Al Hoceima: les raisons du mécontentement de Mohammed VI

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Le ton du communiqué de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie est d’une fermeté inédite à l’égard des ministres. Décryptage des raisons qui expliquent la déception et le mécontentement de Mohammed VI à l’égard des ministres et des partis politiques.

Le 26/06/2017 à 17h13

Au premier Conseil des ministres du gouvernement El Othmani, l’Exécutif se fait sévèrement tirer les oreilles. Les termes du communiqué de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie, dont la lecture a été donnée hier par Abdelhak Lamrini, porte-parole du Palais royal, sont d’une fermeté peu habituelle à l’adresse des membres du gouvernement. Ce communiqué hiérarchise d’emblée les sujets de l’ordre du jour, en plaçant Al Hoceima en tête des préoccupations du souverain.

«Au début des travaux de ce Conseil, Sa Majesté le Roi a fait part au gouvernement et aux ministres concernés par le programme Al-Hoceima Manarat Al Moutawassit, en particulier, de sa déception, de son mécontentement et de sa préoccupation au sujet de la non-réalisation dans les délais impartis des projets prévus dans le cadre de ce grand programme de développement dont la signature s’est déroulée sous la présidence effective du Souverain en octobre 2015 à Tétouan», précise en effet le communiqué.

Cela ressemble sinon à un blâme du moins à un sévère recadrage. Les ministres sont sommés d’assumer leurs responsabilités. Bien avant les manifestations d’Al Hoceima et le décès accidentel de Mohcine Fikri, un programme de développement de la ville a été signé en 2015 devant le roi. Ce programme n’a pas été réalisé. Nombre de ministres aiment vraisemblablement présenter des projets au souverain, sous les feux des projecteurs et devant les caméras de télévision, mais passée la phase inaugurale pompeuse, ils n’assurent pas le suivi des projets et font visiblement preuve d’un manque de rigueur criant dans le montage des projets. En atteste cette injonction du chef de l’Etat: «ne présenter devant Sa Majesté que les projets et les conventions qui répondent à tous les critères de réalisation, que ce soit pour le règlement de l’assiette foncière, le financement, ou la réalisation des études, afin que le lancement effectif des travaux se fasse dans un délai raisonnable».

Comment ne pas comprendre l’agacement du roi devant des ministres qui annoncent des projets qu’ils ne réalisent pas? Des ministres qui disent et ne font pas. Des ministres qui invoquent mille et un expédients pour justifier les retards et les freins qui obstruent l’aboutissement des projets dans les délais initialement annoncés. Comme si une étude préalable et sérieuse n’était pas de nature à anticiper les différentes entraves et à épargner au souverain d’avoir affaire à un Exécutif qui exécute mal.

Tout le monde garde à l’esprit l’annulation par Mohammed VI du lancement à Rabat, en mars 2015, d’un programme national destiné à la réhabilitation des marchands ambulants, bâclé par Moulay Hafid Elalamy, alors ministre de l’Industrie et du Commerce, et Mohamed Hassad (ministre de l’Intérieur à l’époque). Devant une assistance conviée au coup d’envoi royal, Mohamed Hassad monte à la tribune et prononce ce qui suit: «Sa Majesté a appelé le ministre de l'Intérieur et le ministre de l'Industrie et du commerce il y a quelques instants. Le souverain a exprimé son mécontentement vis-à-vis du projet qui lui a été soumis concernant la réhabilitation des marchands ambulants. Il l’a jugé largement en dessous de ses attentes et a donné ses hautes instructions pour le réviser de manière à ce qu'il soit conforme à ses instructions, et en vue de le hisser au niveau requis».

L’un des projets emblématiques des effets d’annonce et des retards dans la réalisation des programmes à Al Hoceima est la voie express Taza-Al Hoceima, censée désenclaver la région et accélérer le développement de la ville rifaine. La convention de ce projet a été signée en 2010 et l’achèvement des travaux annoncé pour octobre 2017... Cela c’est l’annonce, mais dans les faits, il faudra attendre encore deux ans avant d’espérer de voir cet axe vital achevé.

Le communiqué de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie exprime désormais zéro tolérance à l’égard des projets non finalisés comme en témoigne ce passage: «Sa Majesté le Roi a donné Ses Hautes instructions aux ministres de l’Intérieur et des Finances afin que l’inspection générale de l’administration territoriale au ministère de l’Intérieur et l’Inspection générale des Finances mènent les enquêtes et les investigations nécessaires sur la non-réalisation des projets programmés, déterminer les responsabilités et soumettre un rapport en la matière dans les plus brefs délais».

Il y aura donc une suite et peut-être des sanctions à l’égard des porteurs de projets non réalisés. De toute façon, le roi a signifié clairement aux membres de l’Exécutif qu’ils ont raté leur examen d’entrée. Il leur reste une session de rattrapage pour assumer leur responsabilité et appliquer les programmes annoncés par leurs départements respectifs. A l’exception des départements qui se sont impliqués dans la gestion de la crise à Al Hoceima (en particulier les sécuritaires, l’Intérieur et les Affaires étrangères), tous les ministères en charge du développement humain et social ont été absents à Al Hoceima et sont concernés par la réprimande royale.

Les partis politiques en crise

Dans un passage du communiqué de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie, il est écrit: «le Roi a aussi mis l’accent sur la nécessité d’éviter la politisation des projets sociaux et de développement réalisés ou leur exploitation à des fins étroites». L’allusion aux partis politiques est on ne peut plus claire. Outre l’exploitation et la récupération des projets à des fins partisanes, les partis politiques marocains ont été mis à nu par les manifestations à Al Hoceima. Aucun parti ne sort grandi de cette crise. Tous ont montré leurs limites, leur manque de rigueur, la carence de l’encadrement et un schisme avec les préoccupations des citoyens. Les manifestations à Al Hoceima ont permis de voir des positions distinctes entre les directions des partis et leurs antennes locales. Tandis que la centrale condamnait, la section locale soutenait, et réciproquement. Cette cacophonie dans la posture dénote un manque de cohérence dans les partis politiques qui se sont illustrés par tant d’improvisation et un manque de rigueur dans la gestion des manifestations d’Al Hoceima.

Sans tenir compte des partis politiques, il reste maintenant à savoir si les ministres vont réussir leur session de rattrapage et regagner le temps perdu en se montrant davantage pragmatiques et efficaces. Autrement, tous les scénarios sont possibles pour éviter un remake des manifestations à Al Hoceima.

Par Aziz Bada
Le 26/06/2017 à 17h13