Séisme au Maroc: «Il est important pour la France de mettre son drapeau et sa susceptibilité dans sa poche», estime Dominique de Villepin

L'ancien premier ministre français Dominique de Villepin, invité sur le plateau de France Info, le 11 septembre 2023.

L'ancien Premier ministre français Dominique de Villepin, invité sur le plateau de France Info, le lundi 11 septembre 2023.

Invité sur le plateau de France Info ce lundi 11 septembre, Dominique de Villepin, ancien Premier ministre français, a été interpellé au sujet de l’aide internationale proposée au Maroc suite au séisme qui a frappé le pays le 8 septembre, et le fait que celle-ci soit limitée à quelques pays dont la France ne fait pas partie.

Le 11/09/2023 à 10h34

Le choix du Maroc de ne pas faire appel jusqu’à présent à l’aide française, suite au séisme du 8 septembre, ne passe visiblement pas en France. Une certaine presse hexagonale mène une véritable campagne contre cette décision d’un pays souverain. Un déchaînement d’une rare violence.

Interpellé ce lundi par la radio France Info sur le fait que le Maroc n’a pas donné suite à l’offre d’aide proposée par la France, Dominique de Villepin a ainsi expliqué de prime abord que «l’argument (…) mis en avant par les autorités marocaines est un argument sérieux, l’argument technique qui consiste à faire en sorte que la planification des aides puisse en garantir l’efficacité».

L’exemple de la Turquie confronté à celui du Maroc

Mais cet argument semble visiblement se heurter à l’incompréhension des médias français. «En Turquie, au mois de février dernier, cet argument ne valait pas!», s’étonne le journaliste. L’ancien Premier ministre, natif de Rabat, rappelle alors les conditions géographiques différentes des deux pays et explique, s’agissant du Maroc et des zones concernées, qu’il s’agit de «villages très difficilement accessibles, pour ne pas dire inaccessibles dans certains cas, quand les routes sont effondrées». Dans ce type de situation, analyse Dominique de Villepin, «un embouteillage d’aides n’aurait pas permis d’apporter davantage, mais aurait été au contraire contre-productif. Donc, je crois que c’est un argument très sérieux. Il faut planifier, organiser dans le temps pour s’assurer que tout cela sera efficace».

D’indéniables facteurs de crispation

«Mais derrière ça, n’y a-t-il pas une question de fierté nationale quelque part? On ne demande pas de l’aide à n’importe quel pays, on choisit qui on permet d’entrer chez nous…», questionne alors la journaliste semblant s’étonner qu’un pays souverain puisse agir de la sorte. Pour Dominique de Villepin, deux facteurs doivent être pris en considération pour répondre à cette question. Sans vouloir établir un lien de cause à effet, chose qu’il juge «déplacée dans ces circonstances», l’ancien Premier ministre rappelle qu’il y a «un contexte de très fortes tensions entre le Maroc et la France qui durent depuis longtemps».

Revenant sur les difficultés rencontrées par la France et le Maroc dans l’histoire, celui-ci y oppose toutefois les tensions actuelles, particulières selon de Villepin, en raison d’une «conjonction de facteurs». Et d’énumérer l’affaire de la réduction de moitié des visas accordés par la France au Maroc, l’affaire d’espionnage «Pegasus» qui a entraîné «un sentiment d’instrumentalisation» côté marocain, estime Dominique de Villepin, et enfin une condamnation par le Parlement européen avec cette fois-ci encore «un sentiment d’incompréhension» vu du Maroc. Et puis, «il y a bien sûr les relations avec l’Algérie», poursuit-il, car «les Marocains ont le sentiment que la France était pleine d’égards pour l’Algérie et n’accordait pas les mêmes égards au Maroc». De Villepin conclut son énumération des facteurs de crispation entre les deux pays avec le dossier du Sahara atlantique, dont la France, contrairement à de nombreux pays et partenaires du Maroc, ne reconnaît toujours pas la marocanité.

Enfin, souligne à juste titre Dominique de Villepin au sujet de la situation du Maroc, «Il faut rappeler à quel point le Maroc a fait des progrès au cours de la dernière décennie, à la fois en croissance économique. C’est un pays qui a une croissance de 8 à 9% (…), c’est un pays aussi qui a une aura internationale. En Afrique, c’est la tête de pont vers les pays africains et les relations avec le Moyen-Orient qui ont été renouvelées à la suite des Accords d’Abraham».

De l’instrumentalisation de la diplomatie humanitaire

Mais ces tensions, questionne le journaliste, n’auraient-elles pas dû s’effacer dans ce type de situation d’urgence. «Pas toujours», estime Dominique de Villepin, tout d’abord «parce que la diplomatie humanitaire a souvent été utilisée par certains pays pour aller planter le drapeau».

Et de citer pour exemple le drame qu’a connu l’Indonésie en 2004 avec le Tsunami qui avait frappé le pays et son instrumentalisation par les États-Unis. Ils «étaient intervenus en Afghanistan et en Irak et avaient utilisé ce drame pour proposer une aide importante. On se rappelle de la phrase de Condoleezza Rice, la secrétaire d’État américaine qui avait dit: c’est une merveilleuse opportunité».

Pour Dominique de Villepin, ce contexte doit donc être pris en compte, en ce «qu’il pèse directement ou indirectement». De son point de vue, «il faut partir de cette réalité pour dépasser les susceptibilités qui pourraient s’exprimer et il est important pour la France de mettre son drapeau dans sa poche, de mettre sa susceptibilité dans sa poche et de faire en sorte que cette aide, l’aide française, puisse être acheminée par tous les moyens possibles et en particulier par des canaux privés ou par un canal européen».

Car après tout, estime de Villepin, «nous pouvons parfaitement faire transiter notre aide par l’Union européenne dont les 27 ont écrit une lettre aux autorités marocaines pour apporter leur aide et leur soutien. Faisons en sorte que notre aide puisse éventuellement transiter par d’autres canaux que le canal national si cela pouvait faciliter les choses».

Par Zineb Ibnouzahir
Le 11/09/2023 à 10h34