C’était censé être un quart d’heure de gloire pour le chef d’Etat-major algérien Saïd Chengriha, mais «l’événement» a, comme il fallait s’y attendre, été entouré d’une grande discrétion et aucune image ou photographie n’est venue le documenter. Lundi 23 janvier 2023, l’agence de presse officielle algérienne, reprenant un communiqué du ministère de la Défense, nous apprenait que le chef de la junte, en déplacement en France, a été reçu par le président français Emmanuel Macron, «à qui il a remis un message du président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune». L’agence officielle française (AFP) a confirmé la rencontre, relevant son caractère «hautement symbolique», la dernière visite d’un chef d’Etat-major algérien en France remontant au mois de mai 2006 avec Gaïd Saleh, soit il y a 17 ans. Mais sans donner plus de détails. Mieux, Saïd Chengriha est le tout premier patron de l’ANP (Armée nationale populaire) à être reçu en tête-à-tête par un chef d’Etat français depuis l’indépendance du pays voisin, nous confirme Hichem Aboud, célèbre journaliste et chroniqueur algérien. «C’est une première. Jamais un chef militaire ne s’est rendu au palais de l’Elysée», nous précise-t-il.
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Fait tout aussi étonnant, aucune image de la rencontre n’a filtré. Nous sommes loin des rafales de photos prises lors du déplacement de Macron en Algérie en août 2022, au cours duquel le chef d’Etat français a été photographié face au chef de l’armée algérienne, notamment sur la tarmac de l’aéroport d’Alger au moment de quitter le pays voisin. À Paris, seules des images de Chengriha reçu à son arrivée par le général Eric Peltier, chargé des relations internationales militaires auprès du commandement de l’Etat-major des armées françaises, ou accueilli par son homologue Thierry Burkhard, ou encore le ministre français des Armées, Sebastien Lecornu, ont été publiées.
De l’entrevue Chengriha-Macron, on n’en saura pas davantage. Certains voient en l’absence d’images des considérations de protocole. «La réception accordée à Chengriha n’a pas vocation à être publique dans la mesure où ce dernier n’a pas qualité de chef d’Etat ou de gouvernement étranger. Ceci, en sachant qu’il est bien le numéro 1 du système politique algérien. L’absence d’images documentant cette rencontre est supposée signifier qu’il ne s’agit donc pas d’une réception officielle», explique Mohamed Chiker, chercheur spécialisé en diplomatie et en affaire militaires.
D’autres affirment que le chef d’Etat français s’est gardé de s’afficher avec le chef d’une junte au passé lourd et dont le nom est associé, entre autres, aux exactions commises du temps de la décennie noire. Pour rappel, alors colonel, Saïd Chengriha a été, notamment, accusé d’avoir exécuté un civil désarmé d’une balle dans la tête. Ce crime a été décrit par l’un des témoins oculaires, un officier qui servait sous les ordres de Chengriha et qui a pris part à une patrouille composée de cinq véhicules tout-terrain. Un crime documenté par l’ancien officier parachutiste algérien Habib Souaidia, actuellement exilé en France, dans son livre La sale guerre. Le témoignage d’un ancien officier des forces spéciales de l’armée algérienne, publié en 2001.
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Chiker souligne néanmoins qu’en annonçant la rencontre, Macron a voulu cautionner et marquer le caractère important de cette visite et de ce qui en aurait découlé en termes d’accords et de décisions. Il évoque sur ce registre de futurs contrats d’armement à même de pallier l’inefficience du matériel russe qui constitue le plus gros du stock d’armes de l’ANP. «Il s’agirait aussi des prémices d’une alliance militaire qui se veut une réponse à celle du Maroc avec les Etats-Unis et Israël», nous dit-il. «Pour l’heure, le président français semble aussi déterminé à aller de l’avant dans son opération séduction vis-à-vis du pouvoir algérien, mais sans vouloir se mouiller au point de la documenter par une iconographie. Recevoir à l’Elysée le chef d’un régime militaire tout en se gardant de donner à voir le face-à-face est probablement significatif d’une certaine gêne», nous indique cet ancien diplomate.
En tout cas, cette réception est emblématique d’une forme d’égarement aussi. Le sentiment antifrançais ne s’est jamais autant exacerbé en Afrique que depuis que Macron est à la tête de la France. Ce sentiment se manifeste par un désarroi et des interrogations au sein même des sphères qui étaient les plus francophiles, et par des actions inédites de pays comme le Mali et récemment le Burkina Faso qui a sommé les militaires français de quitter le pays. Si Macron pense que le régime d’Alger va suppléer la présence française au Sahel, c’est très mal connaître à la fois les capacités réelles de cette armée et les guerres intestines entre les clans qui la rongent. L’une des ailes les plus influentes de l’armée algérienne reste attachée à l’allié traditionnel russe. Le régime d’Alger ne peut pas opérer un rapprochement militaire avec la France, et faire le service après-vente à sa place au Sahel, et rester «en même temps» l’allié de la Russie.