Pour la troisième fois consécutive, Bank Al-Maghrib a relevé son taux directeur de 50 points de base à 3%, à l’issue de son premier Conseil de l’année, tenu le 21 mars. Selon le communiqué de la banque centrale, cette décision, qui a pris effet jeudi 23 mars, a pour objectif de «prévenir l’enclenchement de spirales inflationnistes auto-entretenues» et «favoriser le retour de l’inflation à des niveaux en ligne avec l’objectif de stabilité des prix».
En effet, le resserrement de la politique monétaire de BAM intervient alors que l’inflation ne cesse de s’envoler. Selon les dernières statistiques du Haut-commissariat au plan (HCP), l’indice des prix à la consommation (IPC) a enregistré une hausse d’environ 10,1% en février 2023, comparé à la même période en 2022, tiré essentiellement par l’envolée des prix des produits alimentaires, qui ont augmenté de 20,1% durant la même période.
Stopper l’hémorragie
Interrogé par Le360 sur la pertinence du resserrement de la politique monétaire de BAM, l’économiste Nabil Adel estime que cette décision est «complètement justifiée» même si elle arrive en retard, l’institution n’ayant commencé à relever son taux directeur qu’à partir de septembre 2022, alors que l’inflation était là bien auparavant et que plusieurs banques centrales dans le monde avaient relevé leur taux directeur, notamment en Europe et aux États-Unis.
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Selon notre expert, l’inflation au Maroc est bien d’origine monétaire et nécessite l’intervention de BAM pour assécher les liquidités sur le marché. «Le rythme de la masse monétaire progresse beaucoup plus rapidement que le rythme de production depuis plusieurs années. La crise du Covid-19 n’a fait que faire exploser une inflation latente. On ne peut plus dire que cette inflation est importée. Nous voyons bien aujourd’hui que même si les prix sur le marché international baissent, le taux d’inflation au Maroc continue d’augmenter», explique-t-il.
En effet, le PIB national a évolué de 1,3% en 2022 par rapport à 2021, selon le HCP, alors que la masse monétaire (l’agrégat M3), qui désigne la quantité de monnaie en circulation dans l’économie, a évolué de 8% durant la même période pour s’établir à 1.686,4 milliards de dirhams, d’après les statistiques de BAM.
Une chaîne de transmission complexe
Pour ce qui est de l’impact de la hausse du taux directeur sur l’évolution des prix à la consommation, Nabil Adel note qu’il est difficile de mesurer l’effet du resserrement de la politique monétaire de BAM à court terme, en raison de la complexité de la chaîne de transmission qui peut prendre plusieurs mois. «Quand Bank Al-Maghrib relève son temps directeur, il faut du temps pour que les banques commerciales s’adaptent et relèvent leurs taux débiteurs. Cela se traduit par la suite par une baisse du volume des crédits bancaires, suivie d’une baisse de la demande financée par crédit et in fine une stabilisation des prix», détaille-t-il.
Et d’ajouter: «Cette chaîne peut prendre plusieurs mois. Il arrive qu’on observe que malgré la hausse des taux la demande reste importante, parce que les agents économiques continuent de penser que le coût de l’endettement est abordable. Il faut donc beaucoup de temps pour que ce coût devienne cher et dissuasif.»
Un grand trou à combler
Notre interlocuteur observe, par ailleurs, que la politique budgétaire gouvernementale va à l’inverse de l’effort de BAM pour contrer l’inflation. Selon lui, si d’un côté, la banque centrale cherche à assécher les liquidités, à réduire l’endettement et à faire baisser la demande intérieure pour maîtriser l’envolée des prix, l’exécutif continue d’injecter de l’argent dans l’économie en finançant différents projets.
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«Toute politique budgétaire expansive annulera systématiquement les effets des mesures monétaires que prend et prendra Bank Al-Maghrib. Le gouvernement doit comprendre qu’il faut adopter une politique d’austérité et réduire ses dépenses publiques», alerte l’économiste, ajoutant que «le déficit budgétaire est un accélérateur d’inflation». En d’autres termes, la demande publique alimente automatiquement la demande globale et déclenche l’inflation.
«On fait aujourd’hui face à une inflation galopante à deux chiffres, c’est un phénomène macro-économique qu’il faut régler avec une politique monétaire stricte que BAM a engagée, mais il y a une fuite, c’est la demande publique. Il faut donc que le gouvernement prenne des décisions fermes, même si elles sont douloureuses socialement», conclut Nabil Adel.