Le Brésil souhaite renforcer son partenariat économique avec le Maroc. Au cours de ces derniers mois, la première puissance économique d’Amérique latine a multiplié les initiatives pour stimuler les échanges commerciaux avec le Royaume. La dernière en date est le projet de décret législatif visant à faciliter les investissements entre les deux pays, approuvé le 6 février dernier par la Chambre des députés du Parlement brésilien.
Deux mois auparavant, 37 sénateurs et 14 députés fédéraux de ce pays avaient adopté une motion visant à encourager un partenariat stratégique multiforme avec le Maroc, adressée au ministre brésilien des Affaires étrangères, Mauro Vieira.
Contacté par Le360, Tamer Mansour, secrétaire général de la Chambre de commerce arabo-brésilienne (ABCC), basée à São Paulo, explique que le Brésil a toujours été intéressé par le renforcement des liens commerciaux avec les pays africains et pense pouvoir le faire efficacement avec ceux qui peuvent faciliter l’écoulement de ses produits sur le continent, comme le Royaume. En effet, «le Maroc, en plus de chercher à progresser dans la mise en forme d’un accord de libre-échange avec le Brésil, est en train de mettre en place un hub d’exportation moderne sur son territoire, principalement à partir du port de Tanger, capable d’accéder à toute l’Afrique du Nord, mais aussi à l’Europe», déclare-t-il.
À l’en croire, l’accord de libre-échange entre le Marché commun du Sud (MERCOSUR) et l’Égypte, entré en vigueur en 2019 et qui a favorisé un meilleur équilibre commercial entre Brasilia et Le Caire, et l’accord de non-imposition que le Brésil a signé avec les Émirats arabes unis et qui a stimulé les investissements émiratis dans ses grands projets d’infrastructures, ont convaincu les parlementaires brésiliens de l’impact positif de tels partenariats.
«Ces deux expériences ont été fondamentales pour consolider, au sein du corps législatif brésilien, la compréhension du fait que les accords bilatéraux de libre-échange et les accords de non-taxation sont efficaces dans leurs objectifs et fondamentaux pour stimuler un commerce de qualité, en d’autres termes, un commerce équilibré et bénéfique pour les parties impliquées», souligne Tamer Mansour.
Les échanges commerciaux Maroc-Brésil ont atteint 2,65 milliards de dollars en 2023
Pour l’expert brésilien en géopolitique et relations internationales Marcus Vinicius de Freitas, cet engouement de la grande puissance agricole sud-américaine envers le Royaume est loin d’être anodin, surtout dans ce contexte de guerre en mer Noire. «Le Maroc, un des plus grands producteurs d’engrais au monde, est un partenaire essentiel pour le secteur agricole brésilien, qui ne cesse de croître. Étant donné que la Russie, un important fournisseur d’engrais du Brésil, a été touchée par plusieurs sanctions en raison de la guerre en Ukraine, le Brésil devrait améliorer ses liens avec le Maroc pour garantir l’accès à ces produits essentiels pour sa production agricole», soutient le chercheur principal au Policy Center for the New South (PCNS).
D’après notre interlocuteur, le Maroc et le Brésil ont, pendant longtemps, concentré leurs échanges sur l’Europe et les États-Unis. Et «comme ces partenaires sont actuellement confrontés à des défis énormes et redoutables, la diversification des alliances politiques et économiques avec des pays influents aux niveaux régional et mondial devient un nouvel enjeu».
D’ailleurs, la prédominance des produits agricoles dans les échanges commerciaux entre les deux pays est perceptible dans les chiffres de l’année 2023, obtenus par Le360 auprès de l’ABCC. Ces produits représentaient la quasi-totalité de ce commerce bilatéral, sur des échanges d’un montant global de 2,65 milliards de dollars (voir infographie), légèrement en dessous du record de plus de 3 milliards de dollars en 2022. On y note aussi une balance commerciale excédentaire de 174 millions de dollars pour le Maroc, troisième fournisseur du Brésil dans le monde arabe l’année dernière et sixième destination des exportations brésiliennes dans la même région.
