First ladies

Le360

ChroniqueAsma El Assad, épouse du président syrien, est sortie de huit ans de silence. La romancière en moi se demande quelle est la vraie histoire derrière ce discours de langue de bois, où l’on imagine des espions, des émissaires étrangers et autres obscurs personnages. Epouse complice ou prisonnière?

Le 20/10/2016 à 11h00

Même lorsqu’il s’agit de commenter l’actualité, la romancière que je suis ne peut s’empêcher de regarder derrière les faits, de scruter les visages, les intonations, d’interroger les silences, au risque parfois de se laisser emporter. Cette semaine, j’ai été frappée par les discours de deux premières dames, radicalement opposées. Des premières dames iconiques, chacune à leur façon, l’une soulevant les foules et l’autre les interrogations.

Cette semaine, Asma El Assad, épouse du président syrien, est sortie de huit ans de silence et a accordé une interview à la télévision russe. Face à une journaliste complaisante et visiblement ravie de cette exclusivité mondiale, l’ancienne égérie des premières dames arabes est apparue profondément changée. Amaigrie, le visage grave, le regard froid, elle répond à son interlocutrice avec distance, voire avec sécheresse. Son long silence? Elle n’aime pas la publicité explique-t-elle et cette disparition médiatique ne lui a donc pas coûté. Puis la journaliste lui demande de parler de la Syrie, celle d’avant la guerre, d’avant les réfugiés, d’avant la honte. Difficile alors de lire sur le visage de la première dame qui, lorsqu’elle parle de sa fonction, semble réciter une leçon apprise par cœur. Elle n’a qu’un seul but, répète-t-elle: soutenir les soldats syriens. Depuis deux ans, les médias officiels n’ont eu de cesse de la montrer en train de recevoir des blessés de guerre, des orphelins, ou lors de parrainages d'événements sociaux ou éducatifs.

«Mais avant, je ne sais pas si vous le savez, j’étais banquière d’affaires. J’ai étudié à Harvard,» précise-t-elle. Et là, son visage est traversé par la mélancolie. On y perçoit comme le regret d’une vie gâchée. Elle, brillante femme d’affaires, devenue l’épouse et l’étendard d’un bourreau. Pourtant «des offres» lui ont été faites pour quitter la Syrie. Ce qu’elle dit avoir toujours refusé. «J'ai eu l'occasion de quitter la Syrie, de fuir la Syrie. Ces offres incluaient des garanties de sécurité et de protection pour mes enfants, même une sécurité financière.» Mais elle est restée et la romancière en moi se demande quelle est la vraie histoire derrière ce discours de langue de bois, où l’on imagine des espions, des émissaires étrangers et autres obscurs personnages. Epouse complice ou prisonnière ? L’histoire nous le dira peut-être.

A l’autre bout du spectre, c’est une première Dame autrement plus charismatique, plus positive qui m’a marquée cette semaine. Michelle Obama a donné un discours saisissant, prouvant qu’être l’épouse d’un président ne se résume pas à jouer les objets décoratifs et à sourire bêtement. Le 13 octobre, dans un «discours de Manchester» déjà rentré dans l’histoire, la femme de Barack Obama a montré l’animal politique qui dort en elle. Eloquente, vibrante, émouvante, elle a conquis les esprits et les cœurs en critiquant sans ambages le sexisme de Donald Trump, candidat républicain à la Maison Blanche.

Frémissante, habitée, elle a dit tout haut ce que des millions de femmes pensent: «Assez c’est assez. Cela m’a ébranlée au plus profond de moi, d’une manière que je n’aurais jamais imaginé.» Intellectuels, artistes, militants ou citoyens ordinaires: ils ont été des centaines à manifester leur émotion et leur adhésion sur les réseaux sociaux. De là à laisser penser que Michelle Obama pourrait un jour soulever l’enthousiasme de tout un peuple et briguer le fauteuil qu’a occupé son mari, il n’y a qu’un pas. Car on sait qu’aux Etats-Unis, pays qui n’eut jamais de roi, on n’en aime pas moins les dynasties.

Par Leila Slimani
Le 20/10/2016 à 11h00