Porté disparu depuis six jours, plus précisément dès son arrivée à l’aéroport d’Alger, samedi 16 novembre, Boualem Sansal serait détenu par les services de sécurité algériens et risquerait la prison. L’information, relayée par plusieurs médias français et par Le360, a été confirmée par plusieurs sources. «On pensait que son téléphone portable avait été confisqué par les autorités à son arrivée à l’aéroport d’Alger, explique au quotidien français Le Monde son ami Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger (2008-2012, 2017-2020). Mais il ne répondait pas à ses e-mails, ni à son WhatsApp, ni à son fixe chez lui».
Le romancier et essayiste, qui réside entre la France et l’Algérie, serait détenu depuis six jours et accusé d’«intelligence avec l’ennemi», rapporte le quotidien français Le Figaro. Mais de quel ennemi s’agit-il, et pour quelle raison précise?
Le Maroc et son Sahara derrière l’emprisonnement de Boualam Sansal?
Deux ennemis sont tout désignés: assurément la France, mais aussi le Maroc, deux pays que le régime au pouvoir redoute autant qu’il les hait. De la France, Boualem Sansal a obtenu la nationalité, naturalisé par le président Emmanuel Macron en personne en 2024, année qui a été marquée par le gel des relations entre la France et l’Algérie et le rappel par l’Algérie de son ambassadeur à Paris à l’annonce de l’intention d’Emmanuel Macron de reconnaître la marocanité du Sahara. Une thèse confirmée par Xavier Driencourt, qui voit dans l’arrestation de Boualem Sansal une façon, pour Alger, de «tester la France».
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La thèse formulée par Le360, dans un article publié le 21 novembre, et depuis reprise par plusieurs médias français, selon laquelle Boualem Sansal aurait été arrêté en raison de propos tenus sur le Maroc lors de son interview sur le plateau de l’émission «Frontières», semble désormais se confirmer.
Dans cet entretien, dont le contenu a été relayé dans un article le 6 octobre dernier par Le360, Boualem Sansal rappelle que «le Maroc (…) est le pays le plus ancien dans le monde, (que) c’est un vieil État qui a toujours été très puissant, qui a colonisé toute l’Afrique du Nord, quasiment jusqu’à l’Égypte, qui a colonisé l’Espagne. C’est un empire très puissant qui s’est étendu jusqu’au Sénégal». Un rappel historique qui n’a sans doute pas été du goût du régime d’Alger, d’autant que l’écrivain n’allait pas s’arrêter là, bien déterminé à rétablir la vérité historique que le pouvoir en place se plaît à réécrire à sa guise. Ainsi, l’écrivain enfonce-t-il encore un peu plus le clou en expliquant que si la France n’a pas colonisé le Maroc, c’est «parce que c’est un grand État». En effet, poursuit-il alors, «c’est facile de coloniser des petits trucs qui n’ont pas d’histoire, mais coloniser un État, c’est très difficile».
Vient ensuite la vérité fatale qui explique très probablement le fait que Boualem Sansal soit aujourd’hui accusé d’«intelligence avec l’ennemi». Dans cette même interview, l’écrivain aborde le sujet ultra-sensible des frontières entre l’Algérie et le Maroc, un thème explosif pour le régime d’Alger, qui s’emploie à écrire son propre narratif à ce sujet. «Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc: Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara», rappelle Boualem Sansal. Or, quand «la France colonise l’Algérie, elle s’installe comme protectorat au Maroc et décide, comme ça, arbitrairement, de rattacher tout l’est du Maroc à l’Algérie, en traçant une frontière», poursuit-il, confirmant ainsi la marocanité du Sahara Oriental. Les amputations de vastes territoires marocains au profit de l’Algérie française, dont a hérité l’Algérie post-1962, sont un sujet toxique pour le régime d’Alger.
