France-Algérie: les scénarios à venir

Mustapha Tossa.

ChroniqueBien que dirigée par un régime militaire dissimulé sous une façade civile, l’Algérie n’est pas à l’abri d’un coup d’État. Un tel scénario ne bouleverserait pas nécessairement la nature du système, mais pourrait faire émerger des clans plus disposés au dialogue avec leur environnement régional, en rupture avec l’isolement assumé par les détenteurs du pouvoir post-Bouteflika.

Le 18/08/2025 à 16h03

La tension entre les deux pays a atteint un seuil critique, au point que tous les scénarios restent ouverts — y compris le plus sombre.

Dans ce contexte, le bras de fer autour des visas diplomatiques, qui frappe directement l’élite dirigeante, constitue un levier stratégique. Mais encore faut-il lui laisser le temps d’infuser pour mesurer pleinement son efficacité.

L’activation des mécanismes de solidarité européenne exige du temps pour prouver sa portée réellement punitive. Mais dans un climat aussi volatil, rien n’exclut une brusque accélération, susceptible soit de rétablir un semblant d’ordre dans les relations bilatérales, soit, au contraire, de les plonger dans une spirale dangereuse.

Le premier scénario qui se dessine est celui d’une pression interne, discrète mais persistante, sur le régime algérien afin de l’amener à infléchir sa politique d’escalade vis-à-vis de Paris.

Cette poussée vient d’une élite militaro-politico-économique directement touchée dans ses privilèges, qui presse le pouvoir de trouver rapidement une issue à la crise.

Car, malgré les postures martiales et les tensions affichées avec Paris, cette élite n’a jamais réussi à couper le cordon ombilical avec l’ancienne puissance coloniale. Le volume considérable de biens immobiliers détenus en France dans la plus grande discrétion, l’ampleur des patrimoines financiers dissimulés, ou encore la place quasi exclusive accordée à l’Hexagone pour l’éducation et les loisirs de leur progéniture en sont la preuve éclatante.

Cet état de fait pourrait exercer une pression directe sur le régime d’Abdelmadjid Tebboune, l’incitant à mettre de l’eau dans son vin et à envisager une sortie de crise dans son bras de fer avec Paris.

Les premiers gestes pourraient passer par l’envoi de signaux positifs, à commencer par la libération des deux Français détenus en Algérie — l’écrivain Boualem Sansal et le journaliste Christophe Gleizes.

Ils pourraient se prolonger par une coopération accrue dans le dossier sensible du retour des clandestins algériens expulsés de France, ou encore par davantage de transparence concernant les activités des services algériens sur le sol français: enlèvements, séquestrations d’opposants, opérations relevant d’une logique de terreur.

C’est le scénario d’une désescalade, que pourrait dicter un sursaut de pragmatisme algérien.

«Emmanuel Macron, qui a déjà actionné l’arme des visas visant la classe dirigeante, pourrait être tenté de franchir un cap supplémentaire: mettre en pleine lumière les biens mal acquis en France, exposer les avoirs immobiliers et financiers de cette nomenklatura algérienne. »

—  Mustapha Tossa

Mais l’autre option, assumée par le régime, serait celle du rapport de force frontal avec Paris: aucune concession, aucune ouverture.

Une telle logique de défi gèlerait toute coopération bilatérale et pourrait, à terme, conduire à une rupture diplomatique.

Une hypothèse certes improbable au regard des immenses intérêts en jeu, mais qu’il serait imprudent d’écarter totalement.

Par ailleurs, bien que dirigée par un régime militaire dissimulé sous une façade civile, l’Algérie n’est pas à l’abri d’un coup d’État. Un tel scénario ne bouleverserait pas nécessairement la nature du système, mais pourrait faire émerger des clans plus disposés au dialogue avec leur environnement régional, en rupture avec l’isolement assumé par les détenteurs du pouvoir post-Bouteflika.

Si aucune éclaircie ne se dessine à l’horizon des relations entre Paris et Alger, les deux capitales risquent de s’engager dans une logique de défis réciproques.

Emmanuel Macron, qui a déjà actionné l’arme des visas visant la classe dirigeante, pourrait être tenté de franchir un cap supplémentaire: mettre en pleine lumière les biens mal acquis en France, exposer les avoirs immobiliers et financiers de cette nomenklatura algérienne. Celle-là même qui, dans une schizophrénie assumée, dénonce la France le jour avec véhémence et transfère le soir sa fortune — et souvent son avenir — de l’autre côté de la Méditerranée.

Dans ce bras de fer entre Paris et Alger, l’une des grandes craintes françaises est de voir le régime algérien instrumentaliser sa diaspora en France pour créer des turbulences, qu’elles touchent à la paix sociale ou aux équilibres électoraux à venir.

La perspective de militaires algériens manipulant à leur guise une communauté profondément intégrée à la vie politique et économique française alimente un certain fantasme. Car cette diaspora est loin d’être monolithique: diverse, plurielle, elle ne se plie pas comme un seul homme aux injonctions d’Alger. D’autant que les oppositions au régime, qu’elles soient d’inspiration kabyle ou d’obédience démocratique, y sont particulièrement vivaces.

Une autre source d’inquiétude française réside sur le terrain sécuritaire. De nombreux milieux s’interrogent: quels effets cette crise aura-t-elle sur la coopération entre Paris et Alger, en particulier dans la lutte contre le terrorisme?

Avec son ancrage à la fois sahélien et méditerranéen, et sa frontière directe avec l’instabilité libyenne, l’Algérie occupe une position stratégique au cœur d’un véritable “triangle des Bermudes” du terrorisme régional.

Or, la grande angoisse provient de l’opacité qui entoure le rôle réel de ses services dans cet écheveau sécuritaire.

Par Mustapha Tossa
Le 18/08/2025 à 16h03