Batteries électriques: Al Mada et le chinois CNGR mettent en marche leur méga-usine à 20 milliards de dirhams

Au sein de la base industrielle de production de matériaux pour batteries électriques de COBCO.

Sur plus de 200 hectares s’implante une plateforme industrielle d’envergure à Jorf Lasfar. COBCO, joint-venture entre le fonds panafricain Al Mada et le géant chinois CNGR, inaugure, ce mercredi 25 juin, son usine de production de matériaux pour batteries lithium-ion de 40.000 tonnes à Jorf Lasfar. À la clé: un investissement de 20 milliards de dirhams, la création de plus de 3.600 emplois directs et indirects et la production de composants pour équiper 1 million de véhicules électriques par an. Les détails de cette usine qui ancre le Maroc dans les industries du futur.

Le 25/06/2025 à 10h38

C’est un chantier appelé à devenir tout un symbole. À Jorf Lasfar, une infrastructure industrielle de plus de 200 hectares est entrée officiellement en service ce mercredi 25 juin 2025. Sa mission: produire des matériaux actifs destinés aux batteries de véhicules électriques.

Derrière cette usine pionnière, deux partenaires aux profils complémentaires se sont alliés: Al Mada, fonds d’investissement marocain à vocation panafricaine et ancré dans les logiques de développement durable, et CNGR Advanced Materials, géant chinois des matériaux pour batteries, présent dans plus de 30 pays et fournisseur de marques de référence comme Tesla ou LG. Ensemble, ils donnent naissance à cette base de production de matériaux pour batteries électriques.

Une première marocaine d’envergure mondiale

Le site a été pensé dès l’origine pour structurer un nouveau segment industriel au Maroc. Les premières lignes de production mises en service concernent les précurseurs de matériaux actifs pour cathodes, appelés pCAM (Precursor for Cathode Active Materials). Elles reposent sur la technologie Nickel-Manganèse-Cobalt (NMC), aujourd’hui centrale dans l’architecture des batteries lithium-ion de haute performance.

La spécificité du projet? Sa capacité à valoriser localement des métaux critiques à la transition énergétique, en particulier des ressources naturelles marocaines: le phosphate, le cobalt, le manganèse. Grâce à des procédés de transformation intégrés, ces matières premières stratégiques ne sont plus seulement extraites ou exportées, mais converties sur place en composants à haute valeur ajoutée. Cette stratégie s’inscrit dans une volonté claire: accroître l’intégration industrielle nationale, asseoir la montée en gamme du tissu productif marocain et répondre aux besoins croissants des marchés internationaux en composants décarbonés et compétitifs.

Le site de Jorf Lasfar bénéficie d’un positionnement géographique privilégié, à l’intersection de l’Afrique, de l’Europe et de l’Asie. Il tire parti de la proximité portuaire et de la robustesse croissante de l’écosystème industriel marocain. Et l’un des atouts majeurs de cette usine réside dans sa gouvernance conjointe, qui combine la vision à long terme et l’ancrage territorial d’Al Mada, avec l’expertise technologique et la capacité industrielle mondiale de CNGR. Le partenariat illustre une forme de coopération économique nouvelle entre le Sud et l’Est, fondée sur l’innovation, la durabilité et l’industrialisation conjointe. Cette dynamique se matérialise dans le déploiement de compétences, l’implantation d’unités de production à haute technicité, et le développement de chaînes de valeur locales compétitives.

Un investissement de 20 milliards de dirhams pour une filière technologique intégrée

COBCO articule son déploiement industriel autour de trois axes majeurs. Avec une enveloppe globale de 20 milliards de dirhams, l’entreprise bâtit une capacité de production à la fois compétitive, intégrée et tournée vers les marchés internationaux. La stratégie repose sur une double spécialisation technologique, chacun des volets correspondant à une étape critique dans la fabrication de batteries lithium-ion, principalement pour les marchés européens et nord-américains.

