Le 18 octobre, le député Frédéric Petit (MODEM, Centre), en sa qualité de rapporteur, a présenté devant la Commission des affaires étrangères un rapport pour avis, relatif à l’action extérieure de l’État et plus précisément à la diplomatie culturelle et d’influence de la France.
Dans ce rapport de 70 pages, qui n’a pas encore été rendu public, mais que Le360 a pu consulter, le député a choisi de consacrer sa seconde partie à l’action culturelle et à la coopération en Algérie, où il s’est rendu en mission lors d’un déplacement à Alger et Oran, en septembre dernier.
Après y avoir rencontré de nombreux diplomates, membres de la société civile et entrepreneurs, Frédéric Petit fait état, sans aucune concession, des rapports désastreux entre la France et l’Algérie, lesquels incitent l’auteur de ce rapport à prôner les bienfaits d’une diplomatie non gouvernementale pour surmonter les blocages politiques. En d’autres termes, il recommande d’enjamber le pouvoir en place pour maintenir des liens avec la société algérienne.
La diplomatie des chancelleries vs la diplomatie des sociétés civiles
«Il est peu de pays hors de l’Union européenne avec lesquels la France entretient des liens aussi denses que l’Algérie, en une relation qui paraît tout aussi foisonnante au plan humain que dysfonctionnelle au plan politique», annonce Frédéric Petit en un préambule qui résume bien les relations franco-algériennes. Ces liens butent contre les blocages systématiques du système en place, en dépit des initiatives pro-algériennes menées par la présidence de la République française.
Car malgré les ambitions affichées de relance de la coopération franco-algérienne, portées en moins de vingt ans par trois présidents français, de Jacques Chirac à François Hollande et Emmanuel Macron, force est de constater qu’aucune des annonces d’écrire une nouvelle page n’a abouti, en raison des blocages structurels du régime d’Alger. À cette réalité, la position de la France, en tant que deuxième fournisseur, deuxième client, et l’un des principaux investisseurs en Algérie, ne change rien et «n’a pas, jusqu’à présent, constitué un vecteur d’amélioration d’ensemble de la relation franco-algérienne».
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Dès lors, le but de ce rapport est d’examiner de près les différents leviers de coopération à même d’être activés par les postes diplomatiques et consulaires français, car, estime-t-on, «la diplomatie des chancelleries» est sujette à caution et, a contrario, la «diplomatie non gouvernementale», celle portée par les sociétés civiles, s’impose quant à elle par sa consistance et ses potentialités, notamment en matière de culture, de francophonie, de mobilités étudiantes et d’échanges économiques.
Face aux faux-semblants politiques et à l’instrumentalisation du passé par le «Système», s’imposent ainsi les nombreuses attentes de la jeunesse algérienne auxquelles la France entend répondre, coûte que coûte, pour mieux préserver ses propres intérêts en Algérie.
La feuille de route d’Emmanuel Macron vouée à l’échec
Établissement d’un Haut-Conseil de coopération franco-algérien au niveau des chefs d’État, dialogue mémoriel par l’établissement d’une commission conjointe d’historiens français et algériens, renforcement de la coopération culturelle, scientifique et économique… autant de belles ambitions qui ont fait l’objet d’une feuille de route concoctée après la visite d’Emmanuel Macron à Alger en 2022, mais qui risquent fort de ne jamais aboutir.
En effet, entrevoit d’ores et déjà Frédéric Petit, «s’il est fort possible que certains des chantiers annoncés trouvent quelques traductions concrètes dans les prochaines années, il fait peu de doute que cette nouvelle relance de la coopération va buter sur les mêmes obstacles que les précédentes tentatives, à l’exemple de la déclaration d’Alger du 2 mars 2003, censée préparer un traité d’amitié entre les deux pays, qui n’a jamais été élaboré».
Preuve en est la dernière séquence franco-algérienne, rapidement suivie par un épisode de tensions bilatérales, entre février et mars 2023, lorsque l’Algérie a décidé «de rappeler pour consultations son ambassadeur en France après la décision de la France d’exercer la protection consulaire au profit de la militante franco-algérienne Amira Bouraoui, alors qu’elle se trouvait en Tunisie».
