À plusieurs reprises, il m’est arrivé dans mes chroniques d’aborder la question de l’enclavement diplomatique de l’Algérie, qui est la conséquence d’une approche diplomatique anachronique et d’une instrumentalisation de sa politique extérieure au profit d’intérêts particuliers, ceux du clan militaire au pouvoir à Alger. Outre les populations de certains pays voisins, comme le Mali qui combat des groupuscules terroristes et criminels soutenus par Alger, ou la Tunisie, qui subit en raison de ses difficultés économiques une vassalisation en bonne et due forme par Alger, la première victime de cette folie diplomatique, qui sacrifie leur potentiel de développement sur l’autel des intérêts d’une junte, c’est le peuple algérien lui-même.
Dressons tout d’abord un rapide tableau de la situation, avant d’en venir aux récents évènements.
À l’Ouest, Alger a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc le 24 août 2021. Depuis, loin de s’estomper, les tensions diplomatiques entre les deux pays n’ont fait que croître pour au moins deux raisons. La première est que du point de vue du pouvoir algérien, le Maroc est le principal exutoire pour ses problèmes et contradictions internes. Ainsi, plus ça va mal en Algérie, plus il faudra en accuser le Maroc. La deuxième raison est due aux victoires diplomatiques du Maroc, dont la plus récente est la reconnaissance par la France de la marocanité du Sahara. Ces victoires réduisent jour après jour à néant tous les efforts de sabotage menés par la junte. Cependant, quand on agite le peuple avec de la propagande et de la désinformation, il faut savoir qu’à un moment ou à un autre, il réclamera un bilan. Et sur ce plan, Alger n’a pas grand-chose à faire valoir, si ce n’est ses défaites diplomatiques successives face au Maroc. De plus, Tebboune étant actuellement en pleine campagne présidentielle, il n’est pas exclu qu’il décide d’aller sur le terrain de la surenchère face au Maroc.
Au Sud, la rupture diplomatique avec le Mali est, selon plusieurs experts, imminente. Confronté au terrorisme et à des bandes criminelles au Nord, le Mali a récemment subi des revers militaires, après une longue série de victoires. Dans ce contexte, au lieu d’aider un pays voisin à restaurer sa souveraineté, Alger a décidé de dérouler le tapis rouge aux chefs de ces mêmes bandes criminelles.
En effet, en 2023, des chefs touareg, comme Alghanass Agh Intalla, secrétaire général du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad, ont été reçus par le Premier ministre algérien. Mais la goutte qui a fait déborder le vase fut la rencontre entre le président algérien Abdelmadjid Tebboune et Mahmoud Dicko, un imam conservateur de Bamako, accusé de vouloir créer un État islamique au Mali. Ce dernier est non seulement venu à l’invitation de Tebboune, mais il réside désormais en Algérie. Une sorte de Fethullah Gülen du Sahel. Car ce que Bamako a compris, c’est qu’en soutenant les Touaregs dans la région, Alger cherche à maintenir une zone d’influence qui va au-delà de ses frontières, et dont le prix à payer n’est autre que le maintien d’une instabilité chronique dans la région et la fragilisation de certains États voisins. N’oublions pas non plus que le Mali n’est plus seul, et qu’il fait désormais partie d’une alliance avec le Niger et le Burkina Faso (Alliance des États du Sahel) qui, par solidarité, pourraient aussi rompre leurs relations avec Alger.
À l’Est, la Tunisie semble avoir abdiqué face à Alger. Étouffée par une grave crise économique et financière et privée de financements occidentaux, notamment ceux du FMI, Tunis à dû se résoudre à troquer une partie de sa politique extérieure contre du gaz, du pétrole et de l’argent algérien.
Toujours à l’Est, mais un peu plus au Sud, un autre pays semble devenir de plus en plus problématique pour Alger. Il s’agit de la Libye, non pas celle de Tripoli, mais de Benghazi, contrôlée par le maréchal Haftar, dont les miliciens ont récemment fait une petite excursion près de la frontière algérienne, provoquant autant l’inquiétude que la colère d’Alger. Cependant, la crise ne date pas d’hier. Souvenons-nous qu’en 2023, ces mêmes miliciens s’étaient offert une séance de shooting photo au poste-frontière algérien de Debdeb. Et quelques années plus tôt, plus précisément en 2019, au moment où Haftar visait la prise de Tripoli, Alger avait même envisagé une incursion militaire en Libye. En 2021, Tebboune a parlé de cet épisode à Al Jazeera en disant: «Nous n’acceptons pas que la capitale d’un pays maghrébin et africain soit occupée par des mercenaires. Nous allions intervenir».
Cette déclaration à elle seule suffit à démontrer le mépris affiché par le pouvoir algérien, autant pour la souveraineté d’un pays voisin que pour le droit international. Mais elle révèle également la vision court-termiste de sa diplomatie, puisqu’en géopolitique, tout peut basculer assez rapidement. Car si le maréchal Haftar venait à prendre le pouvoir dans les années à venir en Libye, une rupture diplomatique entre les deux pays serait peut-être irrémédiable. Sans oublier les alliés de Haftar, comme les Émirats arabes unis, qui pourraient voir leurs relations avec l’Algérie rompues par Alger à tout moment. L’Algérie pourrait même réussir la prouesse de se mettre à dos la Russie, à la suite des récentes déclarations algériennes concernant la présence de Wagner au Mali.
Maintenant, quelle pourrait être la porte de sortie de cette crise pour l’Algérie? Cela, sachant qu’il ne s’agit pas de quelques erreurs stratégiques ici et là, mais d’un paradigme et d’une structure mentale, celle de la gérontocratie militaire algérienne. En réalité, les seuls habilités à y répondre sont les Algériens eux-mêmes.
En attendant, nous nous retrouvons, nous, Marocains, Maliens, Tunisiens, Libyens et surtout Algériens, obligés de composer avec cette fuite en avant.