«La trame chromatique de certains Qotbi fait penser à celle de certains Monet, qui semblent composés de fibres de nombreuses couleurs serrées ou plus lâches, tendues ou flottantes», écrit à son sujet, dans le dossier de presse de la rétrospective, Philippe Dagen, universitaire, critique d’art et romancier français, en questionnant dans son analyse le rapport constant et déconcertant entre peinture et écriture. «Sur ses toiles, une graphie étourdissante, virevoltante, musicale ou compulsive, tout en pleins et en déliés, ondule à l’infini en vibrations incantatoires», analyse quant à elle Nathalie Bondil, directrice du musée et des expositions de l’Institut du monde arabe (IMA).
L’enfance de l’art
L’œuvre de Mehdi Qotbi est intimement liée à ses origines, nourrie par les couleurs et les traditions de son pays, le Maroc. Dès son enfance, il est bercé par les motifs géométriques et les couleurs vibrantes des tapis marocains tissés par sa mère. Cette immersion précoce dans l’univers des arts décoratifs marocains marquera profondément sa démarche artistique.
«Elle ne savait ni lire ni écrire. Elle n’avait aucune culture. Mais elle avait la faculté de faire fusionner les couleurs. Je la voyais prendre la laine rouge, bleue, verte. Elle savait les allier. Pour moi, c’étaient des moments de rêve. Et il y avait le son et le rythme du peigne en fer du métier à tisser qui lui servait à tasser la laine: un son presque musical que j’entends encore. Cette émotion liée au geste, c’est elle que je ressens devant la toile», évoque Mehdi Qotbi.
Un imaginaire ornemental et familial qui imprègne dès le début son œuvre, et se manifeste clairement dans sa maturité artistique pour aboutir plus récemment à une exploration de la céramique traditionnelle marocaine avec ses peintures «Les Zelliges de mon enfance» (2020), mais aussi avec la Maison Aït Manos à Casablanca…
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«Effaçant les frontières entre les arts décoratifs et la peinture abstraite, il fusionne les traditions artistiques amazighes pour retisser et réassembler à l’infini ses souvenirs d’enfance, faisant de cette mémoire une source inépuisable de créativité», écrit Nathalie Bondil.
L’art de la désécriture
«Est-ce de la calligraphie?», une question récurrente, à laquelle Philippe Dagen répond qu’«au sens exact du mot, ce n’en est pas», car poursuit-il, citant Qotbi: «Le calligraphe respecte le signifiant et des règles précises: je ne respecte qu’un rythme». Ainsi, si certains de ses signes ont un air de parenté avec l’écriture arabe, c’est qu’ils ont en commun souplesse, délié, fluidité, «mais il n’y a rien à lire à la surface de ses toiles, contrairement à ce que beaucoup croient quand ils y sont confrontés», poursuit le critique d’art.
Il s’agit en réalité de «désécriture», selon le terme employé par l’artiste. Et «désécrire» revient précisément à inventer des signes visuels qui n’enferment aucun sens déterminé qui puisse être compris, partagé et traduit. Autrement dit, il s’agit d’échapper à l’empire des signes communs.
C’est à travers ce procédé que Mehdi Qotbi affirme la charge psychique et poétique de ses œuvres, essentiellement soucieux de transmettre affects et pensées. «Il n’y a dans ma peinture aucun sens linguistique. Mon écriture est illisible pour être universellement lisible», explique l’artiste que Jack Lang, président de l’IMA, compare à un «authentique brodeur de mots (qui) s’attache à la beauté intrinsèque des lettres plutôt qu’à leurs sens, à leur agencement dans l’espace et leur résonance entre elles».
Rencontres entre deux rives
Décrit par le même Jack Lang comme un «universaliste convaincu, ambassadeur culturel de la relation franco-marocaine, (qui) érige des ponts sensibles et d’amitié entre les continents, enjambant d’un pas alerte la Mare Nostrum qui nous sépare autant qu’elle nous lie», Mehdi Qotbi se nourrit de rencontres et invite inlassablement au dialogue des cultures. «L’essence même de la culture est le partage» dit-il.
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Ainsi, dans ses livres d’artiste, nombreux sont les écrivains qui ajoutent leurs mots à son foisonnement de signes. Autant de partitions à quatre mains signées par Yves Bonnefoy, Michel Butor, Aimé Césaire, Andrée Chédid, Jacques Derrida, Édouard Glissant, Léopold Sédar Senghor, Octavio Paz, Nathalie Sarraute… «Les écrivains m’ont permis de mieux voir», confie Mehdi Qotbi, dont la rencontre, en 1986, avec l’écrivain Michel Butor sera déterminante, en ce qu’elle éveille chez le jeune peintre le désir de fusionner les mots et les couleurs, le lisible et l’illisible.
Décrit tour à tour comme un véritable tisseur de liens, un artisan de la beauté qui parvient à relier les cultures et les émotions, la rétrospective que lui dédie l’IMA invite le public à découvrir l’essence même de son travail: un voyage esthétique au cœur de l’humanité, une exploration des thèmes de l’identité, de la mémoire et de l’espoir, révélant ainsi l’art comme un puissant moyen de communication et de partage.