Production, cartographie des exploitations, rendements, défis… Tout savoir sur la filière laitière au Maroc

Un agriculteur verse du lait dans un récipient dans une ferme. (Photo d'illustration). AFP or licensors

EntretienEntre la succession des épisodes de sécheresse, les répercussions de la pandémie et la guerre en Ukraine, la production laitière marocaine a été mise à rude épreuve. Quel est donc l’état actuel de ce secteur-clé et quelles sont les solutions envisagées pour son redressement? Le point avec Mohammed Raita, directeur général et porte-parole de l’interprofession Maroc Lait.

Le 02/09/2023 à 11h03

En trois ans, la production annuelle de lait au Maroc est passée de 2,55 milliards de litres à 2 milliards, soit une baisse de 21%. Avec des élevages de vaches laitières qui voient leur nombre décroître, et une hausse du prix des aliments pour bétail frôlant les 88%, les producteurs sont dans la tourmente. Dans cette interview avec Le360, Mohammed Raita, directeur général et porte-parole de l’interprofession Maroc Lait, détaille ces enjeux et présente les perspectives et les actions menées pour le renouveau du secteur.

Le360: Comment la production annuelle de lait au Maroc a-t-elle évolué ces dernières années?

Mohammed Raita: En 2019, la production annuelle de lait s’élevait à 2,55 milliards de litres. Elle a diminué en 2020, atteignant 2,5 milliards de litres. En 2022, elle se chiffrait à seulement 2 milliards de litres. Cette baisse est due à la conjonction de trois crises majeures: l’arrêt de l’insémination artificielle et de l’importation des génisses durant la période de la Covid-19, une sécheresse prolongée et une augmentation notable des prix des aliments pour bétail.

Comment se présente la cartographie des exploitations laitières au Maroc?

La répartition régionale de l’élevage au Maroc est largement influencée par les conditions climatiques, les reliefs et les périmètres irrigués. On peut identifier trois principales zones d’élevage. D’abord, les zones principales qui englobent le Souss, Tadla-Doukkala-Chaouia et l’Oriental. Ensuite viennent les zones intermédiaires comprenant Marrakech-Safi et Fès-Meknès. Enfin, les zones mineures se composent de Draa-Tafilalet et le Sud.

Concernant la taille des élevages, bien qu’elle soit indépendante de la répartition régionale, trois catégories se distinguent: les petits élevages, qui ont moins de 10 vaches laitières, représentent environ 90% des exploitations. Les élevages de taille moyenne, ayant entre 10 et 100 vaches laitières, forment près de 8% et les grandes fermes, avec plus de 100 vaches laitières, comptent pour environ 2% du total. Par ailleurs, le nombre total de vaches laitières au Maroc a connu une diminution entre 2019 et 2022, passant de 1,91 million à 1,67 million.

Quelles races de vaches sont les plus prisées et quels sont leurs rendements laitiers moyens?

Au Maroc, la Holstein et la Montbéliarde sont les deux races phares en matière de production laitière, avec une nette prédominance pour la première. Bien que la production moyenne annuelle pour ces deux races se situe actuellement autour de 3.000 litres, la Holstein, spécifiquement orientée vers la production laitière, surpasse la Montbéliarde, une race à vocation mixte (lait et viande), de près de 10%.

Toutefois, il est essentiel de noter que la production annuelle par vache varie considérablement en fonction des méthodes d’élevage, qu’elles soient intensives ou extensives. Pour information, dans les grandes exploitations, la production annuelle par vache peut franchir le seuil des 8.000 litres. Cet exploit est rendu possible grâce à d’importantes infrastructures, à l’usage de matériel de pointe, à un encadrement rigoureux et à des rations alimentaires spécifiques, d’où un prix de revient élevé.

Quels sont les principaux défis auxquels les éleveurs laitiers marocains sont confrontés?

