Ce mal qui ronge la société marocaine

Zineb Ibnouzahir

Zineb Ibnouzahir . Achraf Akkar

ChroniqueIl serait grand temps pour le bien de nos cerveaux et l’évolution de notre pays et de notre culture de commencer à balayer devant notre porte, en commençant par perdre cette fâcheuse habitude de juger les autres.

Le 08/11/2020 à 12h00

Hier, samedi 7 novembre, les Emirats arabes unis faisaient une annonce de taille qui en a surpris plus d’un.

Décidant de réformer son code juridique basé sur la charia, ce pays du Golfe a consacré certaines libertés individuelles, et non des moindres, tordant ainsi le cou à l’hypocrisie latente qui gangrène nos sociétés arabo-musulmanes quant à certaines pratiques que l’on applique volontiers, mais que l’on n’assume pas.

Principal changement qui porte sur les lois islamiques en vigueur, la fin de l’impunité pour les auteurs de crimes d’honneur qui n’encouraient que de trois à quinze ans de prison pour le meurtre de femmes ayant «sali» l’honneur de la famille. Car sous prétexte d’une loi islamique qui se voulait immuable, l’homme pouvait incarner le bras vengeur d’une pseudo-justice sans être inquiété pour autant.

Seront aussi désormais punis de lourdes peines de prison le harcèlement sexuel, le viol sur mineur… Et en cela, ce n’est que justice, on reconnait enfin le viol en tant que crime. Quelle avancée de taille!

Vient ensuite une batterie de mesures consacrant certaines libertés individuelles et si celles-ci sont bien moins révolutionnaires que les deux précédemment citées, ce sont pourtant celles qui ont fait couler le plus d’encre, chez nous au Maroc.

Alors que nous autres Marocains étions très occupés à commenter les élections américaines, à guetter la déferlante d’une vague bleue, à hurler à la fraude électorale en Géorgie, à suivre les derniers méfaits de Trump sur Twitter, à soupeser les limites de la liberté d’expression au nom de la laïcité en France, voilàtipa que les Emiratis nous ont pris par surprise et ont réussi à capter notre attention.

(Note à nos politiques en vue des prochaines élections: oui, c’est malheureusement un fait, la chose politique nous passionne, mais quand elle se déroule sous d’autres cieux. A méditer.)

Nous avons donc appris, un brin jaloux, un brin outrés, que les couples émiratis non mariés pourront désormais vivre sous le même toit en concubinage. Et cerise sur le gâteau, il sera aussi possible aux musulmans d’acheter et de consommer de l’alcool en toute légalité.

Il n’en fallait pas plus pour enflammer la toile marocaine. Quand certains applaudissent ce pied-de-nez à l’hypocrisie ambiante qui veut qu’on achète de l’alcool au supermarché mais qu’on ne nous donne pas de ticket de caisse si on a la bonne tête d’un musulman (allez savoir à quoi ça ressemble), saluent une avancée de taille qui permettra enfin d’asseoir la liberté de conscience qui nous fait tant défaut; d’autres, et ils sont nombreux, y voient l’œuvre de satan.

«Même Satan est étonné» argue ainsi celle–ci, qui affiche pourtant sur son compte Facebook le super maquillage de ses enfants, Kamil et Lina, pour Halloween. 

Une autre, drapée dans sa dignité facebookienne, voit dans cette nouvelle loi qui consacre le concubinage «la liberté de pratiquer l’adultère».

Un autre encore, devenu «soudaincoup» féministe, estime que cette nouvelle vie à deux dans le haram est une manière de consacrer le statut de femme-objet. Ben voyons…

Enfin, on fustige, nous autres les champions du monde arabe en terme de connexion à des sites pornographiques, le sacre de la fornication.

Quant à la possibilité de consommer de l’alcool, n’en parlons pas. A lire les commentaires, on en viendrait presque à penser que le thé à la menthe est véritablement la boisson nationale et à oublier les longues files d’attente dans les débits de boisson les veilles de aid ou mieux encore, les caddies qui font «clinc clinc clinc» quelques jours avant le shutdown ramadanesque.

La réaction de la toile marocaine est à la hauteur de l’hypocrisie qui gangrène notre société et empeste le mensonge enrobé de pseudo-piété.

S’il est un mal en particulier qui ronge le Maroc, c’est cette bien-pensance, cette bienséance, ce bien sous tout rapport dans lequel on se drape avec beaucoup de dignité et de fierté afin de mieux faire la leçon aux autres, persuadés que nous sommes d’avoir la science infuse, et l’islam irréprochable. Un peu comme ce cancre à l’école qui espère avoir des bons points en devenant la balance de l’instituteur.

Il serait grand temps pour le bien de nos cerveaux et l’évolution de notre pays et de notre culture de commencer à balayer devant notre porte, en nous délestant de cette fâcheuse habitude de juger les autres. Une habitude qui n’est d’ailleurs pas recommandée par l’islam.

La manière dont les uns et les autres pratiquent une religion n’est l’affaire de personne. Idem pour la façon dont on décide de faire sa vie, de faire la fête, de s’aimer avant, pendant ou après le mariage. C’en est assez de cette police des mœurs qui s’est installée sournoisement et qui décrète, sans que personne ne lui demande son avis, ce qui est bien et ce qui est mal, ce qui est halal ou ce qui est haram.

Les libertés individuelles et la liberté de conscience sont des droits qui devraient être défendus bec et ongles par tous. C’est ce qui différencie le troupeau qui suit le mouvement aveuglément et l’individu responsable de ses actes devant la loi et aussi devant son créateur.

Alors cessons cette infantilisation insupportable et hypocrite qui encourage une chose, une seule, la délation.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 08/11/2020 à 12h00