Le rapport n° 87 du ministère des Armées de France (2021), rendu public récemment, fait remonter l’apparition du terrorisme dans le Sahel aux années 2000. C’est la première vague de djihadistes algériens qui s’installera durablement dans la région: «À mesure qu’ils arrivaient d’Algérie au cours des années 2000, ils se sont notamment mariés à des femmes berabiches et touareg pour se faire accepter des habitants en exploitant leurs griefs contre le pouvoir central à Bamako» (p.66). Ces Algériens vont dès lors jouer un rôle de premier plan entre 2007 et 2016 dans l’émergence des groupes terroristes dont on parle aujourd’hui (AQMI Sahara, MNLA, Ansar Dine, Al Mourabitoun, MUJAO, EIGS, etc.). Selon le rapport, «l’arrivée de djihadistes qui fuyaient la répression gouvernementale en Algérie a donné une nouvelle tournure aux rébellions touareg». Ils vont s’atteler à provoquer des guerres civiles et des ambitions de scission régionales comme dans le Nord du Mali, mitoyen à la frontière algérienne où s’affirme le premier groupe terroriste de l’histoire contemporaine du Sahel. C’est de là que part le cancer. D’autres faits avérés déclassifiés par l’Armée française, précisent que ces djihadistes algériens sont impliqués dans le coup d’Etat secret contre la Mauritanie en 2005. En effet, «en 2005, une attaque de djihadistes algériens contre la caserne de Lemgheitty y a en effet précipité la chute de la dictature militaire de Maaouiya Ould Taya à Nouakchott».
Selon l’agence Africa Center du Département de la défense des États-Unis, «le nombre d’événements violents signalés liés à l’activité d’un groupe islamiste militant dans le Sahel a doublé chaque année depuis 2016». Le Mali est le pays le plus touché par le terrorisme, de par ses frontières poreuses avec l’Algérie. «Le Mali reste le foyer le plus important de ces violences, représentant environ 64% des événements signalés au Sahel» d’après la Défense américaine.
La chaine des «Algériens» impliqués dans le terrorisme au Sahel mène au Polisario
Certains de ces combattants ne sont pas des inconnus du bataillon. Les fondateurs sont, selon le rapport n° 87 de l’Armée française, les algériens «Abdelmalek Droukdel (fondateur d’AQMI Sahara) et Mokhtar Belmokhtar (chef d’AQMI puis fondateur du groupe spécialisé dans la prise d’otages: Les Signataires par le sang), qui ont suscité la création en 2011 d’un groupe composé de dissidents noirs, le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest)».
Le MUJAO va étendre la lutte terroriste au Mali depuis le Nord jusqu’à la ville de Goa, un plan exécuté par un compatriote des pionniers Belmokhtar et Droukdel. Il s’agit d’un sombre personnage, assassin sans vergogne, Adnane Abou Walid al-Sahraoui, de son vrai nom Lahbib Ould Abdi, un haut cadre du Polisario qui va quitter officiellement la milice séparatiste en 2010, accompagné de son adjoint Abdelkrim al-Sahraoui. Mais Adnane Abou Walid al-Sahraoui va et vient, comme il veut, «entre le Mali et Tindouf où il séjourne régulièrement» documente l’Armée française. En 2011 la première opération d’éclat du MUJAO aura lieu… à Tindouf même: kidnapper trois personnes, deux humanitaires espagnols et une Italienne dans les camps du Polisario. Il se fait ainsi remarquer à l’opinion publique. En mai 2015, il prête allégeance à Daech et créé sa franchise locale, l’État islamique du Grand Sahara (EIGS). Sa tête est mise à prix par Washington à 5 millions de dollars après l’assassinat de quatre Américains.
Or, l’AFP rapporte, dans une dépêche datant du 16 septembre 2021, jour de sa mort, qu’Adnane Abou Walid al-Sahraoui s’était fait soigner à Tindouf, à plusieurs reprises, comme fin février 2018 lorsque «blessé dans une attaque au sud d’Indelimane au Mali, il s’est retranché dans son fief familial dans les camps de Tindouf pour se soigner». Ni le régime d’Alger ni le Polisario ne se sont expliqués sur cette personne encombrante abritée et soignée de longues années sur le territoire algérien. «L’EIGS est responsable de la mort de 2.000 à 3.000 civils depuis 2013» selon l’Armée française. Ses membres continuent à écumer le désert en y semant la terreur et la désolation.
