui 14 membres. Aux termes de l’article 173 de la Constitution, c’est une instance consultative «chargée de donner au Président de la République des avis sur toutes les questions relatives à la sécurité nationale».
Ce qui frappe dans la pratique institutionnelle de ces dernières années, c’est la fréquence de ses réunions: une bonne vingtaine depuis deux ans. Y figurent, par ailleurs, des questions touchant peu à la «sécurité nationale», mais à plusieurs reprises celles relatives aux élections locales et parlementaires.
Un périmètre passablement élargi pour une institution de cette nature. Cela tient sans doute à autre chose: la mainmise des généraux sur le pouvoir. Telle a été structurellement la marque du régime d’Alger depuis l’indépendance en 1962, six décennies donc.
Autour de cette colonne dorsale qu’était l’armée, il y a eu des variantes, comme celles du président Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992 –il n’a eu un mandat de six mois à peine- ou encore du président Bouteflika, lequel avait su imposer son autorité à l’armée...
Avec son successeur, Abdelmajid Tebboun, les termes de référence sont quelque peu différents: il n’a pas un passé de militant ni de combattant dans l′ALN; il a été adoubé par les généraux, qui lui ont permis d’accéder à la tête de l’Etat en décembre 2019; sa légitimité est donc sujette à caution, d’autant plus qu’il n’a obtenu que 58,15% des voix devant quatre autre candidats, à savoir Abdelkader Bengrina (17,37%), Ali Benflis (10,55%), Azzedine Mihoubi (7,28%) et Abdelaziz Belaid (6,67%).
Un scrutin de faible participation électorale aussi -à peine 40%- qui voit Tebboune élu, mais mal élu, avec seulement 20% du total de 24.464.161 électeurs inscrits.
Le régime algérien présente aujourd’hui ce trait hybride: d’un côté, les institutions (gouvernement, Parlement), et de l’autre, le pouvoir réel entre les mains de l’armée et dont le cadre et le pivot sont... le HCS.
Dans cette même ligne, comment ne pas faire référence à une nouvelle mission confiée à l’armée, celle de son déploiement en dehors des frontières? La nouvelle Constitution de novembre 2019 a en effet prévu et, donc, consacré aux termes de son article 91 que le président, «Chef suprême des forces armées de la République» et «responsable de la défense nationale», «décide de l’envoi des unités de l’Armée nationale populaire à l’étranger». Cette décision est subordonnée à l’approbation de la majorité des deux tiers du Parlement.
La loi suprême ajoute que «l’Algérie peut, dans le cadre des Nations-Unies, de l’Union africaine et de la Ligue des Etats arabes, et dans le respect de leurs principes et objectifs, participer au maintien de la paix».
Pour l’histoire, il vaut de rappeler que l’ANP algérienne était déjà intervenue à l’international, en juin 1967 et en octobre 1973, lors des deux guerres israélo-arabes, même si ses contingents étaient arrivés sur place au lendemain des cessez-le feu... Mais dans deux autres situations, en janvier et en février 1976 (Amgala I et Amgala II), il y a eu une intervention patentée de l’ANP. Une colonne de militaires algériens a été défaite: 101 d’entre eux ont été faits prisonniers -dont un lieutenant, Saïd Chengriha! Ils ont tous été échangés six mois plus tard.
Alger a expliqué que la colonne en marche des militaires accomplissait une «mission humanitaire» en apportant vivres et médicaments aux Sahraouis.
Depuis, Saïd Chengriha porte cette marque viscérale à l’endroit du Maroc qu’il a qualifié en 2016 d’«ennemi traditionnel».
Un autre militaire s’était lui aussi distingué à Amgala, à savoir Ahmed Gaïd Salah, chef du secteur opérationnel centre de la 3ème région militaire, frontalière avec le Sahara marocain. Lui, il a abandonné toute son unité -un commandant fuyard... Le président Boumediène a piqué une colère noire contre lui: «Va refaire tes classes!», selon les propos rapportés par le général Khaled Nezzar.
Les deux militaires ont été alors mutés et chargés de la formation des officiers de réserve à Blida...
Cela dit, l’hypothèse d’une intervention légale et constitutionnelle de l’armée d’Alger au dehors est de plus en plus à l’ordre du jour. Elle se vérifie avec un budget militaire de 23 milliards de dollars en 2023 contre 9 milliards en 2022 et un même palier lors des années précédentes. Elle vise l’envoi de troupes au Mali, au Niger et au Burkina Faso, et plus globalement dans le Sahel. Un point qui a été étudié avec Paris lors de la visite de Saïd Chengriha à Paris, voici une dizaine de jours seulement.
Pourquoi? Parce que la France a perdu pied dans cette région dans des conditions peu glorieuses.
Reste la confictualité avec le Maroc. La tension est forte; elle s’est aggravée. Les généraux ont en tête une approche, celle de pousser le mouvement séparatiste à multiplier les actions dans la zone hors-mur sous le contrôle de la Minurso.
Depuis novembre 2020, il a ainsi été annoncé le non-respect du cessez-le et le refus du processus onusien consacré par le Conseil de sécurité. Une option de conflictualité finale entre Alger et Rabat au travers d’une sous-traitance du Polisario.
De quoi faire basculer les généraux dans la co-belligérance de fait. Une épure aux conséquences pas maîtrisables, porteuse de tous les dangers pour une junte boutefeue...