Anthropologue, écrivain et pédagogue, Abdelkrim Raddadi explore depuis plusieurs années les dimensions culturelles et sociales du quotidien marocain. Après «Les cafés du Maroc», véritable voyage à travers les lieux de convivialité du Royaume, il signe «Le pain entre sacré et profane», un hommage sensible à ce symbole universel de partage et de mémoire. Avec son regard à la fois érudit et empreint d’émotion, il interroge le rapport du Marocain à ses traditions, à sa table, à ses gestes d’hier et d’aujourd’hui.
Le360: Vos deux derniers beaux-livres sont «Les cafés du Maroc» et «Le pain entre sacré et profane». Pourquoi ces thèmes en particulier ?
Abdelkrim Raddadi: Pour parler du dernier, lorsqu’on regarde toutes les tables culinaires au Maroc ou ailleurs, le pain en est toujours l’élément central. Il est la base de tout. Le pain m’a toujours fasciné: sa préparation me rappelle ma mère, le levain, la levure… Je me souviens encore du moment où je récupérais les grains au moulin, ou du pain des voisins que l’on faisait cuire au four du quartier. C’était un rituel, un lien social et affectif.
C’est tout cela qui m’a poussé à consacrer cinq années de recherche à ce livre. Il fallait retracer l’origine du pain, explorer les farines, les levures, le pain dans le monde, le pain en chiffres… J’y ai aussi intégré le tout premier texte littéraire marocain sur le pain, intitulé Ferranna. La démarche est à la fois anthropologique et pédagogique.
Pourquoi avoir choisi de présenter cet ouvrage sous forme de beau-livre plutôt qu’en livre de poche?
Un beau-livre attire. D’ailleurs, j’aime l’expression anglaise Coffee table book— littéralement, un livre qu’on pose sur une table de café. Contrairement à un roman ou un essai qu’on lit puis qu’on range dans une bibliothèque, le beau-livre reste visible, accessible, vivant.
«J’aime l’expression anglaise Coffee table book — littéralement, un livre qu’on pose sur une table de café. Contrairement à un roman ou un essai qu’on lit puis qu’on range dans une bibliothèque, le beau-livre reste visible, accessible, vivant.»
— Abdelkrim Reddadi, anthropologue et écrivain
Je tenais aussi à ce qu’il soit richement illustré, qu’il contienne des photographies et des insertions artistiques. Je voulais qu’il parle aussi à ceux qui ne lisent pas beaucoup. La durée de vie visuelle d’un beau-livre est bien plus longue.
Mais un beau-livre impose un certain coût. Le vôtre, tiré à 1.500 exemplaires, est vendu à 580 dirhams. N’est-ce pas un peu cher?
Je le reconnais. Mon éditeur, Marsam à Rabat, que je remercie, a travaillé sur une impression de grande qualité. Le livre n’a pas été imprimé au Maroc, car le papier n’y est pas subventionné. Marsam, qui imprimait habituellement en Turquie, a dû se tourner cette fois vers la Chine pour des raisons financières. 580 dirhams, c’est un prix élevé, certes, mais l’éditeur a de bonnes raisons de le justifier.
Vous êtes très présent dans les événements culturels à Casablanca, mais beaucoup ne vous connaissent pas encore. Pourriez-vous vous présenter?
Je suis avant tout un citoyen marocain et fier de l’être. Je suis né à Settat, une petite ville qui m’a profondément marqué. J’y ai passé mon baccalauréat avant de poursuivre des études de littérature anglaise à la faculté des lettres de Rabat.
J’ai débuté comme professeur d’anglais dans un lycée public, puis j’ai intégré la commission des manuels scolaires, où j’ai participé à la publication de plusieurs livres d’anglais pour le secondaire.
Par la suite, je suis parti aux États-Unis, à l’Université du New Jersey, où j’ai obtenu un master puis un doctorat en anthropologie. De retour au Maroc, j’ai repris l’enseignement avant de rejoindre le Consulat des États-Unis en tant qu’attaché culturel, poste que j’ai occupé plus de trente ans.
Lire aussi : Parution. «Les cafés au Maroc» vus par Abdelkrim Raddadi
Aujourd’hui à la retraite, je reste actif: j’enseigne dans plusieurs écoles supérieures à Casablanca et à Rabat.
Vous avez une longue et riche carrière, mais vous restez très discret. D’où vient cette humilité ?
Je viens d’une famille nombreuse. J’ai toujours été le «B» mais jamais le «A» de la famille. C’est ma nature: j’ai toujours aimé briller grâce aux autres. Je ne veux pas être le premier, mais je ne veux surtout pas être le deuxième de quiconque.








