Le Covid-19, son confinement, ses projets, l'affaire Sofia Taloni… Pour Le360, Abdellah Taïa se confie

Abdellah Taïa, écrivain, cinéaste.

Abdellah Taïa, écrivain, cinéaste. . DR

L’écrivain franco-marocain, établi en France, a bien voulu nous accorder une interview depuis sa maison, où il est actuellement confiné. Comme à l’accoutumée, Abdellah Taïa s’exprime avec délicatesse et un certain sens de la mesure.

Le 21/04/2020 à 08h28

On dit de lui qu’il est «l’une des valeurs sûres de la littérature marocaine». Mais lui ne s’identifie à personne, à rien. Sauf à lui-même. Ce qu'il dit de lui-même? «Je suis un homme simple, j’aime ce que je fais, j’aime mon pays, j’aime les gens de tous bords, et je persévère dans mon travail tout en apprenant chaque jour que Dieu fait».

Abdellah Taïa, lauréat de plusieurs prix littéraires, est un homme de principes, respectueux de l'autre, ne dénigrant jamais personne, ne critiquant jamais quiconque pour ce qu’il est. 

La littérature est son art. De sa plume, avec courage, il n’hésite pas à hausser le ton pour dire l’injustice, sous toutes ses formes, il dénonce, en écrivant, les atteintes à la dignité humaine, et prolonge cette action en exprimant ses idées sur les plateaux de télévision ou à la radio, ou encore sur les réseaux sociaux. Ce fut d'ailleurs récemment le cas lorsqu'une personne, qui agit sur YouTube sous le pseudonyme de Sofia Taloni, issue de la communauté LGBTQ+ du Maroc, a étrangement tenté de dénoncer l'identité cachée d'autres personnes issu-e-s de cette communauté, les mettant ainsi en danger.

Sollicité par Le360, Abdellah Taïa, qui est également réalisateur, a bien voulu dire toute son indignation sur cette sortie hasardeuse de ladite «Sofia Taloni». L'écrivain évoque aussi la crise sanitaire, et bien évidemment ses projets littéraires. 

Né à Rabat en 1973, Abdellah Taïa a publié aux Editions du Seuil plusieurs romans, traduits en Europe et aux USA: «L'Armée du Salut» (2006), «Une mélancolie arabe» (2008), «Le Jour du Roi» (Prix de Flore 2010), «Infidèles» (2012), «Un pays pour mourir» (2015), «Celui qui est digne d'être aimé» (2017) et «La vie lente» (2019). Il a réalisé en 2014 son premier film, «L'Armée du Salut», dont le scénario s'inspire du roman dont il est l'auteur. Il vit en France depuis 1999.

Comment vivez-vous votre confinement?

Cela dépend des jours et des moments. Je suis seul dans mon petit studio, depuis plus de cinq semaines maintenant. Je fais tout pour garder le moral. Je regarde beaucoup de films et beaucoup de vieux feuilletons égyptiens, sur les chaînes YouTube Maspero Drama et Maspero Zaman. Et bien sûr, je reste en contact avec le monde, avec les autres. Je pense aux autres qui se sacrifient pour nous: les infirmières, les médecins, les caissiers, les éboueurs, les vendeurs ambulants. Ce sont eux qui prennent le plus de risques... Et les saluer, penser à eux, prier pour eux, c'est la moindre des choses.Même s'il m'arrive de déprimer par moments, je n'oublie pas que je suis un privilégié, protégé dans mon petit chez-moi. Il y a tellement de gens en ce moment qui se retrouvent d'un coup dans une plus grande fragilité économique et émotionnelle, une plus grande pauvreté, une plus grande précarité. Il faut penser à ces gens, les aider comme on peut, penser à l'autre, faible et dans la nécessité. Cette période très difficile devrait nous pousser à nous remettre en question, remettre profondément en question notre monde tellement, tellement, injuste. Voilà. Il n'y a pas que moi. Il y a les autres. Dans ma solitude, je parle aux murs, et je pense à tout cela. L'amour, renouveler l'amour entre nous d'une manière sincère, très sincère.

Que pensez-vous de la manière dont le Maroc gère cette crise sanitaire?

Le Maroc fait ce qu'il peut, comme il peut. Ce n'est pas parfait, bien sûr, mais c'est partout pareil sur cette terre en ce moment. On s'adapte chaque jour.

Quels sont vos projets?

Trouver l'amour, enfin. Trouver une nouvelle façon d'exister. Sortir de ma petite cage. Ne plus être dans les répétitions stériles de mon existence. Ne pas rester trop collé dans le passé et ses blessures. Et aussi, en tant qu'homosexuel marocain, je voudrais aider plus que jamais la communauté LGBTQ+ du Maroc.

Vous avez dit toute votre indignation contre la dénommée «Sofia Taloni». 

C'est très triste, tragique, horrible, criminel. L'ignorance est encore si répandue au Maroc, malheureusement, malheureusement. Et ce sont toujours les plus fragiles, les discriminés, qui en paient d'abord le prix. Les homosexuel-le-s (tous les LGBTQ+) ont besoin d'être protégés, pas d'être attaqués, tués, lynchés. Et l'Etat marocain doit intervenir d'urgence pour les sauver, et leur donner enfin leurs droits. En commençant par l'abrogation de la loi qui les criminalise et les maintient, aux yeux des Marocains, dans un statut inférieur. La cruauté qui se manifeste en ce moment contre les LGBTQ+ marocains est insoutenable, effrayante et impardonnable. Le pouvoir marocain doit sortir de son silence. 

Par Abdelkader El-Aine
Le 21/04/2020 à 08h28