Infidélité, divorce et confinement: Samia Akariou brise les tabous dans «Safi Salina», la nouvelle série à suivre

A l'affiche de la série "Safi Salina", Samia Akariou et Rhany El Kabbaj.

A l'affiche de la série Safi Salina, Samia Akariou et Rhany El Kabbaj. . DR

Diffusée tous les lundis soir sur la deuxième chaîne depuis le début du Ramadan, «Safi Salina» s’impose de par sa modernité et sa liberté de ton dans le traitement de sujets sociétaux tabous. Entretien avec Samia Akariou, l'actrice principale de cette série.

Le 14/04/2022 à 17h35

Réalisée par Mohamed Ali El Mejboud, co-écrite par Samia Akariou, Ali El Mejboud, Zineb El Mejboud, Mustapha Khouna et Adnane Mouhejja, la série télévisée de 15 épisodes, de 54 minutes chacun, met en scène Samia Akariou, Rhany El Kabbaj, Nezha Regragui, Adnane Mouhejja et Amal Atrach fait souffler un vent de fraîcheur sur le petit écran marocain. Car si les téléspectateurs s’étaient habitués à un certain genre de production à l’heure du Ramadan, oscillant entre burlesque, folklore et séries dramatiques classiques, la série «Safi Salina» fait une entrée remarquée dans les foyers marocains.

Et pour cause, on y traite de sujets qui concernent beaucoup de monde mais pourtant peu abordés. Il y est ainsi question de la trahison dans le couple, de mensonges et d’infidélité. L’histoire racontée dans «Safi Salina» est loin d’être anodine et exprime sans détours ni fioritures le quotidien de nombreux couples marocains, déchirés entre une vie de famille d’apparence parfaite, mais soumise aux diktats de la société, et une vie rêvée qui se vit en cachette et contraste avec l’idéal familial. Quand ces deux mondes que tout oppose se confrontent, car la vérité finit un jour par resurgir, le dilemme est d’autant plus difficile à résoudre qu’il se confronte au poids des traditions culturelles et sociétales.

Faut-il pardonner à l’autre au nom des années de mariage passées? Faut-il d’abord penser aux enfants et éviter le divorce ou au contraire se faire passer soi-même avant les autres et se séparer pour ne plus avoir à endurer les mensonges et les doutes? Enfin, faut-il écouter la petite voix qui nous conseille la séparation, ou la société, incarnée souvent par les proches, qui nous ordonne de ne pas faire de vagues et de préserver l’unité familiale, malgré les trahisons?

Une torture que subit le personnage de Ghizlane, interprétée par Samia Akariou, lorsqu’elle découvre un beau jour les infidélités de son mari, Saâd, joué par Rhany El Kabbaj. L’aisance financière du couple, son apparence de famille parfaite, vole en éclats et la séparation s’impose comme la seule solution à privilégier. Mais c’était sans compter sur la pandémie du Covid-19 et le confinement qui obligeront le couple à revoir sa copie et à cohabiter, malgré tout… Des questions cruciales, débattues avec Samia Akariou, l’actrice principale.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet?La série parle de divorce dans un style de comédie, moderne et familiale. Lorsqu’on découvre une trahison au sein du couple, on est parfois obligés de passer par la case divorce. Beaucoup d’entre nous ont vécu cette expérience qui n’est pas facile à vivre, et nous souhaitions en parler en toute liberté, de façon moderne, sachant que la modernité n’est pas tant qu’une affaire de technique mais aussi de traitement du récit. Il est ici question de l’engrenage du divorce, lorsque les avocats entrent dans la danse…. Ça fait rire, ça fait pleurer aussi, et in fine, tout le monde s’y reconnaît. Nous avons tous été vrais dans notre jeu et chacun y a apporté sa propre touche personnelle.

Il s’agissait ainsi de s’éloigner des classiques qu’on a l’habitude de regarder à la télévision marocaine pour donner à voir une série qui pourrait être diffusée à plus large échelle et dans laquelle tout le monde pourrait se reconnaître.

Pensez-vous à une diffusion sur une certaine plateforme de streaming?Notre rêve est que cette série puisse être exportée à l’international. Nous avons réalisé un teaser de vingt minutes avec Dune films, spécialisé dans la production de films étrangers au Maroc, et ce teaser a remporté un franc succès lorsque nous l’avons présenté en décembre 2019 à 2M. Nous y avons mis nos tripes et j’estime que la série mérite d’être vue, d’être exportée, pour que le monde entier sache que nous, Marocains, faisons aussi des séries qui peuvent être à l’image du Maroc moderne dont on rêve, sans pour autant être dans le folklore et un schéma classique.

Alors oui, pourquoi ne pas être diffusés sur Netflix? On y trouve bien des projets libanais, égyptiens, turcs, et franchement, avec toute la modestie du monde, je pense qu’on peut faire mieux. Nous ne sommes pas moins bons que les autres aux niveaux artistique et technique.

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Parlez-nous du personnage de Ghizlane, la femme trompée par son mari que vous incarnez à l’écran?C’est une femme indécise, qui manque de confiance en elle-même, qui faisait ce que la société lui demandait de faire en la personne de sa mère, car on lui a inculqué qu’on ne divorce pas, qu’il faut vivre le quotidien comme toutes les mamans… Mais quand on découvre la trahison de l’autre, on peut pardonner la première fois... Mais dans son cas, elle vit une nouvelle fois une trahison et elle décide de dire non, d’être forte, de se battre et de se séparer de son mari, d’exister en tant que femme capable de se défendre.

