Dans un message adressé aux membres de la CGEM, le président de la confédération, Chakib Alj, a appelé vendredi 4 février, les chefs d’entreprises au Maroc à renforcer leurs efforts de sensibilisation à la vaccination des salariés. «Il est indispensable que nous continuions à veiller rigoureusement au respect des mesures sanitaires au sein de nos entreprises, à sensibiliser et à encourager nos collaborateurs quant à l’importance de se faire vacciner de la 3e dose», a insisté le patron des patrons dans sa lettre.
Cette piqûre de rappel du président de la CGEM intervient suite à la réunion des membres de la Confédération avec le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, mercredi 2 février. Lors de cette séance de travail, le chef de l’exécutif a appelé les chefs d'entreprises à prendre leur responsabilité et à accompagner le déploiement de la politique sanitaire nationale. «Il faut que l’ensemble des salariés soient vaccinés et nous reviendrons avec plus de détails sur les mesures à prendre durant les prochains jours. (…) C’est un engagement collectif à prendre pour qu’on puisse tous retrouver notre liberté de travailler, de voyager et reprendre le cours normal de notre vie», avait assuré Aziz Akhannouch.
Un employeur peut-il obliger ses salariés à se faire vacciner ?
Depuis les déclarations du chef du gouvernement, les interrogations des salariés non vaccinés se multiplient et leur inquiétude grandit quant à la stabilité de leur emploi. Interrogé par Le360, sur le fondement légal de l’obligation de la vaccination dans le milieu du travail, l’avocate au barreau de Casablanca, Me Nesrine Roudane explique qu’en dehors d’une obligation vaccinale établie légalement, un employeur ne peut exiger de ses salariés de se faire vacciner. «A ce jour, la vaccination contre le Covid-19 reste une décision individuelle. Un employeur peut encourager ou faciliter la vaccination, mais il ne peut l’imposer», précise-t-elle.
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Il ne faut cependant pas confondre vaccin obligatoire et obligation de présentation d’un pass vaccinal pour accéder à l’entreprise. «Si l’obligation de vaccination ne peut découler que d’un texte de loi, la présentation du pass vaccinal étant rendue obligatoire par les autorités gouvernementales pour accéder aux espaces fermés, un employeur ne peut permettre à des salariés non-vaccinés d’entrer dans l’entreprise sans courir le risque d’engager sa responsabilité», explique la juriste.
En effet, le communiqué du gouvernement, en date du 18 octobre 2021 et qui est entré en vigueur le 21 octobre 2021, met à la charge des employeurs l’obligation de conditionner l’accès aux espaces fermés à la présentation d’un pass vaccinal en cours de validité, un employeur peut donc refuser l’accès aux locaux de l’entreprise à un salarié qui ne peut pas présenter son pass vaccinal.
Une lecture partagée par Me Meriem Berrada, avocate au barreau de Casablanca, spécialisée en droit des affaires, droit commercial et droit du travail. Elle explique qu’«en l'absence d’application de l’obligation vaccinale généralisée par le législateur, l’employeur ne peut pas obliger ses collaborateurs à se faire vacciner, mais il peut ou doit exiger la présentation du pass vaccinal sur le fondement du communiqué du gouvernement».
La non-vaccination peut-elle constituer un motif de licenciement ?
Si l’employeur peut réclamer la présentation du pass vaccinal à ses salariés, l’interdiction d’accès aux locaux d’une entreprise n’est pas nécessairement synonyme de licenciement. «Le droit permet aux employeurs de prendre des mesures disciplinaires à l’encontre des salariés ne respectant pas les mesures sanitaires, mais aucune disposition légale ne dit que la vaccination en fait partie. Il peut s’agir, dans le cadre du Covid-19, du non-respect, par exemple, des mesures sanitaires et des barrières mises en place au sein de l’entreprise», précise Me Meriem Berrada.
Le salarié, qui ne peut pas accéder à son lieu de travail, risque cependant de voir son contrat suspendu. «Si un salarié ne peut plus exercer son activité, son employeur devrait suspendre son contrat de travail. La période de suspension du contrat de travail du salarié n’est pas assimilable à du temps de travail effectif. Le salarié ne percevra aucune rémunération durant toute la période de suspension de son contrat de travail», précise Me Meriem Berrada.
Si la sanction de l'employeur doit être proportionnée à la faute commise, dans un contexte de pandémie, cette sanction pourrait bien aller jusqu'au licenciement. «Si un employé non vacciné persiste à ne pas vouloir présenter son pass, il peut être licencié pour absence injustifié de plus de 4 jours, inobservation des instructions à suivre pour garantir la sécurité du travail ou de l'établissement, ou encore pour refus de se conformer aux instructions de son employeur», explique l'avocate, notant que «la jurisprudence a déjà considéré que le refus d’un salarié qui travaille dans un chantier de porter le casque équivaut à une faute grave, par analogie le refus de prendre le vaccin l’est aussi», estime la juriste.
Par ailleurs, Me Roudane estime que «des alternatives peuvent être trouvées pour éviter des licenciements qui peuvent être ultérieurement jugés comme abusifs par les juridictions compétentes. Au lieu de sanctionner sévèrement, il est possible de recourir au télétravail, congés payés, congés sans solde ou suspension du contrat de travail, en espérant un retour rapide à la normale».
Comment encadrer l’exigence du pass vaccinal dans les entreprises ?
L’avocat spécialisé en droit du travail, Me Abdelghani Nkaira, regrette l’absence d’un texte de loi clair qui encadre la généralisation de la vaccination et l’obligation de présentation du pass vaccinal pour accéder aux entreprises.
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«A ce jour, il n'y a aucune loi qui encadre l’obligation de la vaccination dans les entreprises. Nous disposons uniquement d’une décision réglementaire dans le cadre de l'état d’urgence sanitaire qui impose le pass vaccinal dans certains endroits dont les administrations publiques, semi-publiques et privées».
Et d’ajouter: «En France par exemple, une loi a été promulguée pour exiger l’obligation de vaccination pour certaines professions et l’obligation de pass vaccinal pour travailler dans certains secteurs. Cette loi a été examinée par la Cour constitutionnelle qui a estimé qu’on ne peut pas considérer la non-vaccination comme un motif de faute grave. Le salarié qui refuse peut ainsi être mis en arrêt de travail, un arrêt temporaire sans salaire en attendant qu’il réponde aux exigences sanitaires».
Face à ce flou juridique, les juristes plaident pour élaborer une loi qui délimite les contours de l’obligation de présentation de pass vaccinal dans les entreprises et les responsabilités des parties prenantes afin d’éviter des mesures disciplinaires pénalisant les salariés ou encore des licenciements abusifs.
«Tant qu’on n'a pas au Maroc un texte de loi clair et précis qui définit les modalités de généralisation de la vaccination en entreprise et les mesures à prendre en cas de non-conformité, les employeurs sont obligés d’improviser, en attendant que le tribunal se prononce et qu'il y ait jurisprudence dans ce sens», indique Me Abdelghani Nkaira.
«Nous comprenons aujourd’hui que le gouvernement voudrait généraliser la vaccination pour atteindre l’immunité collective et protéger la santé des citoyens, mais il faut garantir les droits personnels des salariés. L’idéal est d’avoir une loi discutée et votée au Parlement avant sa promulgation pour définir la procédure à suivre et les mesures à prendre en cas de refus de la vaccination, cette loi devrait également être vue par le Tribunal constitutionnel marocain qui doit se prononcer pour assurer le respect des droits constitutionnels des citoyens», conclut-il.