Maroc SA: bientôt une ardoise de 1000 milliards de dirhams

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Sur les cinq dernières années, le niveau d'endettement du Royaume a explosé. Et pour financer les ambitions du programme gouvernemental, le recours aux emprunts est incontournable. Akhannouch finira-t-il son mandat en franchissant le seuil stratégique du billiard de dirhams?

Le 10/11/2021 à 12h59

Tous les experts financiers vous le diront: ce n'est pas tant le montant de la dette qui peut inquiéter, mais plutôt la capacité à la rembourser. Sur ce dernier point, le Royaume a encore bien de la marge. Il n'empêche que le montant de la dette publique du Trésor a de quoi donner des sueurs froides: 856 milliards de dirhams, à fin juin dernier. Rien que sur les six premiers mois de l'année, cet encours a progressé de 23,3 milliards, soit quasiment le montant de l'ensemble des tirages nets réalisés en 2019.

Et encore, ce niveau de levées reste modéré par rapport à ce qui a été observé durant l'année écoulée. Les effets de la pandémie du Coronavirus n'ont laissé d'autres choix au gouvernement que de s'endetter à tour de bras. La dette publique du Trésor a bondi de 11,4%, durant l'année 2020, soit le taux de progression le plus important jamais réalisé depuis 2013. Mais surtout les 85 milliards de tirages additionnels enregistrés représentent quasiment le même montant de l'ensemble des levées réalisées entre 2017 et 2019.

Devises toutes!Car si le Royaume a relativement levé le pied sur l'endettement entre 2017 et 2018, il a fini par pleinement utiliser son effet de levier pour se financer en devises, de manière à monnayer ses positions sur les marchés internationaux. En plus de l'utilisation de la Ligne de précaution de liquidité (LPL) de 3 milliards de dollars, souscrite auprès du Fonds monétaire international (FMI), plusieurs levées de fonds ont été opérées, que ce soit sur les marchés financiers ou auprès d'organismes internationaux.

© Copyright : Rapport Dette Publique - PLF2022

L'encours de la dette extérieure du Trésor a ainsi frôlé, à fin 2020, la barre des 200 milliards de dirhams, avec une hausse de plus de 38 milliards. C'est un niveau de tirages nets qui correspond à l'ensemble des levées de la dette extérieure opérées entre 2013 et 2017. Le ratio d’endettement extérieur a même atteint le niveau historique de 18,3 % du PIB, en augmentation de 4,3 points par rapport à fin 2019.

Cette forte progression est à attribuer à la hausse pour plus de 20 milliards de dirhams de la dette extérieure auprès des créanciers privés (105,3 milliards) suite aux deux levées de fonds réalisées par le Trésor sur le marché financier international. D'ailleurs, la première émission, effectuée en septembre 2020, portant sur un montant d’un milliard d’euros, n'avait servi qu'à rembourser un ancien prêt international qui était arrivé à échéance.

Echéances & NotationsLe remboursement des anciennes lignes de crédit devra d'ailleurs considérablement peser sur les finances de l'Etat. Pour les cinq prochaines années, les projections du service de la dette extérieure publique, font ressortir trois tombées de remboursement importantes au titre des Eurobonds émis par le Trésor. Entre 2022 et 2026, le service de la dette extérieure publique (y compris celle de l'administration) devrait cumuler des échéances de 173 milliards de dirhams, avec un pic de 50 milliards en 2024.

© Copyright : Rapport sur la dette publique - PLF2022

Rien que pour l'année prochaine, le service de la dette prévu est estimé à 43 milliards de dirhams. Un montant que le Royaume ferait mieux de mobiliser sans avoir à s'endetter au niveau international. Et pour cause, le recours massif à l'endettement n'a pas laissé indifférente la notation de nos titres souverains.

Dès la deuxième revue effectuée en octobre 2020, les agences de notation ont commencé à réviser à la baisse leur rating du Royaume. S&P a changé la perspective de «stable» à «négative» tout en maintenant le Maroc au niveau «Investment grade» de la note «BBB-». Fitch a, pour sa part, rétrogradé la note souveraine de «BBB-» à «BB+».

Les prochains emprunts du Royaume risquent de lui coûter cher à l'international. Pourtant le déficit budgétaire structurel de Maroc SA force à s'appuyer sur l'endettement. L'ardoise ira donc forcément en s'alourdissant d'ici la fin de l'année, mais aussi tout au long du prochain quinquennat.

Besoins grandissantsDéjà en 2022, le déficit budgétaire sera plus important que le taux de croissance. Les hypothèses du premier Projet de loi de Finances de Nadia Fettah Alaoui font état d'un déficit budgétaire de 5,9% par rapport à un PIB qui devrait progresser de 3,2%. Des besoins additionnels peuvent surgir, eu égard à la flambée des prix des matières premières, qui devrait engendrer une surcharge pour la caisse de compensation. La récolte céréalière assez optimiste avec 80 millions de quintaux espérés peut également être compromise avec le retard des pluies constaté lors de ce début de saison agricole.

© Copyright : Rapport sur la dette publique - PLF2022

A cela s'ajoute les besoins de financement du programme gouvernemental. La généralisation de la protection sociale, les investissements conséquents dans les secteurs de la Santé et l'Education, la réforme des secteurs productifs, la promotion du Made in Morocco, la simplification des procédures et le soutien de l'activité économique des femmes sont autant de chantiers structurants se chiffrant en centaines de milliards de dirhams. L'élargissement des recettes de l'Etat ne saurait jamais suffire à couvrir un tel besoin et le recours à l'endettement est incontournable.

Dans ce sens, c'est le marché domestique qui va devoir prendre le relais le temps que Maroc SA soigne ses équilibres macro-économiques et redore son blason sur le marché international. Surtout que les ressources en interne ne manquent pas.

L'appel à fonds lancé par le Roi Mohammed VI en pleine pandémie a démontré la forte capacité à mobiliser un financement en interne. Le lancement d'un grand emprunt national est d'ailleurs toujours à l'ordre du jour, le temps de fixer ses modalités techniques. Et le marché des bons du Trésor a retrouvé une certaine profondeur qui lui faisait défaut aux premiers mois suivant la pandémie. Les mesures monétaires prises ont permis de redonner confiance aux investisseurs qui, pendant un temps, se positionnaient exclusivement sur les bons du Trésor à court terme.

Au rythme actuel, la dette du Trésor devrait, d'ici la fin du quinquennat frôler, voire dépasser, la barre des 1000 milliards de dirhams. Sauf que les 100 milliards à mobiliser d'ici là seront décisives. Ce sont ces investissements qui détermineront si le Royaume est sur la bonne voie. Si le Maroc suit bien le bon modèle de développement…

Par Fahd Iraqi
Le 10/11/2021 à 12h59