La pieuvre algérienne du blanchiment d’argent dans le monde

Karim Serraj.

ChroniqueLa liste des pays du monde qui ont ouvert leurs portes au blanchiment d’argent des oligarques algériens se déploie comme un labyrinthe tentaculaire. Par des accords bilatéraux d’exemption de visas et sous couvert d’immunité diplomatique, la caste dirigeante a fait de chaque valise un coffre itinérant alourdi de capitaux obscurs sur les cinq continents.

Le 24/08/2025 à 11h08

L’Algérie a inventé un circuit de blanchiment d’argent unique au monde. Le clan au pouvoir a transformé l’immunité interétatique en tapis volant pour malles bourrées de cash. Car les accords d’exemption de visas conclus avec les autres États ne se limitent pas à de simples facilités de déplacement pour fonctionnaires consulaires. Ils offrent aux cercles corrompus du pouvoir, pressés d’exfiltrer leurs richesses, une liberté de circulation introuvable dans un autre pays. C’est un vrai sésame planétaire, qui permet à l’argent sale de voyager incognito, sans même subir l’humiliation du rayon X des douanes. Les mallettes passent comme des fantômes: invisibles, intouchables.

L’année 2025 fut, à ce titre, une vendange abondante, venant renflouer le catalogue déjà prodigieux des barons du régime. Quatre accords cueillis comme des trophées après la crise avec la France. Quatre sceaux pour prolonger la grande cavale des rentes pétrolières. En juillet, Ahmed Attaf s’est envolé vers la Malaisie pour offrir à ses pairs l’assurance d’un voyage sans entrave, balluchons compris. En mai, le Ghana a consenti le même privilège. En mars, la Slovénie, soudain généreuse, a joint sa signature au cortège. Et en février déjà, Tebboune sortait son stylo pour immortaliser un pacte identique avec l’Indonésie.

Mais cette succession de signatures n’est qu’un rideau de fumée. La stratégie des protocoles «diplomatiques», bien huilée pour le transfert occulte de devises, commence dès les années 2000 et le boom du baril de pétrole.

Les valises magiques d’Alger

C’est Bouteflika qui, telle une araignée au centre de sa toile, avait commencé à tisser patiemment un réseau de conventions bilatérales sur les cinq continents. Il a offert à la caste parasitaire d’Alger une liberté de circulation internationale sans équivalent. À l’époque, l’or noir ruisselait à flots, le baril caracolait à plus de cent dollars certaines années, et les dessous-de-table se déversaient comme un torrent. L’oligarchie roulait sur l’opulence, et pour évacuer ces devises par millions, quoi de plus pratique que ces bagages inviolables, sanctifiés par les conventions? La chancellerie algérienne devenait alors une sorte de caravane de cuirasses, multipliant les sceaux et les signatures pour transformer chaque frontière en autoroute.

L’Europe, d’abord, servit de terrain de jeu. Pas moins de vingt-et-une nations acceptèrent d’ouvrir leurs portes aux valises d’Alger: de l’Espagne à la Finlande, en passant par la Suisse (et Liechtenstein), l’Allemagne, l’Albanie, la Hongrie, le Portugal, la Pologne, la Bulgarie, l’Italie, Malte, la Croatie ou encore la Biélorussie, la Grèce, l’Azerbaïdjan, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, la Bosnie-Herzégovine et enfin la France qui a rompu il y a quelques jours son traité d’exemption de visas avec Alger. Une véritable kermesse continentale. Même privée de la France, la caste au pouvoir est adossée à un vaste duty-free où chaque douane se mue en porte tournante.

«Depuis l’indépendance, chaque clan au pouvoir a joué cette partie comme on avance sur un Monopoly grandeur nature et en détournant méthodiquement les deniers publics»

—  Karim Serraj

Le Moyen-Orient, lui, n’est pas en reste: Qatar, Koweït, Oman, Jordanie, Émirats arabes unis, cinq relais de luxe pour patrimoines clandestins. L’Afrique? Seize pays, du Bénin au Ghana en passant par l’Afrique du Sud, l’Égypte, l’Éthiopie, la Namibie, l’Angola, le Burundi, l’Ouganda, la Guinée, le Niger, le Nigéria, le Sénégal, le Soudan et la Tanzanie, offrant autant de pistes d’atterrissage non contrôlées par les douanes. Les Amériques? Sept destinations, de l’Argentine au Mexique, avec escales à Cuba, au Pérou ou au Venezuela, Colombie, Brésil. Et l’Asie enfin: sept portes d’entrée, de la Chine à l’Inde, en passant par la Turquie, le Vietnam, la Corée du Sud, sans oublier la Malaisie et l’Indonésie.

