Cap 2030, investissements au Sahara, repositionnements sectoriels: la stratégie CDG expliquée par Khalid Safir

Le siège du groupe CDG à Rabat.

Le siège du groupe CDG à Rabat.

La CDG dévoile CAP 2030, une stratégie à la fois volontariste et structurante, visant à renforcer la souveraineté économique du Maroc, dynamiser l’épargne nationale et accélérer les investissements dans les infrastructures clés à l’horizon du Mondial 2030. Portée par Khalid Safir, cette feuille de route marque une montée en puissance financière décisive pour accompagner la transformation du pays. En voici les points essentiels.

Le 05/12/2025 à 17h00

La Caisse de dépôt et de gestion (CDG) a dévoilé aux médias, lors d’une rencontre dirigée par son directeur général Khalid Safir, les fondements d’une stratégie ambitieuse projetant l’institution vers l’horizon 2030. Baptisée CAP 2030, cette feuille de route entend conjuguer continuité, montée en puissance financière et reconquête de marges de souveraineté nationale dans un contexte mondial marqué par l’incertitude.

Dès l’ouverture de la rencontre, Khalid Safir a posé les bases: «Nous avons appelé CAP 2030, concentré un peu dans la dynamique globale du pays, dans la préparation de l’organisation de la Coupe du Monde 2030. C’est un plan d’action de continuité, mais aussi avec certaines ambitions et quelques transformations.»

La rencontre, dense et structurée, a permis de comprendre comment la CDG entend devenir un pivot de la transformation économique marocaine, en s’appuyant sur son rôle d’investisseur patient, sur la mobilisation renforcée de l’épargne nationale et sur une vision plus volontariste des secteurs stratégiques. En voici, point par point, les éléments structurants:

Dynamiser l’épargne nationale

L’un des axes majeurs de CAP 2030 concerne la mobilisation de davantage de ressources domestiques, notamment via l’épargne nationale. La CDG, rappelons-le, gère l’épargne populaire et les fonds de retraite, piliers essentiels du financement de long terme.

Khalid Safir insiste d’ailleurs: «La matière première, c’est l’épargne populaire, c’est l’épargne des retraités.» L’objectif affiché est clair: passer d’environ 35 milliards de dirhams d’épargne à au moins 45 milliards. Une progression jugée indispensable pour accompagner les projets structurants du pays.

Il détaille: «Nous faisons partie aujourd’hui des équipes qui travaillent sur la réforme de l’épargne. Nous sommes aussi en discussion avec le ministère des finances... comment renforcer le livret d’épargne, comment attirer de plus, le rendre de plus en plus attractif.»

La CDG entend ainsi orienter massivement cette épargne vers des projets à fort impact socio-économique, notamment dans la création d’emplois et de valeur ajoutée: «Nous orientons tous nos investissements vers tout ce qui est d’un impact social, socio-économique, aller là où il y a de la création de valeurs, création de richesses, création d’emplois.»

Souveraineté économique

Le discours de Khalid Safir montre un basculement conceptuel majeur: la souveraineté n’est plus une aspiration mais un impératif stratégique, renforcé par les crises récentes. «Les dernières crises nous ont montré qu’on doit être souverain de nos décisions», confie-t-il.

L’épisode Covid et les politiques de repli de plusieurs pays ont servi d’électrochoc: «Avec l’épisode de la Covid, l’égoïsme des pays... on commence à dire: je produis, je prends d’abord moi, je me sers, je vends après.» Pour la CDG, cela signifie accompagner la montée en puissance de secteurs critiques comme les médicaments, les vaccins, l’industrie alimentaire ou la production énergétique.

La souveraineté passe aussi par la sécurisation des flux d’énergie et d’eau, un thème omniprésent dans la vision 2030. Les investissements dans le dessalement, les réseaux de transport d’énergie et les infrastructures hydriques sont classés comme priorités nationales.

100 milliards de dirhams à mobiliser pour les infrastructures stratégiques d’ici 2030

La CDG se projette comme un acteur central des mégaprojets marocains. Safir annonce: «Il y a des besoins d’investissement assez importants, notamment pour tout ce qui est infrastructures, ainsi que les dessalements, ainsi que la production d’énergie verte... c’est 100 milliards de dirhams à mobiliser à l’horizon 2030».

