Elyes Kasri, ancien ambassadeur de Tunisie, appelle à récupérer les territoires tunisiens spoliés par l’Algérie

Elyes Kasri, analyste politique et ancien ambassadeur de Tunisie , notamment en Allemagne, au Japon, en Inde et en Corée du Sud.

Elyes Kasri, analyste politique et ancien ambassadeur de Tunisie , notamment en Allemagne, au Japon, en Inde et en Corée du Sud.

Quelques jours après l’adoption de la résolution 2797 par le Conseil de sécurité de l’ONU sur le Sahara, Elyes Kasri, analyste politique et ancien diplomate tunisien, a non seulement salué cette avancée mais en a surtout profité pour rappeler à ses concitoyens la spoliation de 20.000 Km² de terres tunisiennes par l’Algérie. Il a appelé à emboiter le pas au Maroc pour récupérer les territoires tunisiens amputés par l’Algérie française et qui font la richesse de l’Algérie post 1962.

Le 04/11/2025 à 14h49

La nouvelle résolution 2797 qui consacre la souveraineté marocaine sur le Sahara, adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 31 octobre, n’en finit pas de faire couler de l’encre. Applaudie à travers le monde, décriée sans surprise en Algérie, cette résolution suscite également un grand débat en Tunisie où elle ne laisse personne indifférent et confronte deux camps, les partisans du «khawatisme» (frère-frère) avec les Algériens, et les autres, ceux qui n’ont pas oublié qu’une partie de la Tunisie sous protectorat français lui a été prise par la France au profit de l’Algérie voisine, laquelle, malgré ses promesses, n’a jamais consenti à les lui rendre. Un cas de figure qui rappelle celui du Maroc et du Sahara oriental.

La fin de la fiction sahraouie signe la fin du mensonge algérien

Parmi les voix qui s’élèvent contre cette injustice faite à l’Histoire contemporaine, Elyes Kasri, analyste politique et ancien diplomate ayant officié pendant plus de 40 ans en tant qu’ambassadeur de Tunisie dans plusieurs pays, notamment en Allemagne, au Japon, en Inde et en Corée du Sud. À l’annonce du vote en faveur de la résolution par le Conseil de sécurité de l’ONU, celui-ci n’a pas manqué de faire part de son enthousiasme, saluant dans un post publié sur Facebook le 1er novembre, la fin de «la fiction subversive et corrosive pour le continent africain et surtout pour le Maghreb de la prétendue république sahraouie» et pressentant «le changement profond introduit par cette nouvelle résolution du Conseil de sécurité», soulignant que ledit changement «ne manquera pas de faire des vagues à l’intérieur du régime algérien qui a bâti au cours du dernier demi-siècle sa légitimité sur les deux affaires de Palestine et du Sahara occidental qui ont fini par le marginaliser à l’intérieur et à l’international».

Mais ce que tient surtout à rappeler Elyes Kasri dans ses différentes publications, c’est un pan de l’histoire de la Tunisie, occulté par une politique pro-algérienne qui favorise un aveuglement général et un déséquilibre dans la région du Maghreb. Ainsi, écrit l’ancien diplomate, «en dépit des difficultés auxquelles fait face le continent africain, le Maghreb reste, malgré toutes ses richesses, la sous-région la plus dysfonctionnelle et la moins intégrée du continent».

En guise d’argument, celui-ci rappelle au bon souvenir de ses concitoyens frappés d’amnésie que «les territoires et les hydrocarbures spoliés à tous les voisins de l’Algérie auront permis à la clique de la Mouradia de déstabiliser le continent, et en particulier son voisinage maghrébin et sahélien, pendant un demi-siècle avant que le monde entier ne se rende enfin compte que cette affaire, présentée d’une manière grandiloquente et abusive comme un dossier de décolonisation, est en fait une feuille de vigne d’un régime à la légitimité chancelante, d’un pays fruit d’un recel territorial colonial au détriment de tous ses voisins y compris la Tunisie (…)».

Du Sahara oriental au Grand Erg oriental, ces territoires spoliés qui font la richesse de l’Algérie

Elyes Kasri choisit ainsi de s’emparer de la récente victoire du Maroc dans l’affirmation de sa souveraineté sur un territoire qui lui a été arraché par la colonisation espagnole et française, pour faire un parallèle avec l’histoire de la Tunisie. «Certains citoyens frappés par le virus de khawakhawite persistent contre toute logique à glorifier avec une obséquiosité suspecte la prétendue grande sœur qui a pourtant spolié plus de 20.000 kilomètres de leur territoire national avec d’appréciables richesses énergétiques, hydriques et minérales», dénonce-t-il ainsi.

