Taxe carbone: les prérequis pour réussir la fiscalité verte, selon des experts

De la fumée s'échappant d'une usine de retraitement à Paris en 2006.

De la fumée s'échappant d'une usine de retraitement à Paris en 2006. (AFP)

Interrogés par Le360, l’expert en transition énergétique Saïd Guemra et le vice-président de la Commission énergie verte et décarbonation de la CGEM, Omar Alaoui M’Hamdi, évoquent les prérequis nécessaires pour réussir la mise en place de la taxe carbone au Maroc, prévue à partir de l’année prochaine. Les détails.

Le 06/10/2024 à 09h59

Le Maroc prévoit de mettre en place une taxe carbone à partir de 2025. À travers cette fiscalité verte, le gouvernement souhaite encourager la décarbonation du tissu industriel et surtout permettre aux entreprises exportatrices de se conformer aux exigences du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), lancé depuis octobre 2023 par l’Union européenne (UE) et qui sera entièrement opérationnel à partir de 2026.

Cette mesure concernera, dans un premier temps, cinq secteurs dont les émissions de carbone sont les plus élevées: le fer et l’acier, l’aluminium, le ciment, l’engrais, l’électricité et l’hydrogène. Elle pourrait être élargie plus tard à d’autres secteurs, notamment les produits chimiques. Ces secteurs pollueurs seront soumis à une taxe basée sur leur contenu en carbone, oscillant entre 60 et 100 euros par tonne de CO2, lors de l’importation sur le vieux continent.

«Prenons l’exemple d’un industriel dans le secteur textile, ce dernier produit un certain nombre d’articles destinés à l’export. Cet industriel a un bilan carbone annuel qui provient de sa consommation électrique et de sa consommation de gasoil. Avec des facteurs de conversion, on peut établir la quantité de CO2 émise par ces deux énergies, pour constituer un bilan carbone annuel simple», explique l’expert en transition énergétique Saïd Guemra, joint par Le360.

Permettre aux entreprises utilisant la moyenne tension d’accéder aux énergies renouvelables

Chaque article confectionné a une empreinte carbone, exprimée généralement en grammes par unité produite. L’entreprise exportatrice doit donc déclarer le volume de CO2 total de ses exportations, qui fera l’objet d’une taxation carbone aux frontières de l’UE. Selon la commission de l’Union, les importateurs de ces produits devront acheter, auprès de leurs autorités nationales, des certificats dont le prix sera indexé sur celui du CO2 au sein du marché européen du carbone.

«C’est l’importateur européen qui achète les certificats carbone relatifs à la marchandise reçue et il est autorisé à la déduction de cette taxe du prix d’achat de la marchandise marocaine. Si l’entreprise marocaine s’engage dans un processus d’efficacité énergétique et de mise place des énergies renouvelables, elle va baisser son empreinte carbone et payer moins de taxes», souligne notre interlocuteur.

Le lancement de la taxe carbone marocaine, un an avant l’entrée en vigueur du MACF, semble donc venir à son heure. Pour Omar Alaoui M’Hamdi, vice-président de la Commission énergie verte et décarbonation de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), contacté par nos soins, sa mise en place permettra aux entreprises s’acquittant d’une taxe au Maroc «de s’affranchir du paiement d’un ajustement aux frontières européennes par application du principe de non double imposition».

Toutefois, selon lui, cette tarification ne doit pas augmenter la taxation, «déjà importante», que supportent les entreprises afin de ne pas alourdir leur fiscalité et de ne pas nuire à leur compétitivité et à leur capacité d’export. «Elle pourrait par exemple venir se substituer à la taxe intérieure sur la consommation (TIC) ou aux autres taxes parafiscales déjà en place», suggère-t-il.

Les deux experts sont unanimes: il faut impérativement mettre en place des prérequis pour réussir cette réforme. La principale mesure, selon eux, c’est de revoir les dispositions de la loi 13-09 complétée par la loi 40-19, relative aux énergies renouvelables, afin de permettre aux entreprises utilisant des lignes moyenne tension d’accéder à l’électricité produite à partir des énergies renouvelables. Puisqu’«en dehors des 135 clients haute tension et très haute tension de l’Office national l’électricité et de l’eau potable (ONEE), la majorité écrasante du tissu industriel est alimenté en moyenne tension», précise Saïd Guemra.

Publier les décrets d’application de la loi 82-21

A l’en croire, le poids carbone de l’électricité marocaine est pratiquement le double de celui des entreprises tunisiennes, estimé à 450 grammes de CO2 par kilowattheure (kWh), ou turques «qui ont la moitié du poids carbone marocain et un accès nettement plus facile aux énergies renouvelables grâce à une règlementation très avancée». Ce qui constitue «deux grands handicaps» pour les entreprises marocaines à l’export.

En dehors de cette législation, il existe aussi la loi 82-21 sur l’autoproduction d’énergie électrique, dont certains décrets d’application n’ont pas encore été publiés, qui permet notamment aux industriels branchés sur la moyenne tension d’installer des plaques photovoltaïques et/ou des éoliennes sur leur site, de développer un parc renouvelable en hors site, d’injecter cette énergie dans leur réseau et de la récupérer moyennant le paiement du timbre de distribution et des frais de service.

«Si ces nouvelles lois ont permis aux entreprises raccordées à la haute tension et la très haute tension d’avoir accès à de l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables, ceci n’est pas encore le cas pour celles utilisant de la moyenne tension», confirme Omar Alaoui M’Hamdi. «La loi 82-21 sur l’autoproduction doit s’accélérer afin de faciliter l’accès des entreprises, en particulier exportatrices, à des sources d’énergie renouvelable qui vont améliorer les facteurs de compétitivité», recommande-t-il.

Said Guemra invite le gouvernement à accélérer la cadence pour ne pas désavantager les exportateurs marocains sur le marché européen, parce que 2026, c’est demain. «En tant qu’importateur européen, je vais favoriser la marchandise qui a l’empreinte carbone minimale, dans la mesure où c’est la demande du marché. Dans deux ou trois ans, chaque produit sera doté d’une étiquette carbone, afin d’orienter le consommateur européen vers des produits plus verts», souligne-t-il.

Et l’expert en transition énergétique d’ajouter: «Les entreprises marocaines, même si elles vont payer une taxe carbone plus élevée que la concurrence, seront handicapées par l’étiquette lourde en carbone des produits marocains, qui seront de moins en moins acceptés par le consommateur européen très sensible aux questions de climat».

Par Elimane Sembène
Le 06/10/2024 à 09h59