Ce que les échecs doivent aux Arabes

«The Queen’s Gambit», la série à succès de Netflix.

«The Queen’s Gambit», la série à succès de Netflix. . DR

«The Queen’s Gambit», la série à succès de Netflix a suscité un nouvel engouement pour le jeu d’échecs, redevenu tout d’un coup à la mode. Retour sur l’histoire arabe de ce jeu qui a conquis le monde.

Le 05/12/2020 à 13h09

Né en Inde aux alentours du VIe siècle, le «chaturanga» (jeu des quatre rois) a, selon une légende, été découvert en Perse par l’intermédiaire d’un ambassadeur indien qui l’a introduit à la cour de Khosro au VIe siècle dans le but de tester l’intelligence du Shah de Perse.

Il est tout aussi vraisemblable que ce jeu indien ait transité par les peuples nomades d’Asie centrale par les voies du commerce avant d’arriver en Perse, en 550, où il prendra le nom de «Shatrandj».

C’est près d’un siècle plus tard, en 642, que les Arabes feront sa découverte en conquérant la Perse. La renommée du jeu s’étend alors via les peuples nomades et les Bédouins à la péninsule arabique.

Esthétique et littérature échiquéenne

Toutefois, le jeu et ses figurines à représentation humaines se heurtent aux théologiens de la religion musulmane qui condamnent l’emploi de ces petites statuettes jugées impies. C’est là que le jeu d’échecs va subir l’une de ses principales transformations. Pour continuer d'y jouer tout en respectant les préceptes coraniques, les Arabes transforment les pièces du jeu en leur conférant des formes abstraites, mais toutefois identifiables.

Mais la contribution des Arabes à ce jeu ne s’arrête pas là, grâce à l’engouement de certains souverains musulmans pour ce jeu. Ainsi, on doit au Calife Haroun El Rachid le premier tournoi de l’histoire des échecs en 847. Passionné par ce jeu, il organise en effet une compétition rassemblant les meilleurs joueurs de l’empire islamique.

C’est certainement à lui, en tant que grand mécène de ce jeu, que l’on doit également les premiers livres techniques qui constituent les fondements de la littérature échiquéenne. C’est en effet sous son règne que ceux-ci feront leur apparition avec en 842 le «Livre des échecs» d’Al Adli. Cette littérature foisonnante va rassembler des recueils de parties, des analyses de fond de parties et compiler des problèmes d’échecs afin de favoriser l’apprentissage du jeu ou son perfectionnement.

Les échecs et les conquêtes musulmanes

Le jeu traversera encore les frontières au gré des conquêtes musulmanes, partant tout d’abord du Maghreb et des rives de la Méditerranée vers l’Espagne et le Portugal. C’est là, dans la province d’Al Andalus que les Maures importent le jeu d’échecs et lui dédient même des cours spécifiques dispensés dans les nouvelles universités spécialisées dans l’enseignement de la culture musulmane.  

L’Occident chrétien découvre ce jeu via l’Espagne musulmane à la fin du Xe siècle, avant que celui-ci ne gagne la Chine et le Japon par les caravanes et par ces mêmes voies commerciales, les échecs parviennent aux populations scandinaves et russes à la fin du XIe siècle.

Ce n’est qu’à partir de 1200 que les premiers écrits occidentaux font leur apparition avec «Le livre des jeux» d’Alphonse X, roi de Castille.

Pourquoi le jeu arabe a-t-il été transformé?

Toutefois, chaque société qui adoptera ce jeu lui apportera ensuite des changements en adéquation avec sa culture et ses mœurs. Ainsi, certains éléments du jeu arabo-persan ont été modifiés par les Occidentaux, déroutés par ce jeu de guerre stratégique qui s’adaptera alors au Moyen-âge à la société féodale en prenant la forme d’un jeu de cour.

Principal changement apporté par les Occidentaux, la forme des figurines stylisées et non figuratives que leur ont léguées les Arabes. En lieu et place de ces blocs géométriques, on fabrique alors des pièces figurées taillées dans l’ivoire, une matière précieuse à laquelle on confère un pouvoir magique. Les pièces du jeu deviennent alors des objets d’apparat que l’on conserve précieusement comme un trésor.

Enfin, la symbolique du jeu change elle aussi.

Dans le jeu arabo-persan, les deux camps qui s’affrontent sur l’échiquier sont représentés par leurs armées, avec des chars, une cavalerie et une éléphanterie. Pour occidentaliser le jeu, on ne parle plus d’armées, mais de cours rivales et pour mieux s’y retrouver, on change alors aussi l’appellation des pièces. L'éléphant indien devient le fou, le cavalier devient chevalier, le char se transforme en roc puis en tour, le shah ou sheikh laisse place au roi, et le conseiller du roi (le vizir) devient la reine, la première pièce féminine introduite dans le jeu au Moyen-âge.

Toutefois, certaines choses restent immuables, ou presque. Ainsi, le mot «échec», toujours utilisé aujourd’hui et associé au jeu d’échecs, tire son origine du mot arabe d’origine persane «shâh» (roi). «Shâh mat», la locution que le joueur utilise pour prévenir son adversaire que son roi est en danger, est ainsi composée du mot persan «shâh» devenu ensuite sous l’influence arabe «sheikh» et du mot arabe «mat» (mort), autrement dit, «ton roi est mort». 

«Sheikhek mat» s’est depuis transformé quelque peu en «échec et mat».

Par Zineb Ibnouzahir
Le 05/12/2020 à 13h09