La société marocaine a besoin d’un «modèle social global» qui permet d’organiser la solidarité et d’offrir aux citoyens l’égalité des chances, cette dernière étant définie fort élégamment par un philosophe comme «le droit de ne plus dépendre exclusivement de la chance et de la malchance». Composé de l’accès à l’éducation, à la protection sociale, la santé, l’emploi, le logement, la retraite et capable de fournir l’aide en cas d’éventuels grands aléas (tremblement de terre, épidémie…), le modèle social est celui qui légitime grandement l’action de l’Etat et donne sens à la citoyenneté.
La construction d’un modèle social couvrant réellement les besoins n’est pas chose aisée, d’abord pour son coût très élevé et l’effort de solidarité qu’il demande aux classes nanties, et ensuite pour sa mise en place et la négociation de son contenu. L’éventail des services des divers modèles sociaux est variable, demandant temps et sacrifices.
Le Maroc ambitionne de se doter d’un modèle social, sans violence, mettant en valeur la composante «solidaire» de son identité, rappelée par le Roi dans son discours devant le Parlement le 13 octobre 2023.
L’occasion du débat sur le projet de budget 2024 est propice pour faire un premier état des lieux global sur ce vaste projet et interroger les éléments de sa réussite.
Le Maroc fournit un effort conséquent dans le secteur de l’enseignement, et ce, depuis bien longtemps. Avec 92,541 milliards de dirhams, soit 6,6% du PIB, le Maroc se place avec ce ratio à un niveau supérieur ou comparable à celui de la Turquie, la Corée du Sud et la France, sans pour autant réaliser des résultats convaincants qualitativement, de l’aveu même du ministre en charge et des indices internationaux.
Le système de santé est le parent pauvre de notre modèle social. Avec un budget annuel de 30,689 milliards de dirhams, soit 2,2% du PIB, il se situe très en deçà de la moyenne mondiale, établie à 10% du PIB, d’après l’OMS. Même en ajoutant le secteur privé, cette moyenne n’atteint pas les 5% du PIB. Les déficits accumulés en ressources humaines (32.000 médecins et 65.000 adjoints de santé) et en équipements sont énormes et sources de réelles interrogations, voire d’inquiétudes.
L’intérêt royal a permis le début de la mise en place de la protection sociale. Les premières aides aux plus précaires seront distribués en 2024, avec la promesse que cela va aller crescendo pour embrasser plusieurs pans, voire la totalité du système. Les chiffres disponibles font état de plusieurs dizaines de milliards.
L’habitat, grâce aux dernières décisions royales, devrait être au rendez-vous. Les déficits accumulés en logements (1.200.000) et ceux à construire dans les prochaines années (horizon 2030) sont à la portée d’un secteur privé performant qui n’a besoin que d’un accompagnement incitatif... et vigilant.
Les aides aux sinistrés de la montagne ont commencé à être distribuées. Reste à l’agence mise en place de mener le chantier dans les temps et les normes.
Les négociations sur la retraite sont en cours, sans trouver de solutions définitives jusqu’à présent sur le volet financement. Les réserves s’amenuisent et la population vieillit.
Malgré les déficiences et les retards, le nouveau modèle social s’installe et prend forme. Reste la question de savoir si le modèle économique en cours est capable de supporter son coût. D’inspiration néo-keynésienne, privilégiant les investissements dans les infrastructures, incapable de créer des emplois en nombre suffisant malgré les investissements publics importants qu’il mobilise, pingre en créations de richesses (la croissance demeure modeste), créateur de disparités, le modèle économique actuel ne parvient pas à convaincre. Or, le véritable défi pour le Maroc pour les prochaines années est de trouver le modèle économique capable de répondre aux besoins importants en financement du modèle social projeté, créateur d’emplois et de richesses pour maintenir l’équilibre nécessaire dans une économie de marché entre rétribution du capital et du travail.
A défaut de s’engager dans un nouveau modèle économique priorisant la décarbonation, le développement industriel, la dynamisation du secteur public à travers son introduction partielle à la bourse, l’implication du secteur privé dans les grands projets, la substitution des importations des consommations intermédiaires, l’encouragement de la PME, une gestion publique convaincue des principes de «performances, reddition des comptes et transparence», une politique budgétaire et fiscale s’inscrivant dans la logique de l’Etat social et répartiteur, il serait vain de croire en la réalisation rapide du nouveau modèle social.
La voie vers un juste équilibre entre efficacité économique et solidarité est à chercher dans la cohérence entre le modèle social et le modèle économique. Cette voie, seule les politiques peuvent la tracer et endosser sa réussite ou son échec. A eux de faire preuve d’imagination.