L’attente a été longue, mais le Maroc a pu enfin déposer le dossier d’inscription du caftan marocain et du savoir-faire lié à sa confection auprès de l’UNESCO, en vue de son examen dans le cadre de la 20ème session du Comité intergouvernemental pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’organisation onusienne, qui se tient en décembre 2025.
Confronté en mars 2023 à une tentative éhontée d’appropriation culturelle du caftan ntaâ de Fès, par le biais d’une photo glissée dans le dossier algérien portant sur «Le costume féminin de cérémonie dans le Grand Est de l’Algérie: savoir-faire associés à la confection et à la parure de la Gandoura et de la Melehfa», le Maroc a dû prendre son mal en patience afin de pouvoir déposer sa candidature d’inscription et rétablir la vérité historique sur cet habit ancestral marocain.
Pour rappel, le Comité intergouvernemental pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, qui se réunit une fois par an, accepte l’inscription d’un élément par pays une fois tous les deux ans. Après l’inscription du Malhoun en 2023, le Maroc a donc dû attendre deux ans de plus avant de déposer une nouvelle inscription, en l’occurrence celle du caftan.
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Aujourd’hui, c’est chose faite: sur le site de l’UNESCO figure désormais l’inscription du dossier «Art, tradition et savoir-faire du caftan marocain». Autant dire que la candidature marocaine ne laisse aucune place à la réécriture de l’histoire de son patrimoine.
Au cœur du savoir-faire
Preuve en est la multitude de noms attribués aux éléments qui constituent ce dossier et qui font l’objet d’une longue fiche inventaire. «Qftan tarz Ntaa, Takchita, Lmansoria, Lkeswa Lakbira, Lqmis, Jabador, Gandora, Marlota, Dfina, Jalloub, Takhlila», détaille-t-on du côté du nom des tenues comme désignées dans les différentes régions du Maroc. Viennent ensuite les cheddate, avec la «Chedda Chamalia, Chedda Tanjaouia, Chedda Tetuania, Chedda Oujdia», ou encore la «Touqida Rbatia» et «LKeswa Oujdia».
La candidature marocaine détaille ensuite les étoffes qui composent le caftan marocain, désigné comme étant «Khanjar, Fassi, Rbati, Slaoui, Oujdi» et taillé dans «l’Khrib, l’Bahja, Brocard Fessi, Haj Omar, Chamali, Denyajat, Asemlal Soussi, Mimouna, Mobra, Jaouhara». Les types de broderies complètent enfin ce riche tableau avec «Tarz l’Ghorza, Tarz l’Hsab, Tarz l’Majboud, Tarz l’Fetla, Tarz Zemmouri, Tarz Tall, Tarz Randa, Tarz l’Khanjar, l’Msaouess, Zwa9 l’Mâalam, Chaouni, Taâjira Tetuani, Tars, l’Masloul, l’Krouchi, Ettaâsab, Ettanbat, Takrir, Tirach»… Un inventaire extrêmement détaillé qui en dit long sur la richesse de ce patrimoine ancestral.
Un descriptif minutieux
Dans le dossier de candidature, le descriptif du caftan se veut également très minutieux en fonction de la manière dont il est porté. «Sous la forme d’une tunique longue, le caftan se déploie sous plusieurs styles et supports textiles. Il est ouvert au milieu, parsemé de boutons et boutonnières, se portant avec ou sans ceinture mḍamma», précise-t-on. Rappelant qu’en tant que costume d’apparat, le caftan est porté aussi bien par les femmes que par les hommes et les enfants, filles et garçons, le Maroc insiste dans sa candidature sur le fait qu’«en plus des traits communs aux différents caftans, des spécificités créatives anciennes ont permis l’émergence de traditions locales comme pour le caftan Tarz ntaâ de Fès» et rétablit ainsi la vérité sur l’histoire de ce caftan qu’a tenté de s’approprier l’Algérie.