Et de poursuivre avec la même véhémence, «les adeptes de ‘winou el pétrole’ (où est le pétrole?), finiront-ils un jour par prendre conscience que le pétrole et le gaz qui nous sont servis au compte-goutte, et notre eau qui est détournée avec une volonté évidente d’asservissement, gagneraient à être revendiqués et que tant que ces territoires et richesses n’auront pas été récupérés, il serait illusoire de prétendre que la Tunisie est totalement indépendante et exerce sa pleine souveraineté sur l’intégralité de son territoire national».

Elyes Kasri fait ici allusion à l’un des plus grands contentieux de l’Histoire et dans le même temps, l’un des plus méconnus. C’est l’histoire d’une spoliation conduite par la France en faveur de l’Algérie française, au détriment de la Tunisie qui était alors sous statut de protectorat. Les territoires spoliés à la Tunisie, dans un découpage tracé à la règle, couvrent une superficie de 20.000 km², soit un territoire plus vaste que le Koweit (17.818 km²), dans le Grand Erg oriental, allant de Fort Saint jusqu’à Garat El Hamel.

Une situation identique à celle vécue par le Maroc qui, en plus de ses provinces du Sud, a aussi été amputé par la France en faveur de l’Algérie de ses terres comprises entre Figuig et la région du Touat d’une part, et entre le Drâa et les actuelles frontières de la Mauritanie et du Mali, d’autre part. Dans le cas du Maroc comme de la Tunisie, si la question frontalière a été érigée au rang de priorité nationale dès les guerres d’indépendance, contre toute attente, lorsque l’Algérie accéda à son indépendance en juillet 1962– avec l’aide du Maroc et de la Tunisie– la promesse faite en amont par le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) de discuter des questions frontalières «entre frères», fut tout simplement jetée aux orties avec l’adoption sous Ben Bella, puis Boumediene, d’une position qui perdure encore aujourd’hui: ne pas rétrocéder les territoires accordés par la France. Un comble pour un pays autoproclamé champion de la lutte contre le colonialisme et ses injustices.

Cette injustice doublée d’une trahison s’explique par les richesses qui se cachent sous la terre aride des territoires spoliés, à l’Ouest comme à l’Est. Ainsi, si le Sahara Oriental regorge d’importantes ressources en eau souterraines, en minerais de hautes valeurs et en réserves d’énergies fossiles, l’Est algérien spolié à la Tunisie est une véritable manne d’hydrocarbures qui représente d’ailleurs le pilier de l’économie des hydrocarbures algérienne. Ainsi, ces gisements frontaliers représentent-ils des réserves de près de 6 milliards de barils, soit approximativement 11% des réserves totales du pays.

La position de la Tunisie, de Bourguiba à nos jours

Le président tunisien Bourguiba, qui fit de la question frontalière et de la récupération par la Tunisie de ce territoire de 20.000 km², le combat d’une vie, se heurta de plein fouet à cette trahison algérienne. Bien qu’ayant scellé un accord, en janvier 1964 lors de la conférence du Caire, avec Ben Bella, lequel stipulait que ce territoire serait rendu à la Tunisie, ledit accord ne fut jamais concrétisé ni par celui-ci, ni par Boumediene qui lui succéda. Et pour cause, il avait été énoncé sous le sceau d’une promesse, d’une parole donnée, chose qui n’a aucune valeur en Algérie comme en témoigne l’histoire. Au fil des ans, la Tunisie se retrouva en position de faiblesse économique et fut contrainte en 1968 d’officialiser le tracé de la frontière.

«Les bourguibistes authentiques ou de circonstance gagneraient, pour leur part, à méditer le discours du leader Bourguiba du 5 février 1959 sur les droits historiques de la Tunisie sur le Sahara bien avant qu’il ne soit amoindri par la maladie, les combines de cour et le traumatisme de l’attaque terroriste de Gafsa en janvier 1980, concoctée par nos voisins et (faux) frères libyens et algériens», dénonce ainsi dans un post sur Facebook Elyes Kasri.