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Boualem Sansal termine son cours de géopolitique en évoquant la trahison et les mensonges de l’Algérie à l’égard du Maroc, expliquant «la méfiance» du Maroc envers ce voisin qui a refusé de lui restituer ses territoires, alors qu’il l’avait pourtant aidé dans sa lutte pour son indépendance, et rappelle un fait aggravant: «Le régime militaire algérien a inventé le Polisario pour déstabiliser le Maroc». L’écrivain va ensuite sceller son sort, en voyant dans la création de cette entité fantoche la volonté de l’Algérie de maintenir un système communiste et de faire taire toutes les voix algériennes qui pourraient vouloir prendre exemple sur le Maroc, ce pays où les citoyens «sont plus libres, il y a du tourisme, les choses se passent mieux».
Pour certains observateurs, analyse le journal Le Monde, «l’écrivain avait, par ces propos, franchi une “ligne rouge” aux yeux du régime, le rendant potentiellement passible d’une poursuite pour atteinte à l’intégrité territoriale».
Les réactions des proches de l’écrivain témoignent d’une vive inquiétude
Depuis l’annonce de sa disparition et la confirmation de son arrestation, l’émotion est vive et s’exprime sur les réseaux sociaux et dans les colonnes des médias de plusieurs pays. Au Maroc comme en France, les proches du romancier témoignent de leur affliction et de leur peur pour leur ami. «Je viens d’apprendre son arrestation. Je la condamne avec la voix d’un homme simple. Et avec la dernière énergie. Car sauf à être lâche, on ne peut s’en prendre à un homme qui aime autant son pays et qui l’a prouvé de la plus éclatante manière. En continuant de vivre sur sa terre à laquelle, faut-il le rappeler, il est viscéralement lié», écrit dans une tribune sur Le360 le romancier maroco-algérien Kebir Mustapha Ammi. Et de lancer un appel à l’Algérie qui, si elle libère cet ami cher, «inaugurera un nouveau chapitre en montrant qu’elle sait donner son vrai prix au mot liberté, pour lequel tant d’hommes et de femmes se sont battus».
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Aux mots de Kebir Mustapha Ammi se joignent ceux d’un autre ami proche de Boualem Sansal, Kamel Daoud, qui vient de se voir attribuer le prix Goncourt 2024 pour son roman «Houris», une autre abomination aux yeux du régime d’Alger, en ce qu’il parle sans tabous ni peur de la décennie noire du pays. Un sujet qui, s’il est évoqué, vous envoie tout droit à la case prison en Algérie. Pour dénoncer l’arrestation de son ami, Kamel Daoud trempe sa plume dans le vitriol pour signer une tribune dans Le Figaro, dans laquelle il assène, coup après coup, ses quatre vérités au régime algérien.
Le chroniqueur et écrivain raconte sans fard ni crainte son pays, où le tragique et le burlesque ne font plus qu’un, prenant pour exemple le fait que la parole est désormais muselée dans un État où règne la terreur. «L’on communique ainsi désormais vers l’Algérie sur WhatsApp: en écrivant sur des feuillets. Parce que la ligne est souvent surveillée, écoutée. La rumeur se répand à Alger que le “Régime” vient d’acquérir un nouveau parc matériel d’écoute auprès d’un pays européen».
Le décor est planté. Kamel Daoud enchaîne: «Ce pays est désormais connu sous le nom d’”Algérie Nouvelle”. Vous y retrouverez des femmes et des hommes courageux, des femmes et des hommes lâches. Des écrivains qui se taisent sur la terreur qui sévit dans ce pays et des journalistes qui se transforment en serpillières, d’autres qui fuient ou se taisent et d’autres qui attendent d’être convoqués par la justice. C’est de ce pays qu’il est question. C’est donc ici que mon ami Sansal a été arrêté, apparemment». L’émotion dans cette tribune est à vif. L’écrivain dit son incompréhension face à l’imprudence de son ami, qui a voulu coûte que coûte se rendre dans son pays, mais comprend tout de même cet amour viscéral qui vous lie à une terre. «“L’exil, ce n’est pas seulement quitter un endroit, c’est ne pas pouvoir y retourner”, dis-je avec fierté, satisfait de ma formule, en taisant le coût exorbitant pour moi. Peut-être que Boualem refusait de ne plus pouvoir revenir».
