Dans un policy brief sous le thème «Pourquoi l'Europe a-t-elle un intérêt stratégique dans la réalisation du gazoduc Nigéria-Maroc?», le senior fellow (chercheur principal) au Policy Center for the New South (PCNS), Jamal Machrouh, avance six arguments pour fonder l’existence et la pertinence d’un tel intérêt, relevant, dans un premier temps, que le projet contribuerait efficacement à la diversification des ressources gazières des pays européens et leur donnerait plus de marge de manœuvre.
«La visualisation de la carte des gazoducs en Europe fait ressortir une concentration excessive des sources d’approvisionnement… Au total, pas moins de 50% du gaz consommé dans les pays de l’Union européenne (UE) proviennent d’une même source d’approvisionnement. Ceci constituerait naturellement une arme géopolitique dangereuse susceptible d’être utilisée contre l’Europe», souligne le spécialiste des questions de géopolitique et de relations internationales.
Il a, dans ce sens, mis l’accent sur l’importance pour l’Europe d'œuvrer pour une plus grande diversification de ses importations gazières, notant que les ressources gazières africaines sont importantes et le potentiel des réserves onshore et offshore est prometteur.
En outre, le professeur adjoint à la Faculté de gouvernance, sciences économiques et sociales de l'Université Mohammed VI polytechnique, et professeur de relations internationales à l'Ecole nationale de commerce et de gestion de Kénitra, souligne que la mise en place du gazoduc participerait à l’édification d’une nouvelle génération de mesures qui aideraient à juguler les menaces asymétriques dont souffre l’Europe.
De même, le projet, ajoute le spécialiste, réduira le risque de remplacement de la dépendance européenne au gaz russe par une dépendance aux sources d’énergie non conventionnelles aux conséquences climatiques dangereuses et empêcherait également l’émergence d’une forte dépendance gazière européenne envers l’Algérie.
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«La réorganisation du marché énergétique européen devrait se faire sur des bases solides et pérennes. Une telle réorganisation ne devrait surtout pas reproduire les mêmes schémas du passé qui ont révélé leur déconfiture», souligne, dans ce sens, Jamal Machrouh, ajoutant que le risque d’une utilisation de l’arme du gaz par le régime algérien ne devrait pas être écarté.
Il a, dans ce sens, rappelé deux décisions prises par l’Algérie qui démontrent l’utilisation par Alger du gaz comme une arme géopolitique, (fermeture du Gazoduc Maghreb-Europe fin 2021 et la réduction des quantités de gaz livrées à l'Espagne en 2022), mettant également l'accent sur le facteur d’insécurité qui marque la zone du passage du gazoduc proposé par l'Algérie.
Quant aux deux derniers gains stratégiques pour l'Europe, Jamal Machrouh estime que le projet de gazoduc Nigéria-Maroc donnerait à l’Europe l’occasion de procéder à un rééquilibrage de son mouvement stratégique d’un schéma horizontal peu productif pour emprunter un schéma vertical, véritable démultiplicateur de sa puissance, et impulserait une dynamique positive au processus d’intégration économique dans la région de l’Afrique de l’Ouest qui constituerait, en retour, un vaste marché de consommation utile pour les économies européennes.
Lancé en 2016 à Abuja, au Nigéria, sous la présidence du roi Mohammed VI, et du président nigérian Muhammadu Buhari, le projet est entré dans une phase nouvelle et avancée, avec la signature, le 15 septembre dernier, d’un mémorandum d’entente entre la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), la République fédérale du Nigéria et le Royaume du Maroc.
Le projet ambitionne d’acheminer des ressources gazières du Nigéria vers le Maroc en traversant onze pays ouest-africains, et la liaison avec le Gazoduc de Maghreb-Europe qui traverse la Méditerranée avec, au final, l’interconnexion avec le réseau énergétique européen.
Le PCNS est un think tank marocain dont la mission est de contribuer à l’amélioration des politiques publiques, aussi bien économiques que sociales et internationales, qui concernent le Maroc et l’Afrique, parties intégrantes du Sud global.