Le sort incertain de la raffinerie de Mohammedia est à l'origine de nombreux débats et donne lieu à des prises de position diverses. Les propos récemment tenus par la ministre de la Transition énergétique, Leila Benali, aussi bien au Parlement que dans les médias, n’apportent pas de réponse claire et tranchée à ce propos.
Aux complications de la procédure de liquidation judiciaire, s’ajoute donc un flou inexpliqué sur la stratégie du gouvernement et la place qu’occupera l’activité de raffinage dans le futur schéma énergétique national.
Lire aussi : Le Front pour la sauvegarde de la raffinerie Samir réclame la reprise en urgence de la production
Dans cet entretien, Driss Benhima, ancien ministre de l’Energie (1997-1998), fin connaisseur du secteur énergétique (il a été le directeur général de l’Office national d’électricité, de 1994 à 2001), a clairement exprimé l'idée que l’explosion des marges de raffinage à l’international ne justifie pas un redémarrage de la SAMIR.
Un raffineur national isolé, petit en taille et protégé, n’est pas en mesure de garantir la plupart du temps des prix compétitifs, a estimé Driss Benhima, pour lequel la privatisation de la SAMIR a été «une longue suite d’échecs où, comme dans les tragédies grecques, les protagonistes sont emportés contre leur gré vers un dénouement tragique».
Quel est votre avis sur le sort actuel de la SAMIR et sur le retard pris dans le processus de sa liquidation?Le processus de liquidation d’une entreprise d'une taille aussi importante avec des parties prenantes étrangères et des litiges soumis à des arbitrages internationaux est forcément très lent et il va encore durer longtemps, c’est impossible de faire autrement. Si je peux oser quelques commentaires sur les seuls aspects que je comprends un peu, c’est que l’acceptation du recours au Centre international pour le règlement des différends (CIRDI), centre d’arbitrage proche de la Banque Mondiale, est une erreur récurrente des pouvoirs publics marocains dans la négociation de leurs contrats internationaux.
Le CIRDI a la réputation d’être plutôt, je n’ose pas dire systématiquement, favorable aux intérêts privés par rapport aux Etats dans les arbitrages qu’il rend. Je me rappelle que l’ONE avait imposé la Chambre de Commerce Internationale de Paris, statuant en Droit Marocain, pour le contrat de Jorf Lasfar mais que l’investisseur a obtenu du gouvernement, après même la signature du contrat de Jorf Lasfar, de revenir au CIRDI comme cour d’arbitrage parce que c’est cela qui avait été accepté dans les autres grandes privatisations de l’époque, comme la privatisation de la SAMIR et la distribution d’eau et d’électricité à Casablanca. Voilà un point à soumettre à la nouvelle Agence Nationale des Participations Publiques qui devrait statuer sur la normalisation des clauses d’arbitrage dans les contrats des entreprises publiques.
Bref, la privatisation de la SAMIR a été une longue suite d’échecs où, comme dans les tragédies grecques, les protagonistes sont emportés contre leur gré vers un dénouement tragique. Et dans mon idée, la source de cette tragédie a été la création même de la raffinerie, mais c’est une longue histoire.
Pensez-vous que la Samir pourrait être utile pour faire baisser significativement les prix des carburants si elle était opérationnelle dans le contexte actuel?Je crois me rappeler que du temps de la SAMIR monopole d’état marocain, on disait que la SAMIR n’a pu être compétitive par rapport au marché international que 15% du temps. Donc, il vaut mieux serrer les dents et traverser les périodes où le marché mondial des produits raffinés présente des prix exagérés parce qu’en général un raffineur national isolé, petit en taille et protégé, même s’il est inefficace dans sa gestion, n’est pas en mesure de garantir la plupart du temps des prix compétitifs.
Maintenant, si la Samir ne dispose pas d’une protection quelconque de son marché, alors je ne vois aucun inconvénient à ce qu’elle redémarre mais je ne crois pas que nous trouvions beaucoup de repreneurs si on ne leur donne pas un avantage de marché.
En bref, cette situation de marges de raffinage exagérées ne devrait pas durer et cela ne justifie donc pas un redémarrage de notre raffinerie.
Lire aussi : Carburants: pour Leila Benali, le Maroc n’a pas besoin d’une raffinerie
Etes-vous favorable à l’idée de louer les bacs de la raffinerie pour augmenter les capacités de stockage des hydrocarbures à l’échelle nationale?Je n’y suis pas seulement favorable, je le préconise pour plusieurs raisons: la capacité des réservoirs de stockage de la SAMIR est encore supérieure, malgré les investissements des cinq dernières années, à la totalité des stockages existants dans notre pays et il est utile de disposer de capacités importantes pour assurer la sécurité énergétique du pays, de permettre aux importateurs de mieux jouer sur la fluctuation des prix internationaux par des stocks de régularisation et enfin de créer des ressources importantes pour rembourser certaines dettes de l’entreprise et en particulier les dettes sociales.
Le seul intérêt que je vois dans l’avenir de la SAMIR est de raser la raffinerie et d’utiliser le terrain pour augmenter le nombre de réservoirs. Je comprends qu’il y a des contraintes juridiques qui pénalisent la location actuelle des bacs mais comme ce stockage serait créateur de valeur, je suis sûr que des juristes compétents peuvent imaginer des approches légales et rapides qui feraient consensus.
Le Maroc a-t-il encore besoin d’une raffinerie de pétrole?Je crois que vos lecteurs ont compris que je ne le pense vraiment pas. Mais si un investisseur voulait racheter la SAMIR ou construire une nouvelle raffinerie sans demander aucun avantage de marché, en étant garanti qu’il sera soumis au même environnement fiscal, douanier, administratif, environnemental et social que ses grands concurrents internationaux, alors ce serait une excellente chose.
Le Maroc doit être un pays de libre entreprise, il ne doit pas être question d’empêcher un investissement industriel de cette ampleur. Mais il doit être clair que cela ne doit pas se faire en échange d’une quelconque garantie de marché ou d’un avantage quelconque. Je rappelle que le privatiseur de la SAMIR avait obtenu, en plus du maintien sur une longue durée d’une protection douanière, la garantie que l’administration marocaine ne changerait pas la normalisation de la qualité des produits raffinés sans son accord, ce qui lui a permis de longues années de continuer, comme d’ailleurs le monopole d’Etat précédent, de livrer aux consommateurs marocains des produits polluants et enfin que tout projet de nouvelle raffinerie devait être soumis à son accord. Décidément, je ne regrette pas la SAMIR et je reste réticent à toute nouvelle expérience similaire.