En quoi ce personnage féminin vous inspire-t-il?Elle se bat jusqu’à la mort et ça me ressemble énormément! Je suis une femme en perpétuelle remise en question. Je n’aime pas stagner, je persévère et je travaille d’arrache-pied, notamment pour améliorer la fiction au Maroc ou le théâtre.

Je fonctionne de la sorte autant dans ma vie professionnelle que personnelle. Je n’ai jamais voulu être une femme sans rêves et je cherche toujours à m’améliorer et à avoir d’autres horizons. Résultat, je suis souvent déçue, malmenée et calomniée aussi, mais je dois me lever tous les matins et me dire qu’il faut que je garde la tête haute, malgré les critiques.

Dans le cas de Ghizlane, elle est peut-être au bord de la dépression, dans un état hystérique, mais cela résulte du fait qu’elle tente désespérément de s’accrocher à ce petit bout de planche qui subsiste pour ne pas se noyer dans ce naufrage qu’est son mariage. C’est ce combat qu’elle mène que j’adore dans le personnage de Ghizlane, et je l’ai campée avec toute la sincérité du monde. Il y a eu des moments émotionnellement très difficiles pendant le tournage, mais j’ai pu compter sur l’appui de Ali [Mohamed Ali El Mejboud, Ndlr], formidable réalisateur qui adore ses acteurs, et qui, quand vous terminez une séquence en pleurs, vous prends dans ses bras, pleure avec vous et pleure même plus que vous. Il est extraordinaire, et m’a poussé dans mes limites de jeu, dans mes performances d’actrice.

Depuis peu de temps, suite à vos propos lors d’une interview télévisée sur la mauvaise qualité des programmes télévisés proposés au public marocain, vous vous retrouvez au cœur d’une polémique sur les réseaux sociaux. Qu’en pensez-vous?Je me bats pour qu’on améliore la fiction au Maroc et je pense que mes propos n’ont pas été compris. Mais quand on entre dans l’engrenage des réseaux sociaux, les choses peuvent prendre des proportions extraordinaires.

Je vis dans un pays de liberté, j’ai donné mon avis parce qu’on me l’a demandé, et je l’ai fait avec toute la spontanéité qu’on me connaît. J’ai parlé en mon nom propre, j’ai répondu en tant qu’actrice et aussi en tant que téléspectatrice, mais je ne suis pas la directrice d’Al Aoula ou de 2M, ni leur porte-parole. Cette question qui m’a été posée aurait dû leur être destinée. Toutefois, j’estime que j’ai le droit de m’exprimer librement au même titre que le public a le droit de répondre et de critiquer. Par contre, il s’agit de le faire dans le respect et avec des limites.

S’il est question de savoir si on mérite une meilleure télévision, oui je suis d’accord mais on fait avec les moyens dont on dispose et aujourd’hui encore, on galère pour faire des projets au Maroc car on travaille dans des conditions difficiles.

S’agissant des projets qualifiés de «hamdines», je ne les défends pas et si certains estiment que j’en ai fait, je les assume. Mais ce que je ne conçois pas, ce sont les gens cachés derrière leurs claviers, qui critiquent des projets alors qu’ils n’en ont vu que la bande-annonce. Dans mon cas, je défends ce que j’ai réalisé au cours de ma carrière, depuis maintenant près de 25 ans, en oeuvrant toujours pour une fiction nouvelle, moderne, qui parle de nous et à laquelle les Marocains pourraient s’identifier. Et si certains jugent certains projets «hamdines», ils sont en droit de zapper et de regarder autre chose.

J’entends aussi ceux qui disent qu’on vit de l’argent public… C’est une critique faite ici au Maroc et ailleurs dans le monde, notamment en France, où ce débat sur la qualité des produits réalisés à partir de l’argent public a lieu. Mais s’il faut parler de qualité de contenu proposé à la télévision, prenons l’exemple de la chaîne Arte, qui est une chaîne magnifique d’un point de vue artistique et culturel, mais qui souffre pourtant d’un taux d’audience dérisoire. D’un côté on critique, on exige des programmes culturels bien loin du divertissement «hamed», mais au final, les chaînes qui proposent justement ces programmes souffrent.

Pour conclure, si mes propos ont heurté la sensibilité de certaines personnes, je suis désolée, mais je ne retirerais pas mes propos pour autant. On ne peut pas plaire à tout le monde. J’aimerais toutefois que la critique porte sur les travaux artistiques que l’on réalise, et non sur des choses dites pendant des émissions, quand bien même j’assume mes propos. 

Quant à ceux qui critiquent sans arrêt derrière leurs claviers, je les invite à participer à améliorer les choses en répondant aux appels d’offres, en proposant des projets, en les défendant… Ce serait plus constructif que de participer à un débat stérile dans le cadre duquel quoi que vous disiez, on dira toujours le contraire.

Un mot sur vos projets à venir?J’ai pris goût à la réalisation et j’ai réalisé avec beaucoup d'amour, et avec des artistes formidables, une série comique qui sera, je l'espère, bientôt diffusée ainsi qu’un court-métrage. Enfin, je joue aussi dans une série dramatique dont j’ai coécrit le scénario, «Bghit hayatek» («Je veux ta vie»), qui sera diffusée sur 2M cette année ou l’année prochaine.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 14/04/2022 à 17h35