Contrairement à ce que l’on pourrait penser, un dictionnaire amoureux n’est pas un dictionnaire comme les autres. C’est un voyage alphabétique au cours duquel l’auteur alimente notre curiosité d’entrées parfois savantes, souvent vagabondes, historiques ou encore personnelles.
Au fil des pages et des entrées, le lecteur déambule dans le jardin secret de l’écrivain où l’affectif et l’intime tiennent une place prépondérante.
C’est sous ce format que Tahar Ben Jelloun a choisi de nous parler du Maroc, son Maroc, «le plus beau pays du monde», comme le qualifient les Marocains, tantôt de façon sincère, tantôt avec une pointe d’ironie. «Ce dictionnaire est le portrait d’un Maroc personnel, profond et intérieur, celui que je porte en moi depuis que j’ai ouvert les yeux dans la vieille médina de Fès, un jeudi matin du mois de décembre de 1947, et que je n’abandonne jamais», écrit ainsi l’auteur, qui y livre une double approche, celle de l’écrivain et celle du peintre.
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Publié aux éditions Plon, qui dispose d’une vaste collection de dictionnaires amoureux en tous genres, Le dictionnaire amoureux du Maroc raconte ce Maroc dont la beauté, la lumière et le mystère ont été célébrés par de nombreux artistes, notamment des peintres et des cinéastes, fascinés par ce pouvoir que le Maroc exerce sur les étrangers qui le découvrent.
L’auteur y témoigne aussi de la vision d’un homme partagé entre deux pays, la France et le Maroc, riche de leurs deux cultures et pourtant toujours nostalgique de cette terre d’origine qu’il porte en lui et qui ne le quitte jamais, où qu’il aille. «Le Maroc me suit partout où je vais. Je suis sidéré par cette fidélité, par cette présence et ce lien. La diaspora marocaine n’a jamais définitivement réglé son compte à la nostalgie. Et pourtant, travailler et vivre au Maroc est loin d’être simple», écrit l’auteur qui a quitté la France pour s’installer à Tanger entre 2006 et 2010 avec sa famille.
À la lettre F, Tahar Ben Jelloun raconte son enfance à Fès, sa vie en France. À la lettre C, il décrit sa relation avec Mohamed Choukri. À la lettre A, il nous parle d’amour. À la lettre H, il se remémore sa rencontre avec le Roi Hassan II… Le Maroc de l’auteur se dévoile petit à petit, s’effeuille lettre après lettre et se lit d’une traite ou par épisode.
Cet ouvrage au format original, qui tient lieu de carnet de voyages, de mémoires, de journal intime et de recueil de chroniques à la fois, livre ainsi un point de vue original qui ne manquera pas d’intéresser les fins connaisseurs du Maroc, tout autant que les novices en la matière. Le dictionnaire amoureux du Maroc est en effet un aperçu, condensé en 664 pages, d’une page de l’histoire du pays.
Analysant l’évolution et le développement du pays sous les règnes successifs de Mohammed V, Hassan II et Mohammed VI, l’auteur y livre de nombreux portraits de personnalités politiques qui l’inspirent et qu’il a parfois côtoyées, telles qu’André Azoulay, Zineb El Adaoui, Edmond Amran El Maleh, mais aussi d’artistes tels que Jilali Gharbaoui, Leila Alaoui, Giacometti, Nass el Ghiwane, Farid Belkahia, Fouad Bellamine… Chacune de ces personnes, à travers son parcours, son art, son œuvre, raconte un bout du Maroc.
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Ce pays pour lequel l’auteur clame à chaque page son amour se lit aussi dans des entrées qui décrivent, sur le ton de la chronique, ses spécificités. Il y a ses tares, comme la corruption, la magie grise, la pauvreté dont sa famille est issue, il y a aussi ses plaies ouvertes incarnées par les enfants errants, ses combats que l’auteur évoque avec l’Instance équité et réconciliation, le civisme, la Constitution de 2011, l’analphabétisme.
L’auteur nous fait voyager dans son Maroc: de Fès, où se nichait la maison familiale dans le quartier bien dissimulé de Mekhfiya, à Tanger, ville de légende pour sa famille, en passant par Marrakech et Casablanca. Il nous emmène dans une virée en «p’tit taxi», ce véhicule très prisé des Marocains qui occupe «une place exceptionnelle pour observer la société», puis partage avec nous quelques recettes de cuisine, dont celle de la pastilla «dont sa mère commençait la préparation la veille». Le Maroc se dévoile aussi au lecteur avec humour, avec ces expressions si typiques, dont seuls les Marocains ont le secret: behlane, beldi, chata mata, souab, teyyara, mzah, hachak, nekhoua…
Le dictionnaire amoureux du Maroc de Tahar Ben Jelloun est un portrait réaliste et personnel d’un pays aux multiples facettes, peint dans sa plus pure réalité sans tentative d’enjoliver le tableau. Dans chaque critique qui y est faite, il y a l’aspiration à un lendemain meilleur, dans chaque anecdote, l’expression d’un profond attachement à une société, certes pas parfaite, mais riche de sa culture, sa diversité, son hospitalité et son humour.
«J’aime mon pays. Plus je voyage dans le monde, plus je l’aime. Chaque fois que je me trouve dans un pays lointain et accueillant, je me pose la question de savoir si je pourrais y vivre. Pas besoin de réfléchir. C’est non», résume ainsi Tahar Ben Jelloun, qui signe assurément avec ce nouveau livre l’une de ses plus belles déclarations d’amour au Maroc.
«Le dictionnaire amoureux du Maroc» de Tahar Ben Jelloun, paru aux éditions Plon en octobre 2023.