Colère des agriculteurs en France: les camions marocains épargnés pour le moment

Lors d'une manifestation des syndicats des agriculteurs, à la sortie de l'autoroute A9 reliant l'Espagne et la France, à Boulou, au sud de Perpignan, le 1er février 2024.. AFP or licensors

Hormis les tomates marocaines qui, injustement, incarnent la colère des agriculteurs français, la balance commerciale alimentaire entre les deux pays penche plutôt en faveur de la France.

Le 03/02/2024 à 12h07

Depuis plusieurs jours, le monde agricole français est en proie à un large mouvement de protestation. Les principaux points de mécontentement concernent ce que les grévistes qualifient de «concurrence déloyale de la grande distribution». Cette dernière est accusée de favoriser les denrées importées de l’étranger, au détriment de l’offre agricole française, avec souvent des conditions moins contraignantes que celles imposées par l’Union européenne (UE).

Ces derniers jours, les agriculteurs en colère ont réussi à bloquer des dizaines d’axes autoroutiers, provoquant une large perturbation du transport de marchandises. Selon les médias français, des manifestants ont vidé des camions étrangers, la plupart espagnols, bulgares ou marocains.

«D’après les informations recueillies auprès de l’établissement de contrôle et de coordination des exportations Morocco Foodex, le rythme des exportations de produits agricoles vers l’Europe suit son cours habituel», tient à rassurer Lahoucine Adardour, président de la Fédération interprofessionnelle marocaine de production et d’exportation des fruits et légumes (FIFEL). Ce dernier n’a toutefois pas pu confirmer si des camions marocains font partie de ceux saccagés par les agriculteurs grévistes.

Rachid Benali, président de la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (COMADER), confirme de son côté qu’aucun camion marocain n’a été attaqué par les grévistes. En revanche, nuance-t-il, des produits marocains ont été la cible des manifestants, mais après leur livraison aux clients français, notamment au niveau du marché de Perpignan.

Les professionnels marocains rejettent fermement les accusations pointant des «aberrations environnementales» affectant l’offre agricole locale. «Le produit marocain est soumis au contrôle de deux entités: d’une part, l’ONSSA concernant la traçabilité et, d’autre part, Morocco Foodex s’agissant de la qualité», se défend Lahoucine Adardour.

Rachid Benali est du même avis et assure respecter strictement toutes les normes environnementales et de qualité (concernant les mesures sanitaires et phytosanitaires). Et d’ajouter: «Les quotas fixés par l’accord de libre-échange avec l’UE sont minutieusement respectés. Les quantités exportées en dehors de ces quotas sont soumises à des tarifs spécifiques que nous appliquons à la lettre.»

La tomate marocaine dans le collimateur

Ce n’est pas un secret, parmi tous les produits agricoles exportés par le Maroc, c’est surtout la tomate qui incarne la colère des agriculteurs français. En dépit d’un «plan de souveraineté» annoncé il y a un an, la France importe 36% de ses volumes annuels de tomates fraîches, principalement du Maroc. Le Royaume est désormais devenu le troisième exportateur de tomates de la planète et l’Hexagone est de loin son premier client avec 51% de la production écoulée à l’étranger.

Selon l’association de producteurs Tomates et concombres de France, sur la saison 2022-2023, 424.690 tonnes de tomates marocaines ont été importées en France, contre 394.740 tonnes en 2021-2022, soit une progression de 7,6%. En valeur, cette augmentation est de plus de 168 millions d’euros, soit 27,5%.

Ces importations «sont très clairement tirées vers le haut par des enseignes de la grande distribution qui favorisent les offres “petits prix” au détriment de l’offre française» et aussi par «l’absence d’étiquetage clair» pour le consommateur, selon le groupe de producteurs.

L’attrait pour la tomate marocaine s’explique certes par un effet prix (la tomate cerise française est 2,4 fois plus chère que la marocaine), mais il existe aussi une histoire de goût. «Le produit marocain a gagné la confiance du consommateur français. En plus du différentiel des prix, c’est surtout le goût du produit marocain qui fait la différence», estime le président de la FIFEL.

Le rythme de croissance des exportations de tomates vers l’Hexagone ne doit pas non plus cacher une réalité amère pour la balance des paiements marocaine: «la balance commerciale alimentaire entre les deux pays penche largement en faveur de la France», relève le président de la COMADER.

Par Wadie El Mouden
Le 03/02/2024 à 12h07