Au total, cinquante-cinq points de chute transformés en zones franches pour des trophées enchantés. Cinquante-cinq sanctuaires où le pouvoir algérien peut promener ses coffres, bardés de franchise des changes comme d’une baguette magique.

Dix mille «diplomates», vraiment?

Derrière les passeports grenat, on ne déniche que très peu d’ambassadeurs en smoking et de consuls appliqués. On croise surtout les bataillons des enfants de la nomenklatura, des épouses, des frères et sœurs, des cousins porches ou lointains, des oncles et jusqu’aux maîtresses, dit-on, tous de mèche et pratiquant, en famille, l’art de la lessive à billets. Leur nombre? La presse algérienne proche du pouvoir donne un chiffre renversant. Le journal La Nation écrivait en janvier 2025: «le chiffre pourrait allègrement franchir la barre des 10.000». Gérald Darmanin s’en était d’ailleurs offusqué sur les médias en 2024: «des milliers de détenteurs de passeports diplomatiques algériens» circulaient en France sans fonction protocolaire.

Aucun État n’a jamais produit autant de «diplomates» dans le monde. Sous Bouteflika, la liste des heureux élus s’est allongée comme par magie— ou plutôt par décret présidentiel n° 12-319 du 29 août 2012. Non seulement les anciens cadres civils et militaires en furent gratifiés, mais aussi leurs proches. Un vrai carnet de famille tamponné «VIP». Quant aux fonctions «récompensées» et leurs familles, elles ont parfois autant à voir avec les relations internationales qu’un fennec. Le florilège est savoureux: directeurs de cabinets, secrétaires généraux en série, conseillers présidentiels, chefs des innombrables services de sécurité, directeur du protocole ou encore les patrons successifs de la communication de la présidence. Pour l’équilibre des pouvoirs, on y a glissé les présidents de toutes les hautes institutions, du Conseil de la nation à la Cour des comptes, en passant par les gouverneurs de la Banque d’Algérie et… le recteur actuel de la Grande mosquée d’Alger. On se demande encore quelles sommes il devait négocier.

Ajoutez à cela une armée entière de généraux, de commandants de régions et de barons en uniforme, et vous obtenez une caravane de fonctionnaires fantômes. Tebboune, loin d’assainir la pratique, l’a engraissée: le décret 23-201 de juin 2023 délivre le billet de faveur à tous les retraités de toutes les fonctions précitées et leurs familles, ajoutant les anciens cadres de l’armée qui ne sont plus en exercice, et inventant enfin le «passeport diplomatique honorifique», offert à tout retraité de haut rang et à ses proches.

Et comme l’arbitraire est roi, le président peut toujours, d’un trait de plume, octroyer un passeport de service à qui bon lui semble. Un tampon magique à la carte. L’accord consulaire ne sert pas qu’à représenter l’Algérie à l’étranger, il protège le vrai cœur du système, les fameuses valises protocolaires.

La carte au trésor

Le mappemonde des cinquante-cinq pays coloriés en «vert» ressemble moins à un réseau diplomatique qu’à une authentique carte au trésor. Chaque État complice devient une case brillante, une escale sûre où enfouir les butins de la rente. Les accords d’exemption de visa algériens orchestrent depuis des décennies une fuite organisée: le pétrole se transforme en villas sur la Riviera, en comptes opaques à Dubaï, en sociétés-écrans à Panama. Les 10.000 consuls de carton se déplacent comme des pirates modernes, enjambant les continents avec la légèreté de voyageurs en mission éternelle.

La Convention de Vienne de 1961, censée encadrer la diplomatie, sert ici de voile magique. Ses articles sur l’inviolabilité des bagages offrent aux clans d’Alger le passe-droit rêvé. Traduction concrète: aucun douanier n’a le droit d’ouvrir ces valises, sauf demande expresse de l’ambassade d’Algérie — autant dire jamais. Les malles descendent des avions comme des reliques sacrées, convoyées à domicile sous escorte invisible. Une logistique d’État qui transforme la chancellerie en une organisation mafieuse parfaitement rodée.

Depuis l’indépendance, chaque clan au pouvoir a joué cette partie comme on avance sur un Monopoly grandeur nature et en détournant méthodiquement les deniers publics. Les accords bilatéraux d’exemption de visa en sont la clef de voûte: ils alimentent la machine d’exfiltration des richesses familiales vers des havres lointains. Il ne semble pas excessif d’affirmer que l’une des missions essentielles de la diplomatie algérienne consiste à conclure des accords avec les États du monde, permettant aux satrapes du régime de multiplier les refuges et de mettre à l’abri l’argent sale. Acheter une villa secondaire dans un pays ensoleillé, investir dans une entreprise étrangère ou simplement dissimuler un magot devient alors un jeu d’enfant.

Par Karim Serraj
Le 24/08/2025 à 11h08