Relèvement du taux directeur: les patrons craignent un recul de l’investissement et de la croissance

Le siège social de Bank Al-Maghrib, à Hay Riad, dans le nouveau quartier administratif de Rabat. 

Le siège de Bank Al-Maghrib, à Hay Riad, dans le quartier administratif de Rabat.. DR

Soutenir la croissance ou juguler l’inflation? L’arbitrage, toujours délicat à réaliser pour Bank Al-Maghrib, ne fait pas que des heureux. Le dernier relèvement du taux directeur de la Banque centrale n’est pas vraiment au goût des patrons, qui craignent un ralentissement de la croissance et un impact négatif sur l’investissement et l’emploi.

Le 11/04/2023 à 15h27

Pour juguler une inflation devenue galopante, Bank Al-Maghrib a relevé son taux directeur pour la troisième fois consécutive, à 3%, à l’issue de son dernier Conseil tenu le 21 mars. Si ce resserrement de la politique monétaire tend à faire baisser les prix sur le marché national, afin de soutenir le pouvoir d’achat des ménages, les chefs d’entreprises, eux, craignent un recul de la croissance, voire une récession.

Le revers de la médaille

En effet, lorsque le taux directeur de la Banque centrale augmente, il devient plus coûteux de s’endetter auprès des banques commerciales, que ce soit pour les particuliers, les entreprises ou l’État. Résultat, une contraction de la demande en biens et services, et, par ricochet, des prix.

Cet outil monétaire n’est pas cependant sans impact sur l’activité économique, notamment sur les investissements des entreprises qui seraient, face à la hausse du coût de l’emprunt, moins enclines à élargir leurs activités, à développer de nouveaux projets et à embaucher.

«Le relèvement du taux directeur a été une très mauvaise nouvelle pour les entreprises. Nous sommes dans une dynamique de nouvelle Charte d’investissement et ce n’est pas avec un crédit plus cher que l’on pourra soutenir la croissance et encourager l’investissement», regrette Youssef Alaoui, président du groupe de la CGEM à la Chambre des conseillers et président de la Fédération des professions avicoles (FISA).

Selon ce chef d’entreprise contacté par Le360, la hausse des taux d’intérêt bancaires risque de ralentir l’activité économique au Maroc, et ce dans un contexte de sortie de crise où «le tissu entrepreneurial fragilisé a besoin davantage de soutien que d’obstacles».

Très cher crédit

Même son de cloche du côté de Bouthayna Iraqui Houssaïni, présidente de la CGEM Rabat-Salé-Kénitra et DG du groupe Locamed, pour qui le coût d’emprunt au Maroc est déjà très élevé pour des entreprises qui non d’autre choix que de se tourner vers les banques pour financer leurs activités et leurs projets de développement.

«Il n’y a pas une entreprise qui se développe aujourd’hui sans faire appel au crédit bancaire. Le taux d’intérêt est déjà élevé aux alentours de 5% dans le cadre d’un contrat bancaire. Ce taux peut aller jusqu’à 7% dans le cadre d’une facilité de caisse autorisée. C’est beaucoup», déplore-t-elle.

Selon la dernière enquête de Bank Al-Maghrib sur les taux débiteurs, au titre du 4ème trimestre 2022, les taux appliqués aux nouveaux crédits ont progressé à 4,40%. Par taille d’entreprise, ils se sont établis à 4,19% pour les grandes entreprises et à 5,04% pour les TPME. Depuis, la Banque centrale a relevé, à deux reprises, son taux directeur.

«Avec l’inflation, nos importations nous coûtent plus cher, les lignes de crédits que nous avons négociées avec nos banques ne suffisent plus. Nous subissons alors ce qu’on appelle le taux d’enfer: si ma banque m’a prêté à un taux de 5%, dès que je dépasse la limite de la ligne de crédit qui m’est accordée, je passe à un taux d’intérêt beaucoup plus élevé, qui peut aller jusqu’à 13%», s’alarme Youssef Alaoui.

Doublement pénalisés

Au-delà des nouveaux emprunts, qui devraient coûter plus cher, les anciennes lignes de crédits négociés à taux variable vont également rebattre les cartes des entreprises, notamment celles qui ont souscrit aux produits «Damane relance» et «Damane oxygène» durant la crise sanitaire et qui commencent à peine à rembourser ces emprunts.

«La hausse du taux directeur posera problème à plusieurs niveaux: l’impact sur le pouvoir d’achat des ménages, qui verront leurs traites mensuelles réévaluées, l’accès au crédit et son coût qui diminuent les capacités d’emprunt, mais aussi l’impact négatif sur les entreprises ayant des taux variables», a indiqué, de son côté, Adil Zaïdi, président de la Fédération de l’Automobile et DG de Bennes Marrel Maroc.

Et d’ajouter: «Les facteurs exogènes qui ont amorcé l’inflation commencent à s’estomper, le coût du transport et de la logistique baisse, les prix de la majorité des matières premières reculent assez fortement. Il serait temps de soutenir la croissance économique».

Symptômes d’un mal plus profond

En réalité, si le crédit bancaire est indispensable à la survie et au développement des entreprises, c’est que le mal est bien plus profond. Selon les chefs d’entreprises sondés par Le360, plusieurs facteurs dégradent la solvabilité des entreprises, notamment le retard des paiements et l’absence d’avance sur marché.

«Au Maroc, les donneurs d’ordre sont essentiellement des institutions publiques qui n’accordent pas d’avance sur marché, en dont les délais de paiement sont trop longs. Les entreprises sont alors obligées de s’endetter pour financer leurs activités et payer leurs charges, afin d’éviter des licenciements ou des incidents de paiement avec le fisc», a souligné Bouthayna Iraqui Houssaïni.

Pour Adil Zaïdi, la politique monétaire «généraliste» serait également à réviser, afin de tirer le plein potentiel de secteurs porteurs de l’économie nationale, à l’image de l’industrie qui génère, de manière directe et induite, une valeur ajoutée et un impact emplois plus élevés que d’autres secteurs.

«Depuis vingt ans, la politique monétaire est appliquée de manière universelle. Le BFR (Besoin de fonds de roulement, NDLR) dans l’industrie est plus lourd, les cycles économiques plus longs, les positions d’endettement plus fortes, la concurrence internationale féroce et les marges plus étriquées. L’idée, c’est de garder un ciblage des mesures. Il faudrait avoir une position différenciée par rapport aux entreprises industrielles pour ne pas casser leur production et leur compétitivité», explique-t-il.

Par Safae Hadri
Le 11/04/2023 à 15h27