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Kamel Daoud poursuit sa critique un peu plus en profondeur, expliquant qu’«au cours de l’année dernière, la peur s’est étendue à ce qu’on appelle la “culture”, que les islamistes cherchent à transformer. Leur bras armé, c’est actuellement le Régime». Un régime face auquel «des éditeurs tremblent de peur, des journaux lèchent les bottes pour une page de “pub”, des télévisions dansent du ventre, des “trolls” inventent un ennemi, un traître à la nation».
Et de conclure, «“Intelligence avec l’ennemi”. En dictature, cela signifie une peine de prison à perpétuité», tout en disant toutefois son espoir de voir son ami revenir très bientôt, mais aussi de voir de son vivant «ce pays enfin indépendant et digne, accueillant enfin ses différences et ses histoires passionnantes et variées».
La classe politique française (presque) unie pour dénoncer la «faillite complète» du régime algérien
Alors qu’elle se déchire depuis plusieurs mois, la sphère politique française se montre unie, tout du moins la droite, derrière Boualem Sansal, mettant de côté ses divergences pour dénoncer son arrestation, mais aussi la voie sur laquelle s’engage dangereusement le régime d’Alger.
L’inquiétude commence au plus haut sommet de l’état. «Le président de la République est très inquiet et suit avec attention la situation», indique-t-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron, tandis que la classe politique française se saisit du réseau social X pour s’exprimer.
Édouard Philippe, ancien premier ministre, se dit «profondément inquiet» de la disparition de l’écrivain qui «incarne tout ce que nous chérissons: l’appel à la raison, à la liberté et à l’humanisme contre la censure, la corruption et l’islamisme». Et d’interpeller «les autorités françaises et européennes pour obtenir des informations précises et pour faire en sorte qu’il puisse circuler librement et revenir quand il le souhaitera en France».
Christian Estrosi, maire de Nice et numéro deux du parti Horizons, fondé par Édouard Philippe, appelle la France et l’Union européenne à «peser de tout leur poids pour qu’il soit immédiatement libéré», mais aussi «tous les artistes et écrivains français, européens et algériens à se mobiliser immédiatement».
Du côté du parti Les Républicains (LR), l’eurodéputé François-Xavier Bellamy dénonce quant à lui un régime algérien «en faillite complète», qui «ne pense qu’à supprimer les voix dissidentes», tandis que Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, estime que la France doit exiger la «libération immédiate» de Boualem Sansal, «sans conditions à Alger».
Dans les rangs du Rassemblement national (RN), la présidente du parti, Marine Le Pen, a également tweeté son indignation: «L’écrivain et citoyen français Boualem Sansal ne donne plus signe de vie. Ce combattant de la liberté et courageux opposant à l’islamisme aurait été arrêté par le régime algérien. C’est une situation inacceptable. Le gouvernement français doit agir pour obtenir sa libération immédiate».
D’autres voix se joignent à cet appel, d’Éric Ciotti, proche du RN, à Eric Zemmour, du parti Reconquête, en passant par Marion Maréchal, à la tête du mouvement Identité-Libertés, qui écrit sur X: «Il n’a jamais plié devant le régime d’Alger, il n’a jamais cessé d’alerter sur le danger de l’islamisme. Si son arrestation est confirmée, la diplomatie française et le président de la République doivent se mobiliser sans attendre pour obtenir la libération de Boualem Sansal».
Si les réactions de la droite française sont vives, l’arrestation de Boualem Sansal a suscité quelques molles réactions à gauche, pour dénoncer la censure. «Une voix libre ne peut être muselée», écrit Jérôme Guedj, député de l’Essonne, tandis que la sénatrice Laurence Rossignol rappelle la double nationalité de l’écrivain. «C’est donc un de nos ressortissants qui serait retenu pour délit d’opinion en Algérie. La France doit tout mettre en œuvre pour qu’il soit libéré sans délai». Quant au maire PS de Montpellier, Michaël Delafosse, il juge qu’«aucune censure d’artiste, d’auteur ne peut être acceptée. Sa parole libre est précieuse, nous devons pouvoir l’entendre, vite. La France ne peut être silencieuse».
Le régime d’Alger va-t-il pouvoir résister à cette pression qui va croissant et maintenir en détention un écrivain de 75 ans? Avec un régime irrationnel, il ne faut jamais écarter le pire.