La filière laitière marocaine est confrontée à une myriade de défis. Une sécheresse historiquement éprouvante, la plus redoutable depuis quatre décennies, a sévèrement restreint l’approvisionnement en eau, impactant drastiquement la production d’aliments fourragers tels que la paille, le foin et l’ensilage. Les retombées de la pandémie de la Covid-19 ont également ralenti les ventes de produits laitiers et de bétail. De plus, l’insémination artificielle a été drastiquement limitée, influençant le taux de naissance des veaux et velles et affectant par conséquent le cheptel laitier pour les années suivantes.

La guerre en Ukraine est venue exacerber cette situation déjà tendue, provoquant une flambée des coûts des intrants essentiels à l’élevage, du coût du transport ainsi que celui des emballages. Les prix des aliments pour bétail, qui représentent plus de 65% des coûts de production, ont, par exemple, grimpé en flèche, augmentant de 88% entre 2021 et 2022.

Cette cascade de crises a entraîné une contraction significative de la production laitière. En 2022, le pays a enregistré une chute d’environ 20% de la production par rapport à 2019, avant la conjonction de ces crises. Ceci s’est traduit par une diminution notoire de l’offre en lait pasteurisé et UHT au cours de cette année, particulièrement marquée au second semestre.

Face à cette situation, le ministère de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et forêts, en collaboration avec Maroc Lait, a pris une batterie de mesures. Des initiatives urgentes ont été déployées pour restaurer l’offre, comme la subvention des aliments composés ou encore l’exonération de la TVA sur l’importation d’aliments simples et fourrages.

À long terme, le gouvernement envisage la mise en œuvre du contrat programme 2023-2030 et un programme de soutien aux agriculteurs doté d’une enveloppe de 10 milliards de dirhams, dont 4 milliards sont dédiés à l’élevage bovin, ovin et caprin. Le dernier volet de ce soutien concerne des subventions pour l’achat de vaches laitières, qu’elles soient importées ou locales.

Justement, l’Exécutif a annoncé une subvention de 6.000 dirhams pour l’importation de vaches laitières et de 3.000 dirhams pour l’achat local. Comment cette mesure soutiendra-t-elle les professionnels du secteur face aux défis actuels?

Il convient de souligner que cette subvention, dont le décret a été publié au Bulletin officiel datant du 10 août 2023, vise l’acheteur, avec un montant variant selon l’origine de la génisse pleine (gestante). Il s’agit de 6.000 dirhams pour les génisses importées jusqu’à fin décembre 2026, ou jusqu’à l’atteinte du quota de 60.000 têtes, et de 3.000 dirhams pour celles produites localement, sous certaines conditions telles que la race, l’âge et la traçabilité.

La restriction d’âge (24 mois au minimum) pourrait toutefois être un frein pour certains éleveurs dont les génisses sont pleines avant cet âge et qui ne peuvent attendre l’âge de 24 mois pour vendre.

Il est à rappeler également que l’éleveur local bénéficie déjà d’une subvention de 4.000 dirhams par tête, portant ainsi la subvention totale pour la génisse produite localement à 7.000 dirhams (4.000 dirhams pour l’éleveur et 3.000 dirhams pour l’acheteur). Cette mesure est donc cruciale pour la reconstitution du cheptel bovin, fragilisé par les crises antérieures. Elle offre aux éleveurs une bouffée d’oxygène face à l’inflation qui a récemment frôlé les 20%.

Actuellement, une génisse pleine coûte environ 32.000 dirhams pour une importation, et 30.000 dirhams si elle est locale, contre 25.000 dirhams avant les chamboulements économiques causés par la pandémie, la hausse des frais de transport et la suspension de l’import des génisses d’Allemagne, qui représentaient 2/3 des importations marocaines.

De plus, l’allocation d’un quota de 60.000 génisses va stimuler le taux de naissances femelles, estimé à une hausse de 10% dès la première année. Toutefois, le véritable moteur derrière la réussite de ces mesures reste la clémence des conditions climatiques. Des années pluvieuses apporteraient un soulagement financier tant pour les éleveurs que pour l’État, insufflant un nouvel élan à la filière.

Par Hajar Kharroubi
Le 02/09/2023 à 11h03