Le secteur laitier est en grande difficulté, impacté notamment par la sécheresse. Mais le marché national est régulièrement approvisionné et continuera de l’être, y compris durant le mois de ramadan, période de grande consommation de ce produit. Ceci, «grâce à une bonne collaboration» entre la fédération interprofessionnelle de la filière, Maroc Lait, et le ministère de l’Agriculture, avec des mesures en faveur des professionnels, dont, entres autres, la subvention pour les aliments composés, la subvention de la poudre du lait et du beurre, ainsi que la suppression des droits de douane sur les aliments grossiers. C’est ce qu’assure Maroc Lait, contactée par Le360.
«La filière laitière est effectivement sévèrement impactée à cause de deux phénomènes», indique Mohammed Raita, directeur général de Maroc Lait. Le premier phénomène est la sécheresse prolongée. En effet, lorsqu’une sécheresse intervient après une ou plusieurs années pluvieuses, le stock des aliments amortit le choc. Mais actuellement, déplore-t-il, c’est la sixième année de sécheresse et «il n’y a ni stock, ni eau d’irrigation».
Le deuxième phénomène qui met à mal la filière laitière est la hausse des prix des intrants à l’international, ce qui rend les produits de substitution importés difficilement accessibles, surtout qu’ils ne bénéficient pas de subventions. Ce qui s’est traduit par une nette baisse du cheptel de 30% depuis le début de cette période prolongée de sécheresse, selon les estimations de Maroc Lait. Mais «cette baisse ne signifie pas “30% de fermetures de fermes” car la majorité des éleveurs baissent leur cheptel sans fermeture définitive», tient à préciser Mohammed Raita, ajoutant que le maintien d’un minimum de cheptel leur permet de bénéficier de certains avantages (subvention, CNSS, crédits…).
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Dans quelle mesure le recours à l’aliment composé peut-il être une solution pour faire face au manque de ressources fourragères? «L’aliment composé constitue au moins 40% de la ration. C’est la subvention de cet aliment qui nous a permis de maintenir une grande partie du capital élevage», indique la même source. Ceci, sachant que, comme nous l’a expliqué un ingénieur agronome, c’est le fourrage vert, comme la luzerne, gorgé d’eau et de protéines, qui favorise la lactation et donc le volume du lait produit par tête. Les autres aliments (composé, fourrage secs) contribuent surtout à la croissance et à la bonne santé des animaux.
Qu’en est-il du recours au lait en poudre pour compenser la baisse de la collecte de lait? «Auparavant, le lait cru collecté servait à la fabrication du lait (pasteurisé et UHT) et des dérivés. La subvention de la poudre de lait et du beurre importés en 2023, orientée pour la fabrication des dérivées, nous a permis d’économiser environ 200 millions de litres de lait cru pour la fabrication du lait pasteurisé et UHT pour 2023 et ramadan 2024», note Mohammed Raita.
Parmi les autres solutions auxquelles peuvent recourir les éleveurs pour faire face à l’impact de la sécheresse sur la filière, certains experts recommandent le retour aux vaches de races locales qui sont mieux adaptées au climat difficile. Mais le DG de Maroc Lait n’approuve pas cette idée: «À mon avis, ce n’est pas une solution économiquement fiable, ni pour les éleveurs, ni pour l’autosuffisance alimentaire. En effet, les races améliorées produisent, au Maroc, environ 8.000 litres par an, dans les grandes fermes et environ 4.500 litres dans les petits élevages, alors que la production des races locales est d’environ 600 litres par an!»
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Notre interlocuteur pointe également la montée de l’informel dans le secteur laitier. «Avant 2020, nous étions en amélioration. Depuis le Covid-19 et les différentes crises, le taux de colportage a quasiment doublé, passant de 15 à 30% en moyenne selon les régions», s’alarme-t-il. «Nous travaillons avec le ministère de l’Agriculture pour baisser ce taux en intégrant les colporteurs dans l’activité formelle par des formations, recrutements.»
L’élevage consomme énormément d’eau!
Selon un ingénieur agronome que Le360 a contacté et qui a préféré garder l’anonymat, la grande crise que connaît actuellement la filière laitière ne date pas d’aujourd’hui; le secteur connaît une succession de crises depuis le boycott du lait et même avant. Pour lui, le problème majeur de la filière est que l’élevage consomme énormément d’eau, qui se fait rare, avec la nette baisse des précipitations et du taux de remplissage des barrages.
De ce fait, le prix de l’eau augmente, ce qui renchérit le coût de l’élevage, note l’expert, soulignant qu’«on est à la limite de la rentabilité». Ainsi, explique-t-il, on est parti d’un coût de 0 dirham/m3 avec l’eau de la pluie qui est accessible pour tout le monde à un prix de 0,5 dirham/m3, puis à 2 dirhams/m3, voire plus avec l’eau souterraine qui est très coûteuse, puisqu’elle nécessite de l’énergie pour le pompage. L’amortissement des investissements est également en cause dans ce renchérissement.
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Le coût de l’eau souterraine dépend aussi de la profondeur du forage de puits pour trouver de l’eau. Dans la région du Souss, illustre cet ingénieur agronome, «cette profondeur peut dépasser 200 mètres et dans certaines zones, il n’y a plus rien à pomper, les nappes ayant été asséchées». Ce qui impacte directement la filière laitière. Cette situation renseigne sur les limites de la politique agricole du pays qui repose sur l’épuisement des ressources, estime notre expert. Sinon, s’interroge-t-il, comment expliquer qu’au moment même où l’on procède à des coupures d’eau potable pour les citoyens, l’on continue à faire de l’élevage intensif très consommateur d’eau? Pour lui, cet élevage ne peut être rentable qu’avec les pluies, et ce sont donc les pays où il pleut beaucoup qui sont les mieux placés pour le pratiquer.
Alors, que faire? «Tout d’abord, nous espérons un retour des années pluvieuses. À défaut, il y a plusieurs techniques en développement: l’orge hydroponique pour les petits élevages, l’élevage hors sol (import des aliments) pour les grandes fermes, etc.», indique Mohammed Raita. «Et dans tous les cas, des nouvelles techniques d’économie d’eau, des techniques culturales et un choix de cultures non gourmandes en eau deviennent indispensables», ajoute-t-il.
De son côté, l’ingénieur agronome propose une remise à plat, avec un débat public qui doit associer tout le monde: pouvoirs publics, professionnels, chercheurs... pour trouver des solutions pérennes et durables à la crise que traverse le secteur laitier.