Vendredi 18 juillet, en début de soirée, les télévisions et radios publiques algériennes ont diffusé en différé un nouvel épisode de ce qu’elles appellent une «rencontre périodique du chef de l’Etat avec les médias nationaux». La posture d’Abdelmadjid Tebboune est à l’image de la situation politico-socioéconomique. On voit un homme vouté, affaissé sur une chaise, les jambes exagérément écartées. Ce n’est pas ainsi que se tiennent les hommes d’Etat. Et cette posture agit à la manière d’un miroir de vérité pour le régime d’Alger.
Contrairement à ses précédentes entrevues télévisées, Tebboune a été un peu bousculé par nombre de questions des journalistes.
Le plus gros feu d’artifice a été tiré, en fin d’interview, par le journaliste-animateur, Mohamed Ousmani, directeur de l’information d’Ennahar TV.
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Quand le président a affirmé que l’Algérie ne dérogerait jamais à ses principes, quelle que soit la conjoncture mondiale, le journaliste a rétorqué que c’est précisément cet entêtement et ce manque de pragmatisme qui sont à l’origine des revers diplomatiques constants de l’Algérie, en référence notamment au dossier du Sahara marocain.
Surpris par le caractère franc et direct de cette remarque-question, Tebboune a tenté de mettre le journaliste au défi de lui citer un exemple de ces revers. Plutôt que d’enfoncer des portes ouvertes en rappelant les reconnaissances de la marocanité du Sahara par les États-Unis, la France, l’Espagne le Royaume-Uni, nombre de pays africains et jusqu’au parti de l’ancien président sud-africain, Jacob Zuma, le journaliste lui a rétorqué qu’au «niveau du voisinage, les relations doivent être basées sur le pragmatisme, qui reste la pierre angulaire de la diplomatie et des relations internationales».
D’un ton menaçant à peine voilé, Tebboune lui a répliqué en lui demandant si’il était question «d’abandonner son soutien au Polisario et de devenir ainsi un impérialiste». Et d’ajouter que «le Sahara occidental est reconnu par la moitié des pays membres de l’Union africaine et par plus de 55 pays à travers le monde».
Réitérant son intimidation, Tebboune a insinué avoir percé les «soubassements» de la question du journaliste, à savoir que le soutien de l’Algérie au Polisario n’aurait généré que des inimitiés. Il a ainsi laissé entendre que la question posée par le journaliste lui avait été suggérée par autrui.
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Avant cela, le journaliste avait d’abord essuyé un regard foudroyant de Tebboune lorsqu’il avait osé demander le domaine précis d’un investissement claironné de 20 milliards de dollars en Algérie par un homme d’affaires malaisien. Tebboune, qui se vantait de l’accord, a livré une réponse qui devrait en effet rester dans les annales: «dans le domaine de l’industrie!»
Quant au deuxième journaliste, rédacteur en chef de la radio Ifrikya FM, il a soulevé la remarque de nombreux médias internationaux qui décrivent régulièrement l’Algérie comme un pays isolé sur les plans régional et mondial.
Tebboune a bien évidemment nié cette réalité, se contentant de l’attribuer à des «manœuvres quotidiennes» de la part des détracteurs de l’Algérie.
Bien que la crise avec la France n’ait pas été abordée, Tebboune a accusé le Niger d’ingratitude pour avoir soutenu les «putschistes» du Mali dans leur bras de fer avec l’Algérie, en rappelant son ambassadeur à Alger. Selon lui, Alger a mis en échec une opération militaire qu’un «Etat européen» (la France) voulait mener à Niamey pour rétablir le pouvoir civil de Mohamed Bazoum.
Concernant une question sur les taxes américaines de 30% imposées à l’Algérie, Tebboune s’est totalement aplati, en qualifiant les USA de pays ami et en reconnaissant à Donald Trump son «droit souverain» de fixer les taxes qu’il veut.
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Le président Tebboune a ouvert les débats sur une note prévisiblement optimiste, répondant à une première question sur la situation générale en Algérie par un sentiment de «tout va bien dans le meilleur des pays possibles». Il a assuré que le programme de son second mandat se déroule conformément aux trois horizons fixés: fin 2025, fin 2027 et la fin de son mandat en 2029. En attendant, et au cas improbable où il ne serait pas emporté par la lutte des clans qui bat actuellement son plein au sommet du pouvoir algérien, Tebboune avance le premier gros chiffre de 85% de réalisations des 13.000 projets d’investissement initiés dans le pays.
Considérant l’Algérien comme un simple «tube digestif», Tebboune a dégainé son second grand chiffre rond, promettant la réalisation rapide d’un stock de sécurité en céréales de «90 millions de quintaux». Mais le chiffre le plus stratosphérique, le véritable clou de cette sortie médiatique, a été celui des 38 milliards de dollars qui représenteraient, selon lui, la «valeur de la production agricole algérienne en 2025».
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Face au sévère stress hydrique que connait actuellement l’Algérie, il a promis de faire passer les stations de dessalement d’eau de mer du simple au double, soit de 5 actuellement à 10. «Aucun Algérien n’aura plus soif», a-t-il lâché en s’adressant en particulier aux populations de Teyaret, nommément citées, car leur grogne régulière contre la soif est une source de panique pour le pouvoir à Alger.
Mais pour réaliser tous ces objectifs, encore faut-il que les prix du pétrole se redressent, lui a fait remarquer un journaliste, sinon l’Algérie sera contrainte, si elle ne l’est déjà, de recourir à une politique d’austérité et de compromettre bon nombre de projets socio-économiques.
Faisant fi de ces risques, pourtant réels, Tebboune s’est contenté d’affirmer qu’il était en train de réussir son programme électoral visant à libérer l’Algérie de sa dépendance chronique aux hydrocarbures. Au moment où l’Algérie dépend à 96% de ces derniers, il a estimé que quel que soit la baisse des prix du pétrole, il n’y aurait ni politique d’austérité, ni endettement.
Pour sortir de la dépendance des hydrocarbures, le président algérien mise sur les start-ups qu’il dit avoir démultiplié depuis son premier mandat. En 2019, elles n’étaient que 200, alors qu’en 2029, elles atteindront 20.000 unités.
S’ensuivent des affirmations gratuites de Tebboune déclarant l’Algérie championne en tout. Il a notamment affirmé: «En Afrique et au Maghreb, nous sommes leaders en matière d’utilisation de l’Intelligence artificielle, surtout par notre armée». Selon lui toujours, l’Algérie afficherait le meilleur taux de croissance (4%) de tout le pourtour méditerranéen. En matière de sécurité, il a même prétendu que l’Algérie était devenue, non pas une simple école, mais «la plus grande université du monde en matière de lutte antiterroriste». On comprend alors que Tebboune évolue dans un monde parallèle, et qu’il continuera à vanter le paquebot Algérie comme le plus beau et le plus sûr du monde, même s’il le voyait sombrer.
Tebboune nous a habitués à ses bavardages périodiques avec les journalistes locaux. Deux choses méritent toutefois notre attention. Premièrement, l’affaissement physique du président algérien. Secundo, il devient difficile même pour des journalistes très complaisants de ne pas tenir compte de l’isolement inédit de l’Algérie dans son environnement régional.