Ce partenariat dans le secteur agricole est notamment matérialisé par la présence du groupe OCP à travers ses deux filiales brésiliennes: OCP Do Brazil et OCP Fertilizantes. Le leader mondial des engrais phosphatés avait également acquis, en janvier 2015, 10% du capital de la société brésilienne Fertilizantes Heringer pour un montant de 55 millions de dollars.
Au-delà de l’agriculture, la coopération économique entre Rabat et Brasilia pourrait s’étendre à d’autres domaines. Selon Tamer Mansour, ce partenariat stratégique pourrait évoluer «pour répondre aux nouveaux besoins du 21ème siècle, tels que la décarbonation, secteur dans lequel le Brésil est extrêmement compétitif», ainsi que le développement de technologies d’électrification et de stockage du carbone.
Les produits halal, un marché de niche
«Dans l’optique de développer son activité de réexportation, le Maroc aura certainement besoin d’un surplus de produits au-delà de la demande de son marché, qui peut également être fourni par le Brésil, en particulier les aliments halal, très prisés par les musulmans, dont le pays sud-américain est le plus grand exportateur mondial», note le SG de la Chambre de commerce arabo-brésilienne.
Pour lui, le Royaume, qui dispose d’une industrie agroalimentaire très compétitive, peut également compter sur le Brésil «dans la fourniture de technologies pour la production agricole tropicale, sous la forme de cultivars adaptés et de souches animales spécifiquement développées pour produire dans les zones climatiques et les biomes».
Il cite également la production de sources d’énergies renouvelables, à travers notamment l’éolien, le solaire et les biocarburants. «Le Brésil a fait des progrès dans le domaine des biocarburants et de l’hydroélectricité, dans lesquels le Maroc a beaucoup investi. Le partage des connaissances pourrait être mutuellement bénéfique», souligne, pour sa part, Marcus Vinicius de Freitas.
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La future implantation au Maroc de Banco do Brasil, évoquée par la presse brésilienne, devrait donner un coup d’accélérateur aux investissements brésiliens dans le Royaume, principalement ceux des entreprises agro-industrielles, sa principale clientèle. «Banco do Brasil a déjà développé une série d’initiatives, sous forme de crédit de fonds de roulement, pour les entreprises exportatrices, de financements, de titrisation des transactions financières internationales pour les grandes entreprises et pour les petites et moyennes entreprises qui cherchent encore à réaliser leur première vente à l’étranger», révèle Tamer Mansour.
Élaborer un accord sur la non-imposition des investissements
Mieux, «le gouvernement brésilien a mis en place plusieurs mesures visant à faciliter l’insertion des produits brésiliens à l’étranger, en permettant des transactions en monnaies locales, et pas seulement en dollars», ajoute-t-il.
Marcus Vinicius de Freitas abonde dans le même sens en expliquant que «l’implantation des institutions bancaires brésiliennes incitera leurs clients brésiliens à s’installer au Maroc. Banco do Brasil, en particulier, est un acteur essentiel du commerce international brésilien et certainement le plus qualifié pour soutenir les entreprises opérant sur les marchés internationaux».
De l’avis de Tamer Mansour, l’élaboration d’un accord sur la non-imposition des investissements pourrait faciliter l’implantation de grandes entreprises brésiliennes opérant dans le secteur agroalimentaire au Maroc. Qui plus est, le Royaume constitue, selon lui, un endroit stratégique qui leur permettra de tirer profit des avantages de l’accord de libre-échange signé avec l’Union européenne, pour accéder à un marché européen totalisant plus de 400 millions de consommateurs potentiels. «Si ces paramètres sont pris en compte, avec des mesures de facilitation dans l’accord de libre-échange actuellement en discussion, les conditions seront réunies pour que les deux pays construisent une relation encore plus stratégique qui favorisera un développement mutuel, dans un avenir proche», prédit l’expert.