Les révélations des rapports secrets sur l’implication du Polisario dans la nébuleuse terroriste du Sahel
Cette implication a été corroborée, notamment lors de l’épisode du démantèlement en 2010, par les forces de sécurité maliennes d’un vaste réseau auquel avait été donné le nom de code de «Polisario», puisque plus de 90% de ses membres provenaient des camps de Tindouf. L’agence non gouvernementale CIRSD établi à Belgrade et New York éclaire davantage la situation. Elle rapporte les propos de premier plan de plusieurs officiels du renseignement sur les liens avérés entre le Polisario et le terrorisme sahélien, et notamment malien. Michael Braun, ancien directeur des opérations de la DEA américaine (Drug Control Agency), considère que «les puissantes organisations terroristes comme Al Qaïda recherchent des personnes qui présentent des signes de vulnérabilité. Les camps de Tindouf représentent donc une mine d’or potentielle pour les recruteurs de groupes comme AQMI».
Un rapport de l’European Strategic Intelligence and Security Center (ESISC) cité dans cette étude arrive à la même conclusion, affirmant que «les membres actifs du mouvement en quête de revenus supplémentaires, ainsi que les mercenaires qui cherchent à tirer profit de leur expérience passée dans les structures militaires du Polisario peuvent se tourner vers le terrorisme». Quant à Yonah Alexander, directeur du Centre international d’études contre-terroristes (ICTS), il souligne que «ce rapprochement entre certains groupes terroristes du nord du Mali et les jeunes combattants du Polisario est une conséquence logique de la radicalisation du Polisario et de l’exacerbation des conditions de vie dans les camps de Tindouf, où les populations sont kidnappées contre leur gré par des milices séparatistes». Le CIRSD s’arrête aussi sur le cas de Mahjoub Mohamed Sidi, un membre du Polisario, arrêté au Mali en possession d’une grande quantité d’explosifs, d’armes et de documents qui témoignent de ses liens avec des responsables d’AQMI. Enfin, ce document souligne qu’outre «AQMI, d’autres groupes terroristes vont recruter des membres du Polisario, parfois même pour des postes de commandement. Il s’agit principalement d’Al-Mourabitoune, né en 2013».
Selon une publication du Collège de Défense de l’OTAN, «les camps de réfugiés sahraouis du front Polisario du sud-ouest algérien, le sud de la Libye ou le nord du Mali, sont également des zones de transit pour la contrebande d’armes. En raison de sa position stratégique, la ville de Tindouf représente le point de passage idéal entre le Sahel de l’est et le Sahel de l’ouest».
Le rapport de l’European Strategic Intelligence and Security Center (ESISC), cité plus haut, apporte des données précises sur les liens secrets entre le Polisario et le terrorisme dans le Sahel: «Imarat Assahraa (L’Emirat du Sahara) commença à se développer dans le sud algérien. D’après diverses sources sécuritaires et de renseignement, Imarat Assahraa aurait été formé entre autres par des combattants venus des camps du Polisario».
Des cadres du Polisario sont des djihadistes. Selon une liste non exhaustive, établie à partir de différents rapports, ils se nomment Baba Ould Mohammed Bakhili, un gradé du front Polisario arrêté en Mauritanie avec plusieurs de ses lieutenants originaires de Tindouf; Omar le Sahraoui un ancien cadre du front Polisario, qui a formé une partie de l’organigramme du mouvement; Mohamed Salem Mohamed Ali Ould Rguibi et Mohamed Salem Hamoud, issus tous deux de «la 4ème région militaire», dite «M’heriz», à Tindouf; Nafii Ould Mohamed M’Barek issu de la «7ème région militaire», à Tindouf; Mohamed Fadel Ould Mohamed Salem un terroriste condamné en Europe et qui vit actuellement en toute impunité à Tindouf.
L’engendrement de monstres dans le Sahel
L’Algérie, par son soutien au Polisario et ses stratégies ambigües dans la région sahélo-saharienne, a contribué à créer un environnement propice à la prolifération de groupes terroristes. Ce lien entre l’Algérie et la montée de la violence extrémiste au Sahel est souligné par des rapports cohérents émanant de l’Armée française, d’organismes internationaux et de services de renseignement, qui convergent pour établir une corrélation entre le terrorisme et la formation, l’armement et l’endoctrinement de factions dissidentes au sein des camps de Tindouf. En transformant ces camps en foyers de désillusion, l’Algérie semble avoir engendré des «monstres» terroristes, qui menacent non seulement les États voisins mais aussi la stabilité globale de la région. Le Polisario, au-delà de son discours politique, nous interpelle sur la responsabilité de l’Algérie dans cette dynamique destructrice.
Dans quelle mesure le Polisario a-t-il encouragé ou toléré le départ de certains de ses membres vers le Sahel, un espace marqué par l’instabilité et les conflits armés? Tindouf, de son côté, demeure un point stratégique dans le désert, servant de refuge pour certaines figures djihadistes opérant dans le Sahel. Pourquoi cette base continue-t-elle d’offrir un havre de sécurité pour ces groupes? Ces questions révèlent les zones d’ombre et les jeux d’influence qui transcendent les frontières et redéfinissent les équilibres régionaux.