Bien que dissoute sur décision de justice, après un long bras de fer avec la direction de la compagnie aérienne nationale, Royal Air Maroc, l’Association marocaine des pilotes de ligne (AMPL) continue d’assurer le paiement régulier des salaires et autres prélèvements obligatoires (cotisations CNSS, impôt sur le revenu) aux employés de cette structure permanente. Au total, ce sont sept personnes qui sont toujours actuellement rémunérées.
«C’est un délit pénal. Ils continuent de se servir des fonds de l’association qui n’a plus de personnalité morale, alors qu’ils savent que le tribunal a désigné un expert liquidateur», s’insurge une source proche des avocats assurant la défense de RAM, interrogée par Le360 sur le sort de ce litige qui a défrayé la chronique au plus fort de la crise sanitaire.
La compagnie nationale venait alors de se séparer de 180 pilotes de ligne, dans le contexte d’une vaste opération de licenciement économique.
Le 25 novembre 2020, suite à une plainte déposée par RAM, le tribunal civil de première instance de Casablanca s’était en effet prononcé en faveur de la «nullité d’association», ordonnant la dissolution de l’AMPL et la fermeture de son siège. Le juge avait aussi statué sur le fait que ce sera à Mohamed Tougani, expert-comptable, de mener la procédure de liquidation de cette association.
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Le tribunal avait également estimé que l’AMPL, en brandissant la menace de grève, par voie de presse, tout en dénonçant (et donc en rejetant) le plan social annoncé par le PDG de RAM, Abdelhamid Addou, avait outrepassé ses prérogatives en tant qu’association, et était devenue, par ces revendications, un syndicat de fait.
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Par la suite, la défense de l’AMPL a utilisé toutes les voies de recours pour contester la décision de dissolution. Elle a également tenté une procédure de tierce opposition contre le jugement de première instance, tout en interjetant appel devant la chambre civile de la cour d’appel de Casablanca.
Dans ces deux recours, la défense de l’AMPL s’est appuyée sur ce qu’elle qualifie de vice de forme, arguant le fait que RAM a intenté son action contre «الجمعية المغربية للطيارين المدنيين», ce qui, traduit en français, correspond à «l’Association marocaine du personnel navigant civil» et qui n’a, en fait, aucune existence légale. Or, la traduction la plus exacte en arabe de l’AMPL correspond plutôt à «الجمعية المغربية لربابنة الطائرات».
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«Quand RAM a déposé son action en justice, elle a obtenu sa décision de dissolution en utilisant le nom français de l’association, tel qu’il figurait dans les statuts», explique-t-on du côté des avocats assurant la défense de la compagnie aérienne.
Mais ce fut peine perdue pour l’AMPL, qui a par la suite été déboutée en première instance (suite à la procédure dite de «tierce opposition»), de même que, ensuite, en appel. Pour remédier à cette situation et éviter toute éventuelle confusion ou mauvaise traduction, la Cour d’appel a tenu à préciser dans les motifs de sa décision, datée du 29 juin 2021, le nom de l’association dans les deux langues, en arabe et en français.
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Même si le personnel de l’AMPL continue de percevoir ses salaires, les locaux de l’association, sis 28 rue Frédéric Le Maître, dans le quartier de Riviera (à Casablanca), sont fermés depuis le 23 septembre 2021, jour où le greffe du tribunal a fait appel aux forces de l’ordre pour prendre possession des biens de l’association, avant de remettre les clés de ces locaux à l’expert liquidateur.
Le recours à la force publique se justifie par le fait que l’exécution du jugement s’est heurtée, quelques jours auparavant, à une farouche résistance de la part des salariés de cette association, en la présence de quelques membres du bureau sortant de l’AMPL.
