En Algérie, c’est le «must have» absolu au sein l’élite locale. Entendez, pour résumer, toutes les composantes du pouvoir militaro-politique, le seul qui vaille, du pays. Mais aussi leurs épouses, les copines de leurs épouses, les enfants, les amis des enfants, les maîtresses, la secrétaire de la secrétaire, etc. Réservé en principe aux seuls diplomates et assimilés, le passeport diplomatique est ce fameux sésame que s’arrache la bonne société à la sauce algérienne.
L’avantage qu’il offre, et non des moindres: être dispensé de visa pour se rendre en France, LA destination du gotha algérien où militaires, dirigeants politiques, hommes d’affaires -et bien sûr leurs smalas respectives- se rendent pour respirer, placer leurs pions en investissant dans l’immobilier ou la restauration ou encore dissimuler leur argent. C’est aussi là où l’on aime se faire soigner, de préférence sur le dos du contribuable français, faire son shopping et exhiber une fortune qui mènerait droit à El-Harrach si elle était révélée au pays.
Outil de travail dont le seul objet, dans un pays où les choses se passent normalement, est de faciliter les déplacements des diplomates et des hauts responsables, le passeport diplomatique est devenu l’objet de toutes les convoitises. Le régime d’Alger en fait même un outil de pouvoir, l’accordant à tout va et à tous les proches -et leurs proches- et en privant ceux qui gênent ou qui d’aventure parlent un peu trop. Quand bien même il s’agirait de (vrais) diplomates. Au «pays du monde à l’envers» comme se plaisent à le qualifier Jean-Louis Levet et Paul Tolila dans leur livre Le mal algérien, tout est permis. Aux nantis du pouvoir. Et puis, on ne va quand même pas demander à l’épouse de X ou à la maîtresse de Y de faire la queue devant un consulat français ou attendre la confirmation d’un misérable rendez-vous de la filiale locale de VFS Global, l’équivalent de notre TLS Contact. Trop la h’chouma. Une ultime offense, voire un crime de lèse-majesté.
La règle des copains et cousins
Le passeport diplomatique, le pouvoir algérien en use et en abuse à volonté. D’anciens hauts responsables, dont des anciens ministres et diplomates, l’ont récemment appris à leurs dépens. «Depuis que la présidence d’Abdelmadjid Tebboune exerce son droit de regard sur l’octroi des passeports diplomatiques, les personnalités algériennes intéressées par l’obtention de ce précieux sésame doivent s’armer de patience», indique ainsi le bien informé Africa Intelligence. L’ancien chef du gouvernement Sid Ahmed Ghozali, décoré le 29 août de la plus haute distinction honorifique du Japon, le grand cordon de l’ordre du Soleil levant, a dû attendre plus de cinq mois pour l’obtenir. Deux autres anciens premiers ministres, Mokdad Sifi et Ali Benflis, attendent, eux, depuis plus d’une année. Précisons que, très généreux, le décret présidentiel du 1er juin 2023, qui fixe les conditions d’attribution des titres officiels de voyage délivrés par le ministère des Affaires étrangères, stipule que les passeports diplomatiques sont délivrés également aux anciens chefs de gouvernement et aux anciens ambassadeurs et consuls généraux.
Lire aussi : Sahara. Représailles du régime d’Alger contre la France: le plan de riposte de Paris, selon Xavier Driencourt
L’ex-ministre de la Communication Abdelaziz Rahabi, également ancien ambassadeur au Mexique et en Espagne, a vu son passeport brusquement bloqué le 11 septembre dernier. Son tort: avoir publié sur le réseau X un texte dans lequel il commentait les résultats de la dernière mascarade présidentielle. L’Algérie «entre dans une phase d’ingouvernabilité en raison de la non-satisfaction des demandes majeures du Hirak et de la fermeture des champs politique et médiatique», a-t-il écrit.
Suffisant pour qu’il soit condamné au bûcher… et au retrait de son document de voyage. Tout ceci n’est pas très «diplomatique», mais passons.
Des passeports diplomatiques à vie
Autant dire que le passeport diplomatique sert à la fois de carotte et de bâton chez le voisin et qu’il fait l’objet de tous les abus. Ancien ambassadeur de France en Algérie durant deux mandats (de 2008 à 2012, puis de 2017 à 2020) et fin connaisseur du «Système», Xavier Driencourt ne cesse de dénoncer les pratiques auxquelles cette «liberté» donne lieu, plus particulièrement l’exemption de visa par la France des Algériens possédant un passeport diplomatique. Pour lui, il s’agit d’un privilège arbitraire et malsain dont bénéficient essentiellement les généraux et les caciques du régime d’Alger ainsi que leurs familles.
À l’origine de cette anomalie: un échange de lettres stipulant cette gentillesse, datant de 2007, entre Bernard Kouchner, alors ministre français des Affaires étrangères, et son homologue algérien de l’époque, Mourad Medelci. Il n’en fallait pas plus pour que toute la junte et ses ayants droit se jettent sur l’aubaine.
«Les passeports diplomatiques sont diffusés très largement à toute la nomenclature algérienne: les diplomates, mais aussi les militaires, les politiques, leurs familles. Ils ont des passeports diplomatiques à vie, alors que du côté français, c’est quand même très limité», avait protesté l’ancien diplomate français le 6 septembre dernier, lors de son passage dans l’émission «Points de Vue» sur la chaîne Le Figaro TV, appelant à l’abrogation de ce privilège.
«Moi, en quittant Alger, j’ai rendu mon passeport diplomatique au ministère des Affaires étrangères. Et donc, tous ces gens de la nomenclature algérienne viennent et peuvent venir en France sans visa pour faire leurs affaires financières, se faire soigner. Si on voulait envoyer un signal au système algérien, on commencerait par dénoncer cet accord», a-t-il ajouté.
Un «reset» pour «ne pas céder au dey d’Alger»
Pour lui, la solution est toute trouvée. Du moment qu’il s’agit d’un simple échange de lettres, le ministre français des Affaires étrangères peut aisément y mettre fin «sans même l’autorisation du président de la République». Dans une tribune publiée le 30 septembre dans les colonnes du même Figaro, Xavier Driencourt revient à la charge. Pour dénoncer l’accord, «il suffit d’un préavis de trois mois… Mettre fin à cet échange de lettres, ce qui relève de la compétence du seul ministre des Affaires étrangères, enverrait un signal».
Un signal faisant partie d’un certain nombre de cartes «qui, mises ensemble, s’il y avait une volonté politique forte, c’est-à-dire la volonté de ne pas céder au dey d’Alger, permettrait une sorte de reset dans les relations migratoires avec Alger».
Bien plus que l’accord franco-algérien de 1968, qui confère aux citoyens algériens des droits spécifiques et des facilités en termes de titres de séjour, de transformation des visas étudiants en visas commerçants, de regroupement familial, d’absence de conditions d’intégration dans la société française, d’impossibilité de retrait du titre de séjour, c’est l’imposition des visas aux passeports diplomatiques algériens qui constituerait la mesure la plus douloureuse pour les caciques du régime. Et même si certains d’entre eux pourraient s’y résoudre, la pression de leurs femmes, enfants et maîtresses serait intenable.