Évasion spectaculaire de sept enfants en Algérie: l’armée tente laborieusement de se disculper

Saïd Chengriha, chef d'état-major algérien.

Les sept mineurs qui ont fui l’Algérie au début de ce mois vers l’Espagne ont créé une situation inédite en Algérie. Aucune voix officielle au sein du gouvernement ne s’est exprimée jusqu’à présent sur ce scandale. Finalement, c’est l’armée algérienne, à travers sa revue El Djeïch, qui s’est chargée de fournir une communication tirée par les cheveux. Au lieu de reconnaitre une faille sécuritaire, elle a enfoui sa tête dans le sable en expliquant que cette immigration spectaculaire n’est rien d’autre que de la «désinformation» et un «complot» ciblant l’Algérie.

Le 11/09/2025 à 08h00

Une panique sans précédent s’est saisie du régime algérien, au point qu’il ne sait plus à quelle institution se fier pour communiquer, suite à l’onde de choc consécutive à la très explosive affaire des sept clandestins algériens mineurs qui ont réussi à quitter l’un des ports les plus surveillés du pays, sans que l’armée algérienne, en particulier sa marine et garde-côtes, ne les intercepte.

En effet, quand des enfants de moins de 17 ans embarquent à partir d’un port de la capitale algérienne dans un chalutier de pêche pour naviguer vers l’Espagne, cela relève de la faille sécuritaire et met à nu les graves insuffisances, voire l’amateurisme, de l’armée algérienne.

Bien évidemment, il semble que les autorités algériennes auraient d’abord tenté ces derniers jours de négocier avec leurs homologues espagnoles un rapatriement rapide des clandestins mineurs, pour sauver la face de l’armée et étouffer ainsi cette affaire dans l’œuf. Mais l’échec des tractations et la diffusion à grande échelle de cette «harga spectaculaire» sur les réseaux sociaux algériens et dans les médias européens, ont obligé la junte à concocter des explications à ce scandale qui a eu un retentissement mondial.

Ainsi, dès lundi dernier, des porte-voix de l’armée algérienne ont été mis à contribution et ont commencé à distiller, non pas des informations que d’aucuns attendaient sur les sept harragas, mais les éléments de propagande selon lesquels des «mains étrangères» sont derrière l’amplification de cet acte d’immigration clandestine.

Deux journaux arabophones algériens, El Khabar et El Watan ont ainsi eu l’exclusivité de publier un résumé d’un article à paraitre le lendemain (mardi 9 septembre), dans le mensuel de l’armée, El Djeïch, qui a l’habitude d’expliquer les revers de l’Algérie sous un seul angle, celui de la théorie du complot ciblant le pays. Abdelkader Bengrina, le chef du parti islamiste, qui se qualifie lui-même de «khabarji» (espion) du pouvoir, a également été le seul homme politique mis en selle, en vue de se plaindre publiquement de ce qu’il a appelé «l’usage malveillant par les ennemis de l’Algérie» de l’affaire des mineurs clandestins.

Mardi 9 septembre, ce fut le grand déballage dans la presse algérienne. Et pour cause, la parution du numéro de septembre du mensuel El Djeïch va sonner comme un ordre de délier les langues, pour rapporter, à la virgule près, le contenu d’un article de ce mensuel relatif aux sept clandestins mineurs.

Ainsi, tous les journaux et sites algériens, avec à leur tête l’agence de presse officielle (APS), ont choisi un titre quasiment identique pour annoncer que «l’armée» s’est exprimée sur «l’affaire des sept enfants mineurs partis clandestinement depuis Alger». Cette ruée des caisses de résonance a paradoxalement pointé un doigt accusateur sur une armée prompte à fanfaronner sur ses équipements et qui n’a pas vu une embarcation avec sept enfants quitter un port près d’Alger, parcourir pendant trois heures les eaux territoriales algériennes avant d’atteindre, au bout d’un périple de neuf heures, Ibiza.