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Question: comment l’AMPL parvient-elle encore à verser des salaires, alors qu’elle fait l’objet d’un jugement de dissolution confirmé en appel? «L’expert liquidateur n’a pas pu bloquer les deux comptes bancaires de l’association, car il ne possède pas les documents juridiques nécessaires», tempère-t-on du côté de l’AMPL. L’avocat de l’association a dû écrire un courrier aux banques où l'AMPL détient des comptes, afin de les alerter sur un «vice de forme»: celui concernant le nom de l’association ciblée par la décision de dissolution.
Contacté par Le360, l’expert-comptable en charge de la liquidation de l’AMPL, Mohamed Tougani, affirme avoir déjà notifié en juillet 2021 les agences bancaires ayant en gestion les comptes de l’association. «On m’a alors signifié que la décision ne se prend pas à leur niveau», se souvient-il.
Fort du jugement confirmé en appel, Mohamed Tougani a ensuite notifié les entités juridiques des deux banques (à leurs sièges sociaux directement), lesquelles, dit-il, ont accusé réception du document, mais sans qu’aucun résultat concret n’ait été vu à ce jour. «Est-ce qu’une banque doit appliquer une décision de justice? La question mérite d’être posée», s’interroge donc cet expert-comptable.
Confronté à ce qui est de fait un refus des banques, Mohamed Tougani a décidé de lancer une nouvelle action en justice et a pu obtenir, le 23 février 2022, un jugement autorisant celles-ci à permettre au liquidateur de prendre possession des comptes de l’AMPL. En effet, le tribunal civil de première instance de Casablanca a ordonné aux banques concernées de mettre l’ensemble des documents à la disposition de cet expert-comptable et de l’autoriser à consulter et à gérer ces comptes bancaires, en vue de la liquidation définitive de l’AMPL.
Malgré ces complications, qui ont retardé l’accès aux comptes bancaires de l’association, le processus de liquidation de l’AMPL se poursuit, selon l’expert-comptable. «Un huissier a notifié les banques qui, vraisemblablement, ont déjà commencé à exécuter ce jugement», a-t-il assuré. Mohamed Tougani en veut pour preuve un appel téléphonique qu’il a reçu, il y a quelques jours, des propriétaires de la villa accueillant le siège de l’AMPL. Ceux-ci voulaient, pour la première fois, se plaindre du non-paiement des loyers dûs pour les mois de juin et juillet 2022.
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Mohamed Tougani affirme, par ailleurs, avoir demandé au tribunal de nommer un expert pour évaluer le matériel recensé à l’intérieur du siège de l’AMPL. «Une première vente aux enchères a bien eu lieu, mais aucun acquéreur ne s’y est présenté», a-t-il fait savoir.
Selon cet expert-comptable en charge de la liquidation de l'AMPL, «une deuxième expertise a été récemment faite, en juillet. Une nouvelle vente aux enchères est prévue en septembre. Le produit de la vente sera déposé dans un compte auprès du tribunal.»
Mais ce qui préoccupe avant tout Mohamed Tougani, au même titre que les pilotes de ligne membres de l’AMPL, c’est le sort des 7 salariés que compte cette structure: ceux-ci perçoivent des salaires modestes et exercent des emplois précaires (gardiennage, service, ménage). Au total, il s’agit là d’une masse salariale qui n’excède pas 22.000 dirhams par mois.
«Dans ce type de procédures collectives, les salariés sont le maillon faible. Il faudra trouver une solution adaptée aux employés de l’association qui n’ont que leur salaire pour vivre», soutient-il, affirmant avoir l’intention de contacter l’inspection du travail pour qu’une solution soit trouvée à ces employés, afin que leurs droits soient préservés, tout en négociant leur départ dans des conditions honorables.
Il faut enfin savoir que depuis l’annonce du jugement de dissolution de l’AMPL, prononcé en novembre 2020, les pilotes de ligne membres de cette association ont cessé de s’acquitter de leurs cotisations (qui était fixée à 300 dirhams par mois), laissant derrière eux une trésorerie excédentaire, à hauteur de… 4 millions de dirhams.