Depuis cette capitulation, bien que la plaie ne soit pas refermée chez bon nombre de Tunisiens dans les cercles intellectuels et nationalistes qui gardent en mémoire cette trahison, le pays a pourtant opté pour la résignation et la coopération avec l’Etat algérien, lequel s’est enrichi au fil des ans grâce aux richesses des territoires volés à ses voisins. Elyes Kasri critique ainsi, dans le même temps, la position de «ceux qui se donnaient l’illusion que les concessions territoriales à un régime algérien peu reconnaissant des sacrifices faits par la Tunisie pour son indépendance, allaient donner à la Tunisie l’amitié et le respect de ce régime ainsi que le développement et la prospérité, devront sérieusement se remettre en question».

Appelant à «un devoir de mémoire ainsi que de préservation et de passation d’un patrimoine territorial légitime aux générations futures», l’ancien diplomate tunisien s’interroge: «Avons-nous le droit et l’autorité morale d’y renoncer?», en l’occurrence renoncer au pétrole et à l’eau qui se trouvent à l’ouest.

Car, aux yeux de l’analyste politique, ne pas défendre ces intérêts s’apparente à une trahison à la patrie, à de la «couardise» et à la «soumission à l’occupant étranger». En effet, argue-t-il, «les anciens collabos d’ommok Akri cèdent la place aux adeptes de la khawakhawite qui refusent obstinément, par aveuglement idéologique ou par instinct de soumission avec des relents masochistes et anti-patriotiques, d’admettre la défaite stratégique du régime algérien et la mise à nu implicite de sa gloutonnerie territoriale au détriment de ses voisins, en se mettant pour une fois du côté de la souveraineté de la Tunisie et de son intégrité territoriale».

L’Algérie face au cours inéluctable de l’Histoire

La colère d’Elyes Kasri est à la mesure de son indignation et sur la même lancée, s’adresse-t-il directement à l’Algérie dans les posts publiés depuis le 31 octobre, renvoyant le pays dos à dos avec ses mensonges éhontés et piétinant les fausses apparences sous lesquelles se drape ce pays qui a fait de la décolonisation son pseudo combat.

Elyes Kasri se refuse à se ranger du côté des «défaitistes» qui se prévalent de l’intangibilité des frontières pour dénigrer toute requête de restitution des territoires illégalement et injustement octroyés par les ex-puissances coloniales dans plusieurs pays.

La décision de l’Algérie de ne pas restituer ces territoires est qualifiée par le diplomate de «péché moral de perpétuation du crime de pillage territorial par les ex-puissances coloniales, assimilable à un crime de guerre». Et d’accuser l’Algérie dans le même temps d’«être un obstacle à la stabilité et au développement économique de toutes les régions d’Afrique en particulier l’Afrique du nord et du Sahel».

À ses yeux, «perpétuer les frontières tracées par les puissances coloniales au détriment de leurs voisins pour des considérations propres aux puissances coloniales ferait de ces pays décolonisés des héritiers et plus précisément des receleurs de territoires et de richesses volés par la force armée». Par ailleurs, le fait de «recourir à l’argument fallacieux de justification de la perpétuation de ce pillage territorial avec ce qu’il peut renfermer de richesses et de moyens de développement pour des peuples voisins, par le nombre de martyrs de la lutte pour la libération nationale, serait déshonorer la cause d’émancipation du joug colonial, d’indépendance et de liberté pour laquelle ces combattants ont fait le sacrifice suprême».

Elyes Kasri l’affirme haut et fort: «L’Algérie a l’obligation historique et morale de rendre à tous ses voisins les territoires que s’est octroyés pour son compte la France en pensant que l’Algérie lui appartiendrait éternellement».

Et si tel n’était pas le cas, prédit l’ancien ambassadeur de Tunisie, «ni les armes, ni le soudoiement par les fruits du recel des richesses volées servies en contrats de faveur ou en valises de dollars et d’euros n’assureront à l’Algérie ni la paix ni la respectabilité surtout après la chute de la feuille de vigne du Sahara Occidental et la prise de conscience par la communauté internationale de la véritable nature prédatrice et autocratique de ce régime, ainsi que sa politique systématique de déstabilisation de ses voisins par différents moyens y compris la subversion et le terrorisme».

Et de conclure par une prédiction qui s’est avérée à plusieurs reprises au fil du temps et qui sonne comme une mise en garde à l’adresse du régime d’Alger: «L’histoire est pleine de retournements et la volonté des peuples, et leur attachement à la terre de leurs ancêtres, est similaire à une rivière qui finit toujours par rejoindre son lit naturel».

Par Zineb Ibnouzahir
Le 04/11/2025 à 14h49