Cette grave faille rappelle l’enlèvement d’un touriste espagnol, le 14 janvier dernier, par des terroristes armés, qui ont laissé libres son guide et les personnes qui voyageaient avec lui, avant de le conduire en territoire malien. Ce kidnapping avait déjà mis à nu l’incapacité de l’armée algérienne à sécuriser le territoire et les frontières. Avec la grande évasion des sept adolescents, il est clair que ce ne sont pas seulement les frontières terrestres de l’Algérie qui sont une passoire, mais également son littoral.

Ce qui est frappant dans le traitement de cette affaire, c’est qu’aucun média n’a informé sur la date exacte du départ des sept clandestins, date que la revue-source situe vaguement «au début de ce mois de septembre». Ce qui laisse entendre que l’armée ne sait même pas quand ce scandale a commencé, avant qu’il n’éclate à partir des côtes espagnoles.

Ainsi, après avoir gardé un silence forcé durant plus d’une semaine, ces médias ont saisi l’occasion de la sortie du mensuel de l’armée, pour s’abreuver de sa tribune intitulée «Les campagnes de désinformation ne freineront pas la volonté de l’Algérie de protéger sa jeunesse».

Il est vrai, comme commence par le mentionner la revue El Djeïch, que l’immigration clandestine est un phénomène d’ampleur mondiale, sauf que l’Algérie, qui dispose d’importantes ressources pétrolières et gazières, devrait être plutôt un pays d’accueil des immigrés et non pas l’un des plus importants émetteurs de harragas. Cela en supposant bien sûr que cette manne est bien gérée, ce qui est loin d’être le cas.

C’est pour occulter cette réalité et l’incurie de l’armée, qu’El Djeïch a accusé les médias internationaux, en se plaignant d’un traitement différent de celui réservé à des pays plus pauvres que l’Algérie. «Certains médias hostiles ont tenté d’exploiter cet incident pour véhiculer une image erronée de l’Algérie, de son peuple et de ses institutions», se lamente la revue de l’armée. Autrement dit, et contrairement à la réalité quotidienne crue, il n’y aurait ni mauvaise gouvernance en Algérie, ni chômage, ni pauvreté, ni mainmise des hauts gradés de l’armée sur les affaires politico-économiques de tout le pays. Tout cela n’est que «campagnes de désinformation visant à ternir la réputation de notre pays et à discréditer les efforts de l’État devant l’opinion publique nationale et internationale», ajoute la revue militaire.

La revue de l’armée, qui n’a pas donné l’identité des jeunes clandestins, ni celle de leurs parents ou leur lieu de résidence, s’aventure pourtant à avancer que «les enfants concernés étaient encore scolarisés», ce qui invalide «les discours mensongers limitant les causes de cet acte à des considérations sociales ou économiques».

Un avertissement est en revanche lancé aux jeunes internautes algériens qui s’activent sur les réseaux sociaux, car ils seraient «vulnérables» et facilement instrumentalisés «pour dresser un tableau sombre de leur patrie», au service «d’agendas malveillants».

Pour gommer un tant soit peu son impéritie, l’armée s’est rabattu sur ce qu’elle croit être des réalisations (du gouvernement) au profit de la jeunesse, la réalisation phare étant une allocation chômage de seulement 13.000 dinars (500 dirhams), pour écrire dans sa revue que «cette jeunesse est appelée à participer activement au processus de construction de l’Algérie nouvelle: souveraine, forte et prospère grâce à son peuple, son armée et ses institutions». Une fuite en avant en somme qui confirme que si l’embarcation des sept enfants a échappé à la furie de la mer, le navire sur lequel se tiennent les caciques du «Système» prend de l’eau de toutes parts et son naufrage est inévitable.

Sérieusement bousculée par cet «incident qui restera dans l’Histoire», comme l’a qualifié Abderrazak Makri, ancien patron du Mouvement de la société pour la paix (MSP-Islamiste), l’armée aura beau vilipender la théorie du complot et de la main étrangère, l’opération des sept enfants est du même ordre que l’assaut du site gazier d’In Amenas: elle met à nu une armée incapable.

Par Mohammed Ould Boah
Le 11/09/2025 à 08h00