Première brique de cette stratégie: la production de précurseurs NMC (Nickel-Manganèse-Cobalt). Ces composants chimiques sont essentiels à la fabrication des cathodes, qui constituent le cœur électrochimique de toute batterie lithium-ion. Leur importance n’est pas des moindres: ils représentent à eux seuls près de 30% du poids total d’une batterie, soit entre 70 et 150 kg sur un ensemble pesant 250 à 500 kg. Leur qualité influe directement sur la densité énergétique, la durée de vie et la sécurité des batteries.

COBCO installe ainsi une capacité annuelle de 120.000 tonnes, avec des lignes de production intégrant non seulement la synthèse chimique, mais aussi le raffinage des matières premières critiques, une particularité encore rare en dehors de l’Asie.

Le second pilier technologique, prévu dans une phase ultérieure, concerne la production de cathodes LFP (Lithium-Fer-Phosphate), pour lesquelles la capacité visée est de 60.000 tonnes par an. Cette technologie, aujourd’hui largement concentrée en Chine, est réputée pour sa stabilité thermique, son coût contenu et sa durabilité.

Une intégration verticale conçue pour la compétitivité

COBCO entend également couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur, depuis l’extraction jusqu’au recyclage. Le site inclura ainsi des unités dédiées au raffinage de métaux stratégiques (nickel, cobalt, manganèse) afin de maîtriser la qualité des intrants et d’assurer une traçabilité complète, exigée par les donneurs d’ordre européens et nord-américains.

Autre spécificité notable: la mise en place d’un dispositif de recyclage de la black mass, résidu issu du broyage des batteries en fin de vie. L’objectif est d’extraire les métaux valorisables (lithium, nickel, cobalt) dans une logique d’économie circulaire. La capacité de traitement est annoncée à 30.000 tonnes par an, positionnant le site dans les standards les plus avancés de l’industrie.

À terme, l’ensemble des unités opérationnelles de COBCO pourra produire jusqu’à 70 GWh/an de matériaux pour batteries, soit l’équivalent de ce qu’il faut pour équiper environ un million de véhicules électriques chaque année. Une échelle industrielle comparable aux projets d’ampleur déployés en Corée ou en Chine, mais avec un ancrage local et une orientation export affirmée.

Conçue dès le départ pour répondre aux standards techniques des marchés les plus exigeants, l’offre de COBCO est calibrée pour les marchés européens et nord-américains, dans un contexte de demande exponentielle en composants bas carbone et en circuits d’approvisionnement géopolitiquement fiables.

Une réponse industrielle aux tensions géopolitiques et climatiques

Alors que les chaînes de valeur mondiales se réorganisent sous l’effet des crises énergétiques, des contraintes environnementales et des rivalités géoéconomiques, l’usine COBCO s’inscrit comme une alternative industrielle crédible, décarbonée et compétitive au modèle asiatique.

Il faut savoir que depuis 2020, le secteur mondial des batteries est entré dans une phase d’accélération sans précédent. Tirée par l’essor de la mobilité électrique, l’explosion de la demande pour les matériaux critiques se double de nouvelles exigences réglementaires et environnementales. À l’horizon 2026, l’introduction de la taxe carbone européenne aux frontières (CBAM) redistribuera en profondeur les cartes des flux industriels, en favorisant les producteurs à faible empreinte carbone situés à proximité des marchés.

Dans cette recomposition en cours, le Maroc se positionne comme un territoire de souveraineté industrielle de nouvelle génération. Le Royaume cumule des atouts importants: une stabilité politique, une main-d’œuvre qualifiée, une proximité logistique immédiate avec l’Europe, et des accords de libre-échange conclus avec à la fois l’Union européenne et les États-Unis. C’est sur ce socle que s’érige COBCO, la première usine de production de matériaux actifs pour batteries de classe mondiale implantée hors d’Asie.

Une localisation pensée pour les chaînes d’approvisionnement du futur

Installé à Jorf Lasfar, à proximité du groupe OCP, le complexe industriel bénéficie d’un environnement portuaire en eaux profondes et d’une infrastructure électrique et logistique à haute capacité. Un positionnement logistique qui permet à COBCO d’offrir une compétitivité sur les coûts livrés (landed costs), tout en réduisant considérablement l’empreinte carbone liée au transport maritime longue distance.

