Que se passe-t-il dans le sud de l’Algérie? C’est la question lancinante que se posent de nombreux observateurs et qui écume les correspondances des chancelleries étrangères. Alors que les communications officielles de la junte sur l’arrestation et la neutralisation de «terroristes» se situaient traditionnellement dans le maquis au nord du pays, voici que l’aiguille de ces opérations militaires s’affole pour s’immobiliser dans la pointe la plus méridionale.
En Algérie, les relations entre le régime algérien et les Touaregs du sud du pays n’ont jamais été un fleuve tranquille. Et ce, depuis l’avènement de l’Etat militaire algérien en 1962. En un mot comme en mille, les Touaregs, au même titre que les Kabyles, ne se sont jamais proclamés d’une appartenance à l’Algérie, un pays factice, créé et forgé par la France qui le considérait comme un territoire français (l’Algérie française) et non pas comme une colonie. Les Kabyles de mêmes que les Touaregs estiment qu’ils ont été intégrés de force par la colonisation dans un pays dépourvu non seulement d’ancrage historique, mais dont le nom même lui a été attribué par le colonisateur français.
Ce sentiment a très tôt fait le lit de velléités de sécession, auxquelles Alger s’est toujours opposé à travers une politique de la carotte, ou plus exactement de la corruption à l’égard des notabilités de l’extrême sud pour acheter leur soumission, et celle du bâton, faisant abattre une répression implacable sur les militants indépendantistes touaregs. Ces derniers étaient également galvanisés par la rébellion sécessionniste voisine, celle des Touaregs du Mali qui a éclaté dès 1962 suite au déclenchement des premières hostilités militaires entre les indépendantistes locaux et l’armée malienne.
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Face à ce conflit à ses frontières, Alger a toujours volé au secours des autorités de Bamako (droit de poursuite des rebelles en territoire algérien, accords de Tamanrasset et accords d’Alger sur le Mali), dans le seul objectif d’étouffer toute rébellion dans le sud algérien. Mais en vain, puisque la wilaya de Tamanrasset est à nouveau, depuis quelques semaines, le théâtre d’un regain de tensions et revendications appelant à s’affranchir de la tutelle algérienne.
La junte algérienne a elle-même fini par faire sauter indirectement la chape de plomb qu’elle tentait jusqu’ici de maintenir sur les dernières et violentes confrontations qui l’opposent aux rebelles touaregs du sud du pays.
Elle a ainsi levé un pan sur l’ampleur des tensions dans cette vaste région rebelle formée de 7 wilayas (Tamanrasset, In Guezzam, In Salah, Djanet, Illizi, Adrar et Bordj Badji Mokhtar), soit quasiment les deux tiers du territoire algérien. Elle a ainsi reconnu que plus d’un millier de Touaregs ont été arrêtés ou expulsés en moins de trois semaines.
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Dans trois communiqués diffusés par le ministère de la Défense, les 12, 14 et 27 juin 2023, on apprend ainsi que plus de 600 personnes sont aujourd’hui aux mains de l’armée algérienne. Elles sont diversement accusées de terrorisme et autres faits relevant du crime organisé, comme l’orpaillage illégal et le trafic de drogues, en mentionnant toujours que ce trafic se fait à partir des seules frontières avec le Maroc, nommément cité.
Depuis la révélation de violents et meurtriers accrochages militaires opposant l’armée algérienne à des indépendantistes touaregs, accrochages qui auraient eu lieu lors de la dernière semaine de mai 2023 dans l’extrême sud algérien, non loin de la frontière avec le Mali, le régime algérien n’a cessé de produire, à un rythme effréné, une succession de «bilans opérationnels hebdomadaires», faisant état de saisies d’armes et rafles de «sudistes» algériens par centaines au niveau des wilayas du sud.
Ainsi, le 12 juin courant, l’armée algérienne a annoncé l’arrestation d’un séparatiste touareg à Tamanrasset, qu’elle a présenté comme un «terroriste». Deux jours plus tard, le mercredi 14 juin, un nouveau communiqué recense 182 arrestations dans les localités de Tamanrasset, Bordj Badji Mokhtar et In Guezzam, en plus de la reddition d’un «terroriste» à Bordj Badji Mokhtar et l’arrestation de «18 éléments de soutien aux terroristes».
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Mardi 27 juin, un autre communiqué du MDN algérien présente à son tour un autre «bilan hebdomadaire des opérations» menées par l’armée à travers le territoire algérien. Les personnes arrêtées et les armes saisies l’ont été, quasiment en totalité, en territoire touareg et dans les mêmes localités que la semaine précédente, à savoir Tamanrasset, Bordj Badji Mokhtar et In Guezzam. En plus du terrorisme, de l’orpaillage illégal, du trafic de drogue et psychotropes, les accusations portent également sur la contrebande de cigarettes et de carburants.
La succession, en un mois, de communiqués du MDN et le nombre élevé de personnes arrêtées dans la même région sont révélateurs d’un acharnement de grande ampleur ciblant les militants touaregs du «Mouvement de libération du sud algérien», même si aucun communiqué ou revendication ne sont venus confirmer l’existence de ce mouvement ou son implication dans les derniers accrochages avec l’armée algérienne.
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Cet acharnement du régime algérien contre les Touaregs ne s’est pas arrêté là. Durant le week-end des 17 et 18 juin, plus de 500 Touaregs ont été expulsés vers le Niger, sous prétexte d’être des Maliens et Nigériens.
Mais l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), dont une antenne a créé des camps dédiés aux expulsés manu militari d’Algérie, a identifié parmi ces centaines d’expulsés, de nombreux Touaregs qui portent la nationalité algérienne.
La chape de plomb du régime algérien sur les événements dans le sud du pays ne saurait toutefois résister à l’épreuve du temps. La répression féroce de la junte et les explosions arbitraires génèrent, selon plusieurs sources concordantes, colère et frustration au sein du peuple touareg.
Un Etat factice, qui ne tient que par un système de prébende, reposant sur les revenus des hydrocarbures, ne pourra jamais constituer une nation. Cette réalité finira par imploser, en dépit de tous les efforts du régime d’Alger à imposer une omerta.