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Mais le caftan est aussi tant d’autres choses. «C’est le fruit d’une synthèse ornementale composée, entre autres, d’une passementerie faite en fils de soie, d’une broderie en fils de soie ou en fils d’or, et de décors en perles et paillettes exécutées à la main», poursuit-on. Une richesse ornementale qui ne peut être vulgairement copiée et dont la transmission est assurée par les détentrices et détenteurs d’un savoir-faire spécifique, en l’occurrence, des tisserands de brocard, des artisans-tailleurs, des confectionneurs de passementerie et de boutons, des brodeuses et des apprentis, tous rivalisant «pour créer un caftan richement décoré, qui varie d’une région à l’autre».
À juste titre, le Maroc prend bien soin d’identifier les listes et groupes d’individus concernés par la réalisation du caftan, citant en premier lieu les artisans (mâalmin) et les artisanes (maâlmate), «responsables de sa création et détenteurs/détentrices de savoir-faire divers liés aux domaines d’interventions associés». Le dossier s’attache à détailler les différents métiers qui composent ce savoir-faire, du couturier qui joue un rôle de médiateur entre différents collaborateurs, est en contact direct avec le client et coordonne avec les mâalmin et maâlmate, au tisserand (zeradkhi) qui «s’occupe de la composition du tissu à travers une combinaison des matières premières pour produire des étoffes tels que le brocart, le velours et la soie». On évoque aussi le modéliste (fessal), dont le métier est pratiqué par les femmes et les hommes et dont le savoir-faire est lié à la coupe du caftan. Les confectionneurs des âakad et de la sfifa sont aussi cités en leur qualité de mâalmin et apprentis qui confectionnent les boutons (âakad), les boutonnières (âayoun) et les ganses de tresses (sfifa). Enfin, les brodeuses (ttrazate) sont ici citées en tant que détentrices de cet art féminin qui vient orner le caftan, en précisant que chaque région dispose de sa signature en termes de langage décoratif.
Les marchands d’accessoires ou de caftans, qui dynamisent toute une économie autour de cet élément patrimonial, sont aussi un maillon essentiel de la chaine, tout comme les collectionneurs et les instituts muséaux «qui portent un intérêt pour le caftan et qui ont assuré la survie de ses formes anciennes, et ont permis de saisir ses spécificités locales et son évolution dans le temps», et enfin les coopératives, les associations et les organismes qui programment des événements autour du caftan.
L’histoire arabe, amazighe et juive du caftan marocain
Dans sa candidature, le Maroc s’attache aussi particulièrement à situer le caftan au sein de l’histoire du pays et de la société marocaine, rappelant que cet habit «concerne l’ensemble de la société marocaine dans des localités différentes», qu’il est «le costume indispensable dans les occasions marquant la vie du marocain arabe, amazigh ou juif». On y rappelle aussi que cette tenue traditionnelle marocaine «puise ses racines dans une longue histoire de traditions vestimentaires qui n’ont pas cessé d’évoluer depuis l’époque médiévale jusqu’à nos jours».
Le caftan résulte ainsi des savoir-faire des artisans et couturiers maâlmin émanant des cultures arabe, amazigh et juive, et en ce sens, il «conjugue le chevauchement d’influences et confluents différents amazigh, arabe et juif», explique-t-on, en soulignant le dialogue instauré «entre la culture locale et la diversité des expressions esthétiques» et le «message de tolérance et d’appartenance à un Maroc riche en influences» qu’incarne le caftan marocain.
Pour contextualiser le port de cet habit au sein de la société, le dossier explique que «la communauté marocaine porte le caftan durant les festivités et les célébrations» et qu’il incarne «la tenue officielle des fêtes du mariage, des fêtes de baptême, des rites de passage à l’âge adulte, célébration du premier jeune, manifestations équestres comme la tbourida, fêtes religieuses, quelques événements à caractère officiel...».
Loin d’être un habit oublié qui ne survit que dans les livres d’histoire, le caftan marocain a au contraire gagné en popularité dans le monde et a assuré sa survie grâce à la montée en puissance d’une nouvelle génération de stylistes marocains qui, sans renier l’héritage du passé et en rendant hommage aux artisans traditionnels, déploient leur créativité pour façonner une tenue à l’élégance moderne et facile à porter, est-il enfin expliqué.
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