Dans cet article, qui se base sur des faits historiques, les auteurs s’intéressent aux découvertes et au travail des médecins musulmans qui «repoussèrent les limites de la science médicale vers de nouveaux horizons», en s’appuyant notamment sur le savoir de civilisations passées.
Si l’âge d’or des découvertes scientifiques réalisées par les médecins musulmans est établi dès le VIIème siècle, avec l’essor de l’islam, la médecine arabe primitive se basait, explique-t-on, sur les pratiques traditionnelles datant du 3ème millénaire avant notre ère, originaires de Mésopotamie et Babylone. Miel, huile d’olive, ventouses (hijama)… autant de remèdes ancestraux qui nous parviennent de cette époque lointaine et qui sont encore employés aujourd’hui dans les pays arabes et musulmans.
Ces anciennes sociétés musulmanes utilisaient également les rêves comme indicateur de santé, ouvrant ainsi la voie, avec l’interprétation des rêves, à une forme primitive de thérapie psychologique dès le VIème siècle.
L’essor de l’islam et la conquête intellectuelle
Avec l’essor de l’islam, la médecine arabe se propage et des villes comme Alexandrie, en Égypte, Édesse, en Turquie, ou encore Gundishapur, en Perse, passent sous contrôle musulman. Ces anciens foyers de la science grecque attirent les élites musulmanes «déterminées à raviver, à absorber et à propager ce qu’elles considéraient comme un savoir perdu», mais également à l’étoffer.
Lire aussi : Une chercheuse marocaine primée à Londres
C’est ainsi que la science des Grecs, qualifiée de «science des anciens», devint le fondement du développement de la médecine arabe. À titre d’exemple, «les premières bases théoriques de la médecine arabe s’inspiraient de la théorie grecque et romaine des humeurs, que l’on attribue à Hippocrate, médecin et philosophe du 4ème siècle avant notre ère».
Grâce à l’aptitude des traducteurs arabes à parler plusieurs langues, au Xème siècle, la médecine arabe est alors forte d’un corpus toujours plus étoffé d’œuvres grecques, perses et sanskrites traduites en arabe, et s’impose alors comme «la médecine la plus sophistiquée du monde». À cette même époque, «chrétiens, juifs, hindous et savants d’autres confessions considéraient l’arabe comme la langue des sciences», au point que «des médecins de différentes confessions œuvrèrent, discutèrent et étudièrent ensemble, avec pour langue commune l’arabe».
De Bagdad à Cordoue, la trace indélébile des grands savants
Les Xème et XIème siècles sont associés à l’expérimentation intellectuelle, sous le règne du califat abbasside de Bagdad, qui voit briller de nombreuses personnalités comme Al Razi, pharmacologue et médecin perse qui dirigea l’hôpital de Bagdad, Ibn Sina, médecin dès l’âge de 18 ans, à qui l’on doit le «Kitab al-Qanun fi al-Tibb» («Le Canon de la Médecine»), décrit comme «l’une des plus célèbres œuvres médicales de tous les temps, en plus d’être un exercice extraordinaire en matière de syncrétisme disciplinaire et culturel».
Lire aussi : Ils sont partout!
Toujours au Xème siècle, aux confins occidentaux du monde islamique, en Espagne musulmane, Cordoue s’est imposée comme un foyer d’étude et d’exploration. C’est au sein de la capitale culturelle, et plus grande ville d’Europe, que sont en effet conservés des volumes essentiels de la bibliothèque scientifique, traduite en arabe, rendant ainsi accessible aux intellectuels de tous bords les propriétés médicinales des plantes et des herbes.
Parmi ces ouvrages devenus essentiels en Europe, «Al-Tasrif» («La pratique»), du chirurgien Abu Al Qassim (Aboulcassis), qui répertorie en une encyclopédie de trente volumes le traitement des malades et des blessés avec «instruments chirurgicaux, techniques d’opération, méthodes pharmacologiques pour préparer les comprimés et médicaments pour protéger le cœur, procédures chirurgicales utilisées en maïeutique, cautérisation et cicatrisation des plaies, et traitement des maux de tête». Au XIIème siècle, ce sera au tour d’Ibn Rochd (Averroès), médecin personnel des califes, de se faire connaître pour son travail remarquable.
«La prédominance des écrits sur la médecine dans la culture islamique s’accompagna de grands progrès dans sa pratique», explique-t-on, et de fait, de nouveaux traitements furent mis au point pour soigner des affections spécifiques, notamment la cataracte. Par ailleurs, les plus grandes avancées de la chirurgie de cette époque furent décrites par Al Zahrawi, «qui inventa une multitude d’instruments: forceps, tenailles, scalpels, cathéters, cautères, bistouris et spéculums, tous illustrés avec soin dans ses écrits».
Lire aussi : Dans son «Plaidoyer pour les Arabes», Fouad Laroui souligne une lacune dans l’histoire universelle de la pensée
Les médecins occidentaux appliquèrent pendant des siècles «ses recommandations concernant les techniques d’atténuation de la douleur, comme l’utilisation d’éponges très froides», et c’est également à Al Zahrawi que l’on doit l’une des plus grandes innovations encore pratiquée de nos jours, «le recours au catgut pour suturer les patients après une opération».
L’hôpital, une invention musulmane
«L’un des apports les plus durables de l’islam fut l’hôpital», ajoutent les auteurs de l’article, rappelant que l’hôpital Ahmad ibn Tulun, l’un des premiers de son genre, fut construit au Caire entre 872 et 874. Dans ces hôpitaux publics financés par des dons, pratiquaient les plus éminents médecins musulmans, juifs et chrétiens. Ils permettaient non seulement de soigner les malades, mais aussi d’offrir un refuge pour les malades mentaux, les vieillards et les infirmes.
Autre particularité de ces hôpitaux: ils combinaient l’étude et l’éducation à la culture médicale musulmane. Ainsi, «des hôpitaux affiliés à des universités formaient chaque nouvelle génération de médecins». C’est le cas de l’hôpital syrien Al-Nuri, fondé au XXIIème siècle, à Damas, qui fut «l’une des plus éminentes écoles de médecine de son temps et possédait une impressionnante bibliothèque offerte par le souverain Nur al-Din Zangi».