Rien ne semble arrêter la croissance du volume d’argent liquide en circulation dans l’économie marocaine. Au cours des deux premiers mois de l’année en cours, la circulation de monnaie fiduciaire a progressé de 10,2% par rapport à la même période de 2023, à 394,82 milliards de dirhams, selon les derniers chiffres publiés par Bank Al Maghrib (BAM).
Une évolution qui préoccupe la Banque centrale et les acteurs de l’écosystème des moyens de paiement. «Le cash nous préoccupe. Il augmente d’année en année. Quand il était à un rythme de progression de 6 à 7% à long terme, nous estimions que c’était acceptable, prenant en compte notamment la croissance démographique. Mais lorsqu’il a commencé à évoluer à un rythme de 11 à 11,50%, nous disons que c’est trop», a commenté Abdellatif Jouahri, wali de BAM, lors de conférence de presse qui a suivi la réunion trimestrielle du conseil de la banque centrale, le 19 mars.
Le cash représente près de 40% du PIB
La circulation fiduciaire représente près de 40% du PIB du pays, un niveau qui est probablement le plus élevé dans le monde, estime-t-il, faisant remarquer que «même l’Égypte, où la circulation fiduciaire est omniprésente, n’atteint pas un tel niveau, se limitant à un ratio autour de 18 à 20%».
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Par effet mécanique, cette domination du cash dans les transactions courantes empêche l’essor des moyens de paiement électroniques au Maroc, comme l’avait reconnu Lotfi Sekkat, président-directeur général de CIH Bank, lors de la présentation des résultats de la banque le 23 février. «Nous devons le reconnaître tous. Ce n’est pas un grand succès. L’outil n’a pas été adopté autant que nous l’espérions», avait-il répondu à une question relative au paiement mobile, réclamant un coup de pouce du gouvernement, notamment à travers la digitalisation du transfert de ses aides directes.
Des mesures incitatives sans résultat
La prise de conscience des problèmes posés par la masse de cash en circulation n’est pas récente, mais les mesures engagées pour y faire face, notamment en encourageant le paiement mobile ou électronique, n’ont pas donné les résultats escomptés.
Il en est ainsi de l’abattement de 25% applicable à la base imposable, correspondant au chiffre d’affaires réalisé via paiement mobile par les personnes physiques disposant de revenus professionnels déterminés selon le régime du résultat net simplifié (R.N.S) ou du bénéfice forfaitaire. Introduite par la loi de finances 2020, cette incitation fut pratiquement sans effet, pas plus que les différentes actions de sensibilisation visant à diffuser la culture financière auprès des commerçants.
Observateurs et acteurs attribuent en grande partie cet échec au poids de l’informel dans l’économie marocaine, mais aussi par un manque de confiance dans les nouvelles technologies, illustré par des craintes concernant la sécurité et la confidentialité des opérations.
Jouahri promet d’aller «jusqu’au bout»
Pas de quoi décourager le wali de la banque centrale, qui s’est dit déterminé à «aller jusqu’au bout». Il a ainsi demandé à ses équipes de se pencher davantage sur la question et de frapper à toutes les portes pour cerner au plus près les facteurs qui expliquent ce phénomène.
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Abdellatif Jouahri a aussi profité de sa sortie médiatique pour lancer de nouveau un appel à l’État pour imposer le paiement électronique dans le transfert de ses aides directes. «Si un pays comme l’Inde, qui compte une population de plus de 1,3 milliard d’habitants, l’a fait, pourquoi pas nous?», a-t-il martelé, concédant qu’un effort a été fait pour les premières aides directes versées en décembre 2023.
Le cash coûte plus de 10 milliards de dirhams
C’est que l’enjeu est de taille. En plus du gain du temps, le paiement mobile ou électronique permet de réduire le coût des transactions, autant pour les usagers que pour l’économie nationale. Comprenant notamment les frais correspondant à la fabrication des pièces et des billets de banque, à la conception, la recherche et le développement de fonctionnalités de sécurité, ainsi qu’à la logistique et la distribution, ce coût se chiffre, d’après les estimations de BAM, à plus de 10 milliards de dirhams par an, soit environ 0,8% du PIB. On comprend d’autant plus la volonté du patron de la banque centrale à réduire, autant que possible, et aussi rapidement que possible, la circulation du cash dans l’économie. Reste à trouver le moyen d’y parvenir…