Abdellatif Jouahri n’a pas cédé aux sirènes du resserrement de la politique monétaire et de la hausse du taux directeur, comme c’est le cas depuis quelques semaines dans plusieurs pays du monde, en particulier aux Etats-Unis, première puissance économique mondiale.
«Chaque banque centrale agit selon ses propres spécificités», a d’emblée retorqué le Wali de Bank Al-Maghrib. «La FED a un problème avec le marché du travail avec des pressions sur les salaires aux Etats-Unis, ce n’est pas le cas chez nous où les accords du dialogue social du 30 avril ont été intégrés dans nos prévisions, et n’exercent pas de pression à la hausse sur les prix», a-t-il expliqué.
D’ailleurs, a-t-il fait remarquer, la décision de BAM de maintenir inchangé son taux directeur est loin d’être un cas isolé, puisque que «sur 60 banques centrales dans le monde, 27 n’ont pas augmenté leur taux directeur».
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Dans sa lecture de la conjoncture économique nationale et internationale, Abdellatif Jouahri développe un argumentaire en trois temps pour justifier le maintien du taux directeur de Bank Al-Maghrib à son niveau actuel de 1,5%, décidé hier, mardi 21 juin.
Une inflation essentiellement importéeLe premier, et le plus important, concerne la nature de l’inflation. Il est vrai que celle-ci a atteint ces derniers mois des niveaux élevés. Elle s’est sensiblement accélérée en avril pour atteindre son niveau le plus élevé depuis octobre 1995, soit 5,9%.
Toutefois, la Banque centrale estime que ces pressions inflationnistes sont principalement nourries par des facteurs d’origine externe (inflation importée), et ne sont pas liées à une hausse de la demande interne ou à une quelconque surchauffe de l’économie marocaine.
Pour mieux rendre compte du caractère importé de l’inflation, Abdellatif Jouahri a présenté un nouvel indicateur: l’inflation des biens échangeables. Celle-ci est en nette accélération, tandis que l’inflation des bien non échangeables, impactée essentiellement par des facteurs internes, continue d’évoluer à un niveau contenu.
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Dans le même temps, la hausse des salaires consécutive à la signature de l’accord social du 30 avril entre le gouvernement et les principales centrales syndicales n’est pas de nature à exercer des pressions sur les prix. «Nous avons intégré cette hausse des salaires dans nos modèles de prévision. Selon les calculs du ministère des Finances, l’impact de ces hausses est d’environ 520 millions de dirhams en 2022 et 3,2 milliards de dirhams en 2023».
Un retour à la normal des prix en 2023 qui «tranquillise»L’autre argument en faveur du statu quo avancé par le wali concerne le caractère durable, ou au contraire passager, de l’inflation. Le modèle de prévision de la Banque centrale montre que sur l’horizon de prévision de 2 ans, l’inflation devrait revenir à des niveaux normatifs en 2023.
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«Il y a bien sur un pic de l’inflation en 2022 (+5,3%), mais dans nos projections, l’inflation va revenir autour de 2% en 2023», a souligné Abdellatif Jouahri. «Si nous devons raisonner sur le moyen terme, le retour de l’inflation à 2% nous tranquilise», a-t-il commenté.
Tous ces éléments (origine externe des pressions sur les prix, absence de pressions internes, faible impact de la hausse des salaires, et retour des prix à des niveaux normatifs en 2023), plaident, selon le Wali de Bank Al-Maghrib, pour le maintien du taux directeur à son niveau actuel. Autrement dit, toute hausse du taux directeur n’aura qu’un impact marginal sur l’inflation.
Ne pas «saper» la relanceUne hausse du taux aurait au contraire des effets néfastes sur la relance économique, la création de richesses et d’emplois, dans un contexte où l’économie marocaine est déjà fortement éprouvée par la sécheresse et les effets de la guerre en Ukraine.
Les projections de croissance de la Banque centrale, bien qu’en légère amélioration par rapport aux prévisions établies en mars dernier (BAM s’attend désormais à un petit 1% de croissance du PIB en 2022 au lieu d’un taux de 0,7% pronostiqué en mars dernier), montrent que l’économie nationale a plus que jamais besoin du soutien d’une politique monétaire accommodante, chose qu’une hausse du taux directeur aurait rendue impossible en augmentant le coût de l’argent.
«Il ne faut pas saper l’élan de la reprise économique», a lancé le Wali. Voilà un signal très clair, envoyé aux acteurs économiques.
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Toutefois, prévient-il, la vigilance reste de mise, et BAM pourrait amorcer un resserrement de sa politique monétaire, au cas de retournement de scénario. «Si la situation en 2023 ne revenait pas à des normes acceptables, la Banque centrale réagira», a prévenu Abdellatif Jouahri.
Un autre élément, et non des moindres, vient conforter le Wali de Bank Al-Maghrib dans sa décision de maintenir le taux directeur inchangé: le niveau confortable des réserves de changes du Maroc.
Avec les grandes banques centrales qui relèvent leur taux directeur, un décalage avec le taux directeur bas de la BAM pourrait exercer des pressions sur les réserves en devises du Maroc. Sur ce point précisément, Jouahri s’est montré des plus rassurants.
«Nous suivons de très près les évolutions de nos avoirs extérieurs qui tournent autour de 6 mois d’importations de biens et services». Selon les projections de la Banque centrale, les avoirs officiels de réserve se situeraient à 342,5 milliards de dirhams à fin 2022 et à 346,4 milliards à fin 2023, soutenu par les recettes de voyage qui connaitraient une reprise graduelle dans le sillage de l’opération Marhaba 2022, passant de de 34,3 milliards de dirhams en 2021 à 54,3 milliards en 2022 et à 70,9 milliards en 2023. Par ailleurs, après un niveau record de 93,7 milliards enregistré en 2021, les transferts des MRE reviendraient progressivement à leur niveau d’avant-crise, totalisant 87,3 milliards en 2022 et 84 milliards en 2023.
Abdellatif Jouahri a tenu pour finir à rappeler la situation inédite et complexe que traverse l’économie mondiale, et qui commande la plus grande prudence dans l’analyse, mais aussi de faire preuve de modestie: «la conjoncture que nous traversons est exceptionnelle, pleine d’incertitude. C’est à la fois une crise politique, une crise économique, une crise financière, et une crise sociale. Il est nécessaire de continuer à être vigilant et d’assurer un suivi étroit de la situation», a-t-il conclu.