Les appels échangés entre chefs d’État pour «lever les incompréhensions» n’y auront rien changé, car de l’avis du rapporteur, «les aléas de la coopération franco-algérienne ne sauraient se résumer à une chronique diplomatique». En effet, de nombreux intervenants rencontrés par le rapporteur en Algérie et cités par celui-ci considèrent, de façon structurelle, que «les accords signés n’engagent pas le partenaire algérien». Ainsi, «toute approche strictement institutionnelle semble en effet buter irrémédiablement, en Algérie, sur des obstacles sans cesse renouvelés qui trouvent leur origine dans l’organisation même de l’État algérien», résume l’auteur du rapport.
Cela rappelle d’ailleurs ce qu’ont constaté, durant leur mission gouvernementale qui a duré cinq ans en Algérie, les deux experts français Jean-Louis Levet et Paul Tolila. Ils ont rapporté dans un livre, intitulé «Le Mal algérien», comment le correspondant algérien de la partie étrangère peut disparaître du jour au lendemain sans explication et sans laisser de trace. «Cette perte de l’interlocuteur algérien est une sorte de classique pour dire “non” et se débarrasser de projets dont on ne veut plus, sans se donner la peine d’expliquer pourquoi», commentent les deux auteurs.
Ces derniers expliquent qu’avec des interlocuteurs algériens qui utilisent des adresses e-mails privées, il devient très difficile d’avoir accès aux institutions. D’où ce commentaire sans appel: «Cette attitude est certainement une des plus néfastes, des plus redoutables pour le développement et la réputation de l’Algérie dans les opérations de partenariat économique: elle témoigne d’une extrême désinvolture à l’égard des contrats signés et augmente les craintes des entreprises étrangères envers un pays où règne une grande insécurité juridique».
Le système algérien, à l’origine du mal
Pour mieux comprendre les raisons pour lesquelles les ambitions présidentielles françaises en Algérie ne peuvent pas aboutir, Frédéric Petit cite d’ailleurs l’ouvrage de Jean-Louis Levet et Paul Tolila.
Dans ce livre paru en 2023, ces fins connaisseurs de l’Algérie décrivent les rouages d’un système prétorien, «contrôlant tous les leviers du pouvoir, et pour lequel toute forme de coopération avec la France susceptible de présenter un intérêt pour la société algérienne est une considération de second ordre par rapport aux préoccupations de maintien de sa propre sécurité, de surveillance de la population et d’administration de la rente énergétique», résume Frédéric Petit.
Le rapporteur et les deux auteurs du livre «Le Mal algérien» partagent les mêmes constats, opposant d’un côté «l’intérêt envers la France de la part de pans entiers de la société algérienne et des opportunités considérables qui peuvent en résulter et, d’autre part, d’un État constituant le principal goulot d’étranglement de la société algérienne tout entière et, a fortiori, d’une coopération viable avec la France».
Ainsi, à titre d’exemple, malgré son ancienneté, la Chambre de commerce et d’industrie algéro-française (CCIAF) «n’est pas autorisée à entrer directement en contact avec les administrations algériennes et doit systématiquement solliciter le truchement du service économique régional de l’ambassade de France, qui adresse des notes verbales à la partie algérienne…», souligne Frédéric Petit.
Le député souligne aussi ce constat, sans appel, en Algérie: «L’instabilité, l’illisibilité et la précarité de l’administration, y compris aux plus hauts niveaux hiérarchiques, (…) rendent très difficile l’identification d’interlocuteurs pérennes avec qui mener des projets sur la durée».
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Tout changement est ainsi susceptible de bousculer des réseaux et des intérêts puissants en place, et dès lors, «les ministres comme leurs administrations hésitent à prendre des initiatives sur fond de crainte de règlements de comptes instrumentalisant les procédures judiciaires». Ainsi, dans ce pays où l’immobilisme et le silence sont de mise, «les projets sont fréquemment remis en cause en raison d’un fort turn-over des ministres, des hauts fonctionnaires et des walis».
L’hostilité à la France, un fonds de commerce
Au-delà du fonctionnement d’un système politique corrompu qui entretient sciemment son opacité, et que la France peine toujours à déchiffrer, Frédéric Petit s’intéresse dans ce rapport aux «solides points d’ancrage» d’une hostilité à la France nourrie au sein de la société et qui hypothèque de fait toute perspective de coopération interétatique.