Selon lui, la CDG dispose des expertises nécessaires en ingénierie financière, structuration et montage de projets, qui ont déjà fait leurs preuves dans les autoroutes, les zones industrielles ou le TGV. À cela s’ajoutent 10 milliards de dirhams dédiés au capital-investissement, dans le cadre de partenariats avec le Fonds Mohammed VI pour l’investissement.

Coupe du Monde 2030

Si les projets d’infrastructures figuraient déjà dans les ambitions du pays, la perspective du Mondial 2030 a servi de révélateur et d’accélérateur. Safir le dit sans détour: «Quand on dit la Coupe du Monde, ce n’est pas les stades... c’est des autoroutes, du chemin de fer, des aéroports, du tourisme». Selon lui, certains projets auraient mis dix à quinze ans en temps normal. Le Mondial impose de les réaliser en cinq ans: «La Coupe du monde nous oblige à réaliser beaucoup plus que ce qui a été réalisé en 15 ou 20 ans, en 5 ans. C’est un vrai effet catalyseur».

Mais il insiste sur un point crucial pour répondre aux inquiétudes publiques: «Aucun dirham n’a été retiré du budget de l’État social... les Marocains doivent savoir que c’est des projets qui sont venus en plus». Un message clair destiné à contrer certains narratifs liant stades et désengagement social.

Zones industrielles, agropoles et tech-vallées…et Sahara

La CDG accélère aussi son engagement territorial, notamment dans les provinces du Sud. «Nous allons nous déployer fortement dans les provinces du Sud... avec des parcs offshoring, des tech-vallées à Laâyoune et Dakhla», précise Safir. Agadir figure également parmi les pôles en expansion.

Au total, la CDG est engagée dans 16 zones industrielles et une dizaine de nouveaux projets, en coordination étroite avec les ministères concernés.

La transition numérique occupe une place importante, avec l’annonce d’un data center vert à Dakhla, alimenté par les énergies renouvelables locales: «Un data center qui sera vert, alimenté par de l’énergie verte... ce sont des investissements qui seront ouverts à l’international et qui créeront de l’emploi chez nous.»

Interrogé sur la possibilité d’investir davantage dans le secteur hôtelier, Safir confirme que la CDG est déjà active: «Nous sommes en discussion sur la reprise d’un hôtel à Dakhla...Mais aussi sur un pôle urbain d’une trentaine d’hectares pour créer un centre-ville, une belle place, une zone commerciale, une zone de bureaux et un hôtel de qualité». Le projet pourrait être annoncé en 2026.

Les risques: climat, instabilité géopolitique et dépendance excessive à l’Europe

Safir ne minimise pas les défis. Le premier est climatique, qualifié de risque systémique: «On ne sait pas demain quelles seront les futures catastrophes. Les phénomènes climatiques extrêmes se multiplient et cela nous oblige». Le second est géopolitique: guerres, blocages maritimes, instabilité dans le voisinage ou au Moyen-Orient. «Nous sommes un pays très ouvert, nous dépendons du monde... N’importe quel incident politique peut avoir un effet.» Enfin, il met en garde contre la dépendance structurelle vis-à-vis de certains marché. Safir nuance. La CDG opère en intrinsèque en mobilisant l’épargne nationale. Et c’est sa grande force.

Montée en puissance financière

La CDG prévoit de doubler ses fonds propres à l’horizon 2030, ce qui augmenterait considérablement ses capacités d’intervention. «Nous sommes ambitieux, mais réalistes», affirme Safir. La maturité atteinte par plusieurs projets historiques commence à générer des retours significatifs, renforçant la solidité du groupe.

Cette rencontre a révélé une CDG en pleine mutation, assumant un rôle plus stratégique que jamais dans la transformation du Maroc. Sous l’impulsion de CAP 2030, l’institution se veut à la fois stabilisatrice et innovante, souveraine et ouverte, prudente et ambitieuse. Comme le résume Khalid Safir: «Il faut que notre économie produise de la richesse et de l’emploi... toutes les stratégies sont annoncées, maintenant il faut les accompagner.» Une mission dont la CDG entend rester l’un des piliers essentiels.

Par Tarik Qattab
Le 05/12/2025 à 17h00