La taxe carbone! C'est la nouvelle trouvaille de l'UE pour tenter d'atteindre son objectif de neutralité climatique à horizon 2050. Mais c'est aussi un moyen de générer de quoi rembourser les milliards d'euros de subventions distribuées pour la relance des économies du vieux continent, étouffées par la crise du Covid-19.
Très concrètement, il s'agit d'un Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), inclus dans le Pacte vert qui sert de feuille de route à l'Exécutif européen. Les vingt-sept chefs d'Etat et de gouvernement se sont ainsi accordés, en juillet dernier, sur ce mécanisme visant à «éviter que les efforts de réduction des émissions consentis par l’UE ne soient neutralisés par une augmentation des émissions en dehors de l’Union qui résulterait d’une délocalisation de la production ou d’une augmentation des importations de produits à plus haute intensité de carbone», comme le projet de règlement le souligne.
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Pour l'heure, celui-ci donne une indication assez globale sur le champ d'application des marchandises concernées par cette mesure, qui devrait être déployée à partir de 2023. Sont pour l'heure identifiées des familles de marchandises telles que le ciment, l'électricité, les engrais, la fonte, le fer, l'acier et l'aluminium. Cette barrière non tarifaire s'applique même aux produits transformés incluant des composantes de ces matières… Donc autant dire qu'elle concerne presque tout produit industriel.
Le Maroc prêtDe prime abord, une telle mesure aurait pu avoir des conséquences désastreuses sur les exportations marocaines, dont les deux tiers sont à destination de l'UE. Le secteur automobile qui pèse à lui seul près de 80 milliards de dirhams (en 2019) dépend exclusivement du marché européen. C'est donc toute cette manne en devises en plus de l'ensemble de l'écosystème automobile, avec ses 180.000 postes d'emplois créés (sur une décennie) qui auraient pu se retrouver en péril si cette nouvelle taxe carbone aux frontières pénalisait la compétitivité des véhicules sorties des chaînes marocaines.
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Le Royaume a néanmoins pris les devants en mettant depuis plus d'une décennie les énergies renouvelables au cœur d'une stratégie dont la mise en œuvre est suivie en haut lieu. «Même si l'objectif initial était d'atteindre en 2020 une part du renouvelable de 42% dans le bouquet énergétique, les réalisations permettent jusque-là de couvrir plus d'un tiers des besoins du Royaume», nous explique un ancien du département de l'Energie.
Les 37% de part d'énergie renouvelable dans l'électricité produite au Maroc permettent effectivement de couvrir la demande du secteur industriel. Celle-ci ne dépasse pas d'ailleurs les 21%, ce qui a permis à l'ancien ministre de l'Industrie de marteler que «le Royaume est en mesure de décarboner complètement son industrie».
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Ryad Mezzour, qui a pris le relais à la tête de ce département, se montre tout aussi rassurant que son prédécesseur. «Nous sommes quasiment prêts. Il y a de grandes unités comme Renault Tanger qui sont déjà à zéro émission. Il est d'ailleurs question de généraliser l'alimentation en énergies renouvelables pour les unités du secteur automobile dès l'année prochaine et enchaîner avec les autres industries sur les 24 mois à venir», assure-t-il.
Discrimination positivePlus qu'une contrainte, Ryad Mezzour voit dans ce nouveau mécanisme européen une aubaine pour le Maroc. «Il s'agit d'une discrimination positive pour les exportations marocaines moins polluantes», affirme le ministre, déterminé à saisir cette opportunité.
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Pour la décarbonation de son secteur, le responsable gouvernemental a déjà une vision assez précise. «Les zones industrielles sont en train d'être raccordées à l'électricité “verte“, plus abordable. Cela permettra à terme de favoriser la compétitivité de nos industriels», souligne Ryad Mezzour.
Néanmoins, le déploiement de ce raccordement des zones industrielles reste tributaire d'un accompagnement du ministère de la Transition énergétique. Sauf que le département de Leila Benali reste pour l'heure assez mystérieux quant à sa stratégie en la matière. La ministre de la Transition énergétique est pour l’heure également restée muette au sujet de l'approvisionnement du Royaume en gaz naturel, suspendu depuis la fermeture du gazoduc Maghreb-Europe. Le gaz naturel est pourtant un intrant décisif au développement futur de l'industrie marocaine. «Le gaz naturel est indispensable pour nos besoins futurs qui seront plus conséquents avec l'intégration de l'industrie lourde», confirme Ryad Mezzour.
Mesures d'accompagnementCette décarbonation de l'industrie marocaine reste au cœur de la stratégie nationale de développement durable, impliquant en plus des ministères de l’Industrie et de l’Energie, la Fondation Mohammed VI pour l’environnement, l’Agence marocaine de l’efficacité énergétique (AMEE), et la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). Une vaste campagne de généralisation des bilans carbone des entreprises sera d'ailleurs lancée.
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«L’opération consiste à accompagner les entreprises industrielles, en général, et celles exportatrices vers l’UE, en particulier, pour évaluer leur bilan carbone, et ce en quantifiant les émissions de gaz (GES) générées par leurs activités de production de biens ou services, allant de la consommation d’énergie jusqu'au traitement des déchets, en passant par le transport», indique une source proche du dossier.
Cela devrait aboutir à la création d'une certification de l'impact carbone sur la production, une sorte de norme marocaine reconnue au niveau européen. Et pour financer leurs projets en matière d'efficacité énergétique, les industriels disposent déjà de formules de soutien existantes. Maroc PME déploie déjà Tatwir Energie verte, qui porte sur la prise en charge quasi-intégrale du coût d'investissement ainsi que sur des primes et des remboursements liés aux investissements portant sur l'intégration des énergies renouvelables.
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Cette neutralité carbone visée par l'industrie marocaine passe également par la mise en place d'un marché national de carbone, permettant aux entreprises de compenser leurs émissions. Un nouveau marché financier dont les contours restent, pour l'heure, encore théoriques.
L'ensemble de ces préalables devient inéluctable afin d'obtenir le sésame pour continuer à commercer avec l’UE. Cette transition énergétique permettra aussi au Royaume de gagner en crédibilité auprès des bailleurs de fonds internationaux. Par exemple, la Banque Mondiale vient d'annoncer son objectif de consacrer 35% de financement en moyenne, dans son plan d'action 2021-2025, aux projets visant à avoir des bénéfices climatiques. C'est que le «verdissement» de l'économie mondialisée tend à devenir une nécessité.