«L’énigme algérienne», c’est le titre que porte le livre écrit par Xavier Driencourt, où il compile ses chroniques d’ambassadeur à Alger, en l’occurrence celui qui y aura été en poste le plus longtemps, de 2008 à 2012 et de 2017 à 2020. Mais cet intitulé, c’est aussi celui de la conférence qu’il a animée à Toulon le 28 septembre. La persistance de cette notion de mystère qui entoure l’Algérie est donc prédominante dans le discours que Driencourt tient avec constance.
Des relations sinusoïdales à tendance baissière
Et pour cause, s’en explique-t-il dans cette interview accordée à Nice-Matin, c’est bien à une énigme que la France est confrontée, alors même qu’elle pèche par naïveté, persuadée qu’elle est de parfaitement connaître ce pays colonisé pendant 132 ans. «En réalité il n’en est rien», tranche le diplomate, car «l’Algérie reste un pays énigmatique, fermé, opaque, mystérieux».
Face à une France aveuglée par son manque «de capteurs» pour pouvoir décrypter cette énigme, l’Algérie, elle, dispose d’une «importante diaspora algérienne en France», qui lui permet de bien connaître ce pays, avec lequel elle n’entretient d’ailleurs plus de relations économiques privilégiées, lui ayant préféré la Chine.
Pour qualifier les relations franco-algériennes, Xavier Driencourt ne parle pas d’«évolution», mais de «sinusoïdale» ou encore de «constante», qu’il compare par ailleurs à un «phénomène de type CAC 40, avec une alternance de périodes haussières et de périodes baissières».
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Car, s’il est des périodes où «on se fâche, puis on se réconcilie» analyse Xavier Driencourt, celui-ci remarque que «depuis quelque temps, force est de constater que la tendance baissière l’emporte», prenant pour exemple l’interdiction de l’enseignement du français dans les écoles privées ou encore le soutien apporté par le régime d’Alger aux émeutiers en France au lendemain de la mort du jeune Nahel, ou enfin, la réintroduction d’un couplet anti-France dans son hymne national.
Le pari perdant d’Emmanuel Macron
Les raisons de cette dégradation des rapports entre la France et l’Algérie sont à chercher du côté du pari algérien fait par Emmanuel Macron, et qui se «transforme en piège aujourd’hui». Car si ses prédécesseurs, à l’instar de Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande, faisaient en sorte de maintenir «un équilibre entre nos positions vis-à-vis de l’Algérie et du Maroc», le tropisme algérien de Macron n’a eu pour effet que de récolter en retour «des insultes, des humiliations du côté d’Alger» et une brouille avec le Maroc «qui exige que la France reconnaisse sa souveraineté sur le Sahara occidental comme l’a fait l’Espagne». Et de constater qu’«aujourd’hui, la France n’est bien avec aucun pays du Maghreb», ce qui est de son avis «plutôt préoccupant».
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Le constat de Xavier Driencourt pour expliquer cette détérioration concerne, de manière plus vaste, le statut à l’international de la France qui «a perdu de son aura», et ce en raison notamment des «difficultés économiques qu’elle connaît» et qui la relèguent à un rôle moindre «dans le panorama diplomatique algérien». Par ailleurs, les relations franco-algériennes se lisent aussi à la lumière des accords d’Abraham et de la normalisation des rapports Maroc-Israël qui «poussent par ailleurs l’Algérie à se rapprocher de son allié historique, de son protecteur naturel: la Russie». À ce sujet, Driencourt n’écarte pas la possibilité que «la Russie, l’alliée historique, ait incité l’Algérie à affaiblir la France, et donc l’Otan, en instrumentalisant sa communauté présente sur le sol français». Enfin, poursuit l’ancien ambassadeur, «il ne faut pas sous-estimer la détestation de la France par les militaires algériens qui dirigent le pays et par les islamistes».
En attendant l’élection présidentielle de décembre 2024, qui permettra de «voir si Tebboune est toujours soutenu par le système politico-militaire», Driencourt invite la France à «instaurer un rapport de force avec l’Algérie», en remettant notamment en cause l’accord franco-algérien de 1968 qui définit les conditions de circulation, de séjour et de travail des Algériens en France.