Alger: la stratégie de la tension

Xavier Driencourt.

ChroniqueRestée dans les annales de l’histoire, la Dépêche d’Ems illustre une stratégie diplomatique dont semble s’inspirer aujourd’hui le président Tebboune: titiller, provoquer, agresser le gouvernement français de manière à exciter une opinion publique facilement désorientée et prompte à critiquer Alger. Tactique facile, mais dangereuse à terme: le gouvernement algérien ne comprend pas qu’il donne à l’opinion publique française une image désastreuse de l’Algérie.

Le 05/03/2025 à 11h09

Il faut, pour ceux qui s’intéressent à la question de la relation France-Algérie, lire et relire les communiqués incendiaires et d’une violence extrême du ministère algérien des Affaires étrangères tels qu’ils ont été publiés ces derniers jours. Dans plusieurs communiqués successifs, le régime algérien accuse d’abord Rachida Dati, ministre française de la Culture, puis Gérard Larcher, président du Sénat, qui se sont rendus à Laâyoune, de monter «une alliance entre deux puissances coloniales, l’ancienne, la France, la nouvelle, le Maroc». Le 27 février, c’est un communiqué officiel de l’APS (Algérie Presse service) qui prétend que «l’Algérie s’est astreinte au calme, à la mesure et à la retenue» et «qu’elle n’a pris l’initiative d’aucune rupture». Mieux, elle reproche à la France de ne pas respecter les voies de droit que la législation française garantit aux ressortissants algériens (alors qu’ils sont eux-mêmes en situation illégale!).

Je dis qu’il faut lire et relire ces communiqués, car on y voit bien la stratégie victimaire de l’Algérie et la tactique, quasiment d’inspiration trotskiste, qui consiste à déformer la réalité et attaquer l’adversaire avec ses propres arguments: la meilleure défense, c’est l’attaque, en quelque sorte! L’Algérie joue la stratégie de la tension. Elle aime donner dans la provocation et sait, contrairement aux démocraties européennes, mobiliser toute son énergie, toutes les forces politiques et médiatiques derrière un même et unique objectif défini par le gouvernement. Gare à celui qui ne suit pas la ligne officielle, honte à celui qui oserait émettre une opinion légèrement différente ou simplement une nuance. Pour lui, ce sera la case prison. Le dessinateur algérien Aïnouche, réfugié politique en France après avoir été condamné par le tribunal de Béjaïa à dix ans de prison (10 ans, ce n’est sans doute pas suffisant!), a été condamné à vingt ans supplémentaires de prison par un autre tribunal. Là, c’est mieux: trente ans de détention pour un jeune de 37 ans, il pourrait sortir de prison à 67 ans. Le régime aura la paix pendant ce temps-là. On pourrait évidemment multiplier les exemples.

Ce qu’il faut retenir de ces communiqués successifs, ce sont les contradictions criantes qui, apparemment, ne gênent nullement les rédacteurs. Dans un communiqué du 26 mars, Alger critique Paris pour ne pas l’avoir informé du refoulement à l’aéroport d’un dignitaire algérien, mais oublie de rappeler qu’Alger n’avait évidemment pas informé à l’avance Boualem Sansal de son arrestation! Dans le communiqué du 28 février, dans la même phrase, Alger reproche à la France de vouloir mettre fin à l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, qui régit la circulation et l’installation des Algériens en France, mais ajoute que ce texte est de toute façon vidé de son sens! Comprenne qui pourra!

«Alger veut en quelque sorte “pousser Paris à la faute”, c’est-à-dire que la France prenne elle-même l’initiative d’une rupture, de manière à paraître être le bon élève.»

Revenons au communiqué algérien et à cette dialectique habilement utilisée. Le dernier communiqué officiel est une réponse à la décision française annoncée par le Premier ministre, au terme d’un comité interministériel, d’engager une renégociation «dans un délai de quatre à six semaines» de l’accord de 1968, tout en présentant à Alger une liste de noms d’Algériens particulièrement dangereux et en situation irrégulière en France. Dans la stratégie algérienne, que j’appelle «stratégie de la tension», je crains qu’Alger, jouant la provocation, ne réponde même pas et manifeste son indifférence à cette proposition française, de manière à amener Paris à l’escalade, c’est-à-dire, probablement au bout de six semaines, à dénoncer l’accord en question. Alger veut en quelque sorte «pousser Paris à la faute», c’est-à-dire que la France prenne elle-même l’initiative d’une rupture, de manière à paraître être le bon élève.

Pour les lecteurs qui sont férus d’histoire, c’est ce qu’avait fait, en juillet 1870, le chancelier prussien Bismarck avec ce que l’on a appelé la «dépêche d’Ems». Alors que la France avait obtenu la renonciation au trône d’Espagne par un Hohenzollern, l’ambassadeur de France à Berlin, le comte Benedetti, fut chargé par son ministre, le 13 juillet 1870, de demander solennellement au gouvernement prussien une confirmation de cette renonciation au trône espagnol «à tout jamais». L’ambassadeur s’acquitta alors de cette démarche ingrate à Ems, où le roi Guillaume 1er de Prusse prenait les eaux. L’ambassadeur agace ce dernier, alors que le roi se promène, par son insistance sur le dossier espagnol. Bismarck, chancelier prussien, qui recherche la guerre avec la France de Napoléon III afin d’unifier l’Allemagne autour de la Prusse, rédige alors à l’attention des ambassades étrangères une dépêche, volontairement tronquée et biaisée, reprise par toutes les agences de presse et soulignant que «le roi de Prusse avait fait savoir par un aide de camp qu’il ne recevrait plus le comte Benedetti». La rédaction de la dépêche était volontairement insultante pour l’ambassadeur qui semblait avoir été congédié par l’aide de camp du roi.

La dépêche d’Ems avait atteint son objectif: elle ferait «l’effet du chiffon rouge sur le taureau gaulois», selon sa formule. L’opinion publique française et les chambres du Parlement, indignées par le traitement méprisant réservé à l’ambassadeur français, réclamèrent alors la guerre à la Prusse. La France est tombée dans le piège tendu par Bismarck, la France est poussée à la faute, c’est elle qui déclare la guerre. Ce sera donc, en juillet 1870, la première guerre franco-allemande et la chute de l’Empire.

Restée dans les annales de l’histoire, la Dépêche d’Ems illustre une stratégie diplomatique dont semble s’inspirer le président Tebboune aujourd’hui: titiller, provoquer, agresser le gouvernement français de manière à exciter une opinion publique facilement désorientée et prompte à critiquer Alger. Tactique facile, mais dangereuse à terme: le gouvernement algérien ne comprend pas qu’il donne à l’opinion publique française une image désastreuse de l’Algérie. Il aura ensuite beau jeu de se plaindre que les Français «n’aimeraient pas l’Algérie», qu’ils seraient «algérophobes». Il ne se rend pas compte que c’est lui, le gouvernement algérien, qui par cette stratégie de la tension détourne les Français de l’Algérie.

Par Xavier Driencourt
Le 05/03/2025 à 11h09