L’Algérie n’a en effet aucun intérêt à promouvoir une relation franco-algérienne pacifiée et apaisée, comprend-on dans l’analyse du député français. Et pour cause, l’hostilité à la France est un fonds de commerce en Algérie. Cette rente mémorielle rapporte gros à «au moins 12 millions d’Algériens (qui) peuvent se rattacher à la famille révolutionnaire, c’est-à-dire aux descendants des combattants réels ou supposés de la guerre d’indépendance», énumère-t-il. Tous «bénéficient, à ce titre, d’avantages importants accordés par le ministère des Moudjahidines et des ayants droit» et, de fait, «leur position privilégiée dans la société est donc tributaire de la perpétuation d’un discours anti-Français».
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Si le rapporteur pour avis se félicite «de l’attention sincère portée par le chef de l’État aux enjeux de l’histoire franco-algérienne, par une série de gestes mesurés, ayant eu un large retentissement en France, et éloignés de toute instrumentalisation politique du passé», il y oppose une tout autre position côté algérien. «Sur un sujet aussi central à la légitimation du pouvoir algérien que la colonisation et la guerre d’indépendance, une coopération bilatérale très institutionnelle paraît condamnée à une impasse, plus immanquablement encore que les autres formes de relations bilatérales très institutionnelles», juge Frédéric Petit. En effet, «en Algérie, la référence à la guerre n’a pas seulement une dimension rhétorique: elle est le fondement politico-religieux du régime».
Il n’est dès lors pas surprenant, selon Frédéric Petit, qu’au sein de la commission conjointe d’historiens mise en place par les deux pays, «l’Algérie ait désigné exclusivement des universitaires tenant de l’approche la plus dure. Le plus jeune d’entre eux, qui a pourtant effectué sa thèse à l’université d’Aix-Marseille, tiendrait même désormais les propos les plus caricaturaux».
Le renforcement du sentiment anti-Français, une politique publique
Pour Frédéric Petit, ce discours constant d’hostilité à la France trouve aussi ses racines dans «les progrès constants de l’islamisme au sein de la société», notables tant au niveau de «la victoire sociale des normes religieuses et conservatrices», qu’au niveau «du renforcement de la présence des religieux dans la sphère publique, mais également dans l’enseignement et l’université». Dès lors, tout rapprochement entre dirigeants politiques franco-algériens est rendu quasi impossible, juge l’auteur.
Mais de la même manière que l’islamisme et le discours anti-Français qu’il véhicule bénéficient de «l’appui tacite des autorités», force est de constater que «des politiques publiques, conduites avec plus ou moins de détermination depuis désormais deux générations, visent à faire reculer l’usage de la langue française», avec pour conséquence directe la fragilisation des élites francophones et le renforcement des sentiments anti-Français.
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Comme illustration, Frédéric Petit oppose le seul «Lycée français» (le LIAD) que compte l’Algérie, aux dix-sept établissements établis au Maroc. Cet unique établissement, aujourd’hui «totalement saturé», croule littéralement sous les demandes d’inscription, mais sans pouvoir les accepter. Et pour cause, explique l’auteur, «ces niveaux excessifs de sollicitation du LIAD sont la conséquence des obstacles mis par l’administration algérienne, non seulement à l’ouverture d’un nouveau lycée français, mais surtout aux initiatives des établissements privés algériens pour dispenser, en tout ou partie, un enseignement français ou en français».
Le député a ainsi pu constater «le déchirement des familles qui ne peuvent plus scolariser leurs enfants dans un environnement bilingue francophone et qui ont témoigné des moyens déplorables de pression sur les établissements, comme des contrôles de police pour s’assurer que les cartables des enfants ne contiennent pas de manuels scolaires français».
Le remplacement de la langue française
Dans cette volonté des autorités algériennes d’effacer la langue française du quotidien des Algériens, il y a certes un signe d’hostilité à la France, mais il y a aussi une volonté de remplacer une culture par une autre. «Le refus de laisser se développer un enseignement scolaire français ou francophone» résulte, pour l’auteur, «d’une stratégie d’arabisation mise en œuvre, par vagues successives, depuis près de quarante ans et qui se double désormais d’une volonté de remplacement complet de la langue française par l’anglais à l’université».
Et pour amorcer ce grand virage, les autorités algériennes n’entendent pas s’encombrer avec des échéances à long terme. Le ministre algérien de l’Enseignement supérieur n’a-t-il pas annoncé, au début de cette année, que, dès la rentrée 2023, l’ensemble des enseignements non dispensés en arabe le seront désormais en anglais?
Une décision consternante pour de nombreux interlocuteurs algériens rencontrés par le député, car cette volonté des autorités algériennes ne correspond en rien à la réalité académique d’un pays où, à titre d’exemple, «tout le cursus des études algériennes en médecine s’effectue en français».
