Studio Le360. Fouad Douiri: «l'Algérie veut se passer du Gazoduc Maghreb-Europe pour des raisons politiques»

L’ancien ministre de l’Energie, Fouad Douiri.

L’ancien ministre de l’Energie, Fouad Douiri. . Abderrahim Et-Tahiry / Le360

Invité de l’émission Studio Le360, l’ancien ministre de l’Energie, Fouad Douiri, nous parle des retombées d’une éventuelle non reconduction du contrat du gazoduc Maghreb-Europe sur les trois parties prenantes: l’Algérie, l’Espagne et le Maroc.

Le 02/09/2021 à 19h05

Le 26 août dernier, l’Algérie, par la voix de son ministre de l’Energie, a laissé entendre qu’elle allait assurer l’ensemble des approvisionnements en gaz de l’Espagne par un gazoduc direct reliant les deux pays, à savoir Medgaz. En d’autres termes, l’Algérie pourrait renoncer au gazoduc Maghreb-Europe (GME) qui passe par le Maroc, dont le contrat arrive à terme le 31 octobre prochain.

Pour Fouad Douiri, ancien ministre de l’Energie et des mines (gouvernement Benkirane I), il ne fait pas de doute qu’il s’agit d’une «décision à motivation politique», d’autant plus qu’elle intervient deux jours seulement après l’annonce de la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays du Maghreb par l'Algérie.

«D’un point de vue économique, le GME a démontré son utilité. Sur les deux dernières décennies, le GME a été un outil fiable et suffisamment stable pour assurer l’approvisionnement de l’Espagne et du Portugal en gaz algérien», estime ce membre de l’alliance des économistes istiqlaliens.

L’ancien ministre de l’Energie regrette qu’on en soit arrivé à cette situation: «Il ne faut pas insulter l’avenir. Malgré les tensions entre les deux pays, le gazoduc a toujours fonctionné tout à fait normalement, à la grande satisfaction de toutes les parties prenantes».

Si l’Algérie met sa menace à exécution en renonçant au renouvellement du contrat du GME, elle va devoir miser sur un seul gazoduc (Medgaz), ce qui pose un vrai problème de sécurité d’approvisionnement des marchés espagnol et portugais, sans compter les accidents industriels qui peuvent survenir.

Outre l’effet de la crise économique qui aurait entraîné une baisse de la consommation énergétique et, par conséquent, un repli des importations espagnoles en gaz algérien, Douiri y voit aussi l’effet du déclin des capacités de production de l’Algérie du fait du vieillissement de l’outil industriel. «A moyen et long termes, les exportations de gaz algérien sont amenées à stagner ou à décroître», anticipe Fouad Douiri.

Face aux contretemps et à l’attitude instable des autorités algériennes, l’Espagne ne serait-elle pas tentée de s’orienter davantage vers d’autres fournisseurs, à l’instar de l’Italie qui a renoncé à la construction d’un deuxième gazoduc avec l’Algérie en privilégiant la Russie?

«Tous les pays cherchent à multiplier les sources d’approvisionnement de manière à ne pas dépendre d’une seule source d’approvisionnement», répond Fouad Douiri en s’appuyant sur l’exemple du gazoduc Nord Stream 2 reliant la Russie à l’Allemagne.

Et d’ajouter: «souple et moins polluant que le charbon, le gaz est une énergie de l’avenir. La plupart des pays européens ont opté pour cette dualité d’approvisionnement, en s’appuyant sur plusieurs gazoducs, mais aussi en s’équipant de terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL)».

Fouad Douiri rappelle au passage que le Maroc compte bien construire un terminal méthanier au port de Jorf Lasfar (quoique le projet a pris un peu de retard), avec l’objectif d’importer, à moyen terme, une capacité annuelle de 5 milliards de mètres cubes de GNL.

Par ailleurs, l’économiste istiqlalien est convaincu de la nécessité de préserver les deux centrales électriques alimentées jusqu’ici par le gaz algérien (celles de Ain Béni Mathar et de Tahaddart). «D’une capacité totale de l’ordre de 800 mégawatts, ces deux centrales contribuent à hauteur de 12% à la production électrique nationale. Ce n’est pas négligeable. Elles doivent continuer à fonctionner. Les responsables devraient avoir imaginé des scénarios alternatifs», insiste-t-il.

Aux yeux de Fouad Douiri, le scénario le plus plausible serait d’inverser le chemin et d’importer le gaz de l’Espagne à travers le GME. «J’espère que les responsables ont déjà mis en place les outils de négociation et les quelques modifications des installations techniques nécessaires à ce schéma», a ajouté l’ancien ministre de l’Energie.

Par Wadie El Mouden et Abderrahim Et-Tahiry
Le 02/09/2021 à 19h05