À ce jour, aucun projet équivalent n’a vu le jour dans les pays occidentaux. La combinaison de savoir-faire technologique, de vitesse d’exécution et de compétitivité industrielle nécessaire à un tel déploiement reste largement absente en Europe et en Amérique du Nord. Ce déficit ouvre un espace stratégique que COBCO est en train d’occuper. En se plaçant ainsi à l’intersection de trois pôles (Afrique, Europe, Chine) le complexe ambitionne de devenir une passerelle industrielle Sud-Sud-Nord, capable d’absorber les tensions géopolitiques tout en créant des flux industriels pérennes.

Le projet COBCO contribue ainsi à l’émergence d’une filière marocaine structurée autour des matériaux pour batteries. En se positionnant en amont de la chaîne de valeur, via la production de précurseurs et le raffinage de métaux critiques, COBCO apporte aux industriels situés en aval (fabricants de cathodes, assembleurs de cellules, constructeurs automobiles) les composants stratégiques jusqu’ici massivement importés. Cette dynamique permet de renforcer le taux d’intégration nationale, un indicateur crucial pour l’éligibilité aux accords de libre-échange avec l’Union européenne et les États-Unis.

Cette montée en gamme permet au Maroc de sécuriser sa position d’acteur manufacturier compétitif. En apportant des solutions d’approvisionnement locales et qualifiées, COBCO contribue à ancrer durablement les chaînes de sous-traitance et les sites d’assemblage déjà implantés dans le Royaume. L’enjeu est double: garantir la pérennité des capacités industrielles existantes face aux nouvelles normes de contenu local, et attirer de nouveaux investissements dans les segments amont et aval de la filière batterie.

Des retombées concrètes sur l’emploi et les compétences

Dès la phase de construction, le chantier a mobilisé plus de 5.000 emplois, principalement dans le BTP, la logistique et les services techniques. À terme, 1.800 emplois directs hautement qualifiés seront créés sur le site, accompagnés de 1.800 emplois indirects dans les filières connexes (sous-traitance industrielle, transport, maintenance, ingénierie, infrastructures).

En plus de ces chiffres, c’est toute une transformation qualitative du tissu industriel local qui est engagée. COBCO déploie, en partenariat avec CNGR, des programmes de formation spécialisés, destinés à structurer de nouvelles filières techniques jusqu’ici absentes du paysage marocain. Le transfert de savoir-faire chinois vers les talents locaux est au cœur du modèle: ingénierie chimique, contrôle qualité, maintenance de procédés complexes, gestion des flux de production en environnement normé. Des partenariats sont également établis avec les universités et instituts de formation marocains, dans l’objectif de créer un vivier national d’expertise dans la chimie des matériaux pour batteries, qui puisse à terme irriguer d’autres projets sur le continent.

Un modèle industriel aligné sur les exigences climatiques mondiales

Pensée dès sa conception comme une plateforme bas carbone, la nouvelle usine de COBCO place la durabilité environnementale au cœur de son modèle productif. Procédés sobres, énergies renouvelables, économie circulaire et certifications internationales constituent les piliers de sa stratégie ESG.

L’usine vise une alimentation à 80% en énergie renouvelable dès 2025, objectif qui doit atteindre 100% d’ici fin 2026. Une performance rendue possible par l’intégration de l’énergie verte produite localement, principalement solaire et éolienne. L’usage d’eau dessalée en substitution de prélèvements en nappe, couplé à des systèmes internes de traitement et de recyclage des eaux industrielles, réduit considérablement l’empreinte hydrique du site. L’ensemble du process industriel est donc conçu pour minimiser les externalités négatives tout en assurant une traçabilité rigoureuse des flux de production.