D’autant aussi que «les choix des étudiants algériens qui souhaitent entreprendre des études à l’étranger offrent un contraste saisissant avec le refus, ouvert ou tacite, du gouvernement d’engager des coopérations universitaires avec la France». La France reçoit en effet 79% de la mobilité étudiante algérienne, loin devant le Canada et la Turquie. Ainsi, «les 32.147 étudiants algériens en France à la rentrée universitaire 2022-2023 représentaient le deuxième contingent des étudiants étrangers, derrière le Maroc et devant la Chine».
Qu’à cela ne tienne. À ce calendrier illusoire qui débute à la rentrée scolaire 2023, les décisionnaires opposent leur volonté d’accueillir des étudiants étrangers et une université américaine illico presto (mais sans pour autant qu’une date ait été annoncée à ce jour) et, afin de parachever leur œuvre de sape, annoncent la fin de l’organisation de l’enseignement supérieur selon le système LMD (Licence-Master-Doctorat) utilisé dans l’Union européenne, afin de se rapprocher d’un système anglo-américain.
Mais faute d’être en mesure d’accueillir en cette rentrée ces étudiants étrangers et cette université américaine, l’interdiction faite aux enseignants universitaires et aux étudiants algériens «de participer à des manifestations scientifiques internationales sans obtenir au préalable l’accord du ministère algérien de l’Enseignement supérieur» est quant à elle opérationnelle depuis août 2023.
Ce «grand remplacement» ne se cantonne pas à la sphère de l’éducation, mais touche également la coopération technique entre les deux pays. En effet, le rapporteur pour avis souligne le fait que «le format européen est une condition importante pour que la France avance en Algérie» et «recommande que la feuille de route de l’ambassadeur lui donne expressément pour mission de mobiliser prioritairement les processus de coopération européenne et d’utiliser le canal européen pour déployer les outils de coopération français». Et pour cause, explique Frédéric Petit, «l’Algérie accepte des partenariats de ce type lorsqu’ils sont formellement initiés par l’Union européenne, mais pas en règle générale avec la France». En effet, en Algérie, l’Agence française de développement (AFD) est limitée aux dons depuis 2005.
Le seul avenir de la France en Algérie se dessine loin des institutions
Si la diplomatie des chancelleries bute, en Algérie, sur un désintérêt du partenaire institutionnel, voire sur certaines de ses orientations stratégiques qui sont directement hostiles, Frédéric Petit a pu mesurer, lors de son déplacement à Alger et à Oran, «que les réseaux de coopération culturelle français peuvent encore agir et contribuer à des mises en relation constructives des sociétés française et algérienne».
Dès lors, la stratégie française pour renforcer sa présence en Algérie est de nouer des liens avec la société civile. Pour ce faire, Frédéric Petit énumère les quelques avantages dont dispose encore la France en Algérie, notamment via le Service de coopération et d’action culturelle (SCAC), ou encore le réseau des Instituts français qui dispose de cinq antennes et seize implantations au total.
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C’est précisément sur les Instituts français que mise le rapporteur pour aller à la rencontre de la jeunesse algérienne et des artistes qui fréquentent assidûment ces endroits, en l’absence de lieux destinés à la culture dans le pays. Ainsi, là où la diplomatie des ambassades échoue, on applaudit ce canal culturel qui permet de maintenir une communication «de bonne politique» avec la société civile.
Au-delà de ces canaux culturels, l’action du SCAC se trouve être très limitée dans un pays où le contrôle administratif pèse lourdement sur les associations, et où certaines, comme Caritas ou Médecins du monde, ont dû cesser leurs activités faute d’avoir reçu un agrément. Le but du SCAC est donc de parvenir à «promouvoir des liens entre les sociétés civiles algérienne et française, même autour de questions politiques, culturelles ou sociales dont l’expression est difficile en Algérie, en s’appuyant sur des initiatives locales courageuses», notamment le soutien des associations féministes, qui luttent contre les violences à l’égard des femmes et des filles, ou d’aide aux femmes migrantes.
Enfin, l’enjeu est aussi, pour la diplomatie française, «d’identifier les personnalités d’avenir en Algérie susceptibles de contribuer à une refonte de nos relations à long terme». Autant dire qu’il faut laisser le temps œuvrer pour espérer tourner la page des gérontes qui veillent sur le Système en Algérie.