Une logique d’économie circulaire ancrée

COBCO adopte une approche circulaire intégrée. Cela se traduit notamment par la récupération et le traitement de résidus issus du broyage des batteries usagées (la black mass) afin d’en extraire à nouveau des métaux stratégiques. Ce volet, opérationnel à moyen terme, permettra de boucler la boucle matière au sein même de la plateforme industrielle. C’est pourquoi COBCO a scellé un partenariat stratégique avec Umicore, leader européen des matériaux circulaires. L’accord, signé récemment, illustre sa volonté de s’appuyer sur les meilleures pratiques européennes en matière de recyclage avancé et de traçabilité environnementale.

L’ambition environnementale de COBCO ne se limite pas aux opérations. L’entreprise s’engage dès 2025 dans une série de démarches de certification ISO internationales:ISO 14064 (pour le bilan et le reporting des émissions de gaz à effet de serre), ISO 14044 (pour l’analyse du cycle de vie (ACV) des produits) et ISO 50001 (pour le management de l’énergie).

Ces référentiels reconnus mondialement constituent le socle d’une gouvernance environnementale robuste, essentielle pour satisfaire aux critères ESG imposés par les régulateurs, les clients finaux et les investisseurs institutionnels. En parallèle, COBCO s’inscrit dans une feuille de route à long terme conforme aux standards internationaux: participation au Carbon Disclosure Project (CDP), élaboration de rapports extra-financiers, et définition d’objectifs alignés sur l’initiative Science-Based Targets (SBTi), référence en matière de trajectoires climatiques fondées sur la science.

Une alliance stratégique entre vision panafricaine et puissance technologique

L’ambition industrielle qui préside à la création de COBCO repose sur une architecture capitalistique équilibrée et complémentaire. La société est détenue à parts égales par CNGR Advanced Materials, groupe chinois coté à la Bourse de Shenzhen, et par Al Mada, fonds d’investissement marocain à vocation panafricaine, via sa filiale industrielle Next Generation Industries (NGI).

Cette gouvernance paritaire, fondée sur la complémentarité des rôles, constitue l’un des socles du projet. CNGR apporte son avance technologique, sa maîtrise des procédés de production de matériaux actifs, et sa capacité à déployer rapidement des unités industrielles complexes à grande échelle. Numéro un mondial des précurseurs NMC, le groupe opère déjà en Chine, en Corée du Sud, en Indonésie et en Finlande, et compte parmi ses clients des acteurs de premier rang comme Tesla, LG Chem ou Samsung SDI. Sa stratégie repose sur trois piliers: décarbonation, innovation, proximité industrielle. Autant de leviers que le groupe déploie désormais hors d’Asie, avec COBCO comme tête de pont sur le continent africain.

Face à lui, Al Mada incarne la vision à long terme, l’ancrage territorial et l’ambition de souveraineté industrielle. Déjà engagé dans plusieurs projets structurants à l’échelle nationale et régionale, le fonds joue ici un rôle catalyseur. Celui de réunir les conditions administratives, financières et foncières nécessaires à la réussite d’un projet greenfield d’envergure, déployé en un temps record.

Cette alliance ne se limite donc pas à un échange de capitaux. Elle reflète une convergence stratégique qui consiste en l’accélération de l’industrialisation verte du Maroc tout en créant des filières de production durables et autonomes, alignées avec les besoins des marchés futurs et les standards globaux de responsabilité.

Parallèlement, COBCO est un signal fort adressé aux marchés internationaux, aux investisseurs et aux régulateurs. Elle montre qu’un pays africain peut non seulement suivre les exigences de décarbonation et de résilience, mais en devenir l’un des lieux d’ancrage industriel. Elle illustre également ce que peut produire une coopération internationale équilibrée, entre capital local visionnaire et expertise industrielle mondiale.

Avec cette plateforme, le Maroc confirme sa capacité à attirer des partenariats industriels de haut niveau. La logique d’intégration verticale renforce la compétitivité locale et prépare l’émergence d’un écosystème de batteries. Et le choix de Jorf Lasfar ne doit rien au hasard: il s’inscrit dans une stratégie nationale cohérente. La dynamique est lancée: le Royaume dispose désormais des atouts pour s’imposer comme un hub régional de référence.

Par Hajar Kharroubi
Le 25/06/2025 à 10h38