L'éclairage de Adnan Debbarh. Réformes et nouvelle citoyenneté

Adnan Debbarh.

Adnan Debbarh. . khalil Essalak / Le360

ChroniqueLes difficultés que rencontre le gouvernement dans la mise en place des nouvelles réformes sont dues à sa «réticence» à redéployer sa communication, afin d’acter le passage à une nouvelle culture citoyenne. Moderniser l’économie et rendre notre société plus inclusive et solidaire exige une attitude positive de tous face à l’Etat et à l’impôt.

Le 25/11/2022 à 13h38

Le débat actuel sur certaines dispositions fiscales touchant les professions libérales n’aurait-il pas pu être évité ou du moins largement vidé de sa teneur agressive si le gouvernement avait pris les devants il y a quelques mois, pour expliquer aux différents contributeurs et à l’opinion publique ce à quoi on devait s’attendre? Il disposait d'une visibilité. Son engagement, répondant à une demande royale, d’initier et/ou parachever les réformes, dont la plus importante concerne la mise en place de la protection sociale, ne pouvait souffrir d’aucun doute possible. La décision politique était là. Il lui appartenait d’opérationnaliser rapidement les objectifs en établissant leur planification, les chronologies et surtout s’atteler à quantifier et rechercher les financements.

Intéressons-nous au point crucial du financement. Le nerf de la guerre, pour reprendre une formule usitée.

Nous étions plusieurs, depuis quelques mois déjà, à attirer l’attention sur le fait que les recettes fiscales actuelles ne peuvent suffire à assurer à l’Etat son train de vie, à amortir les effets de l’inflation importée, à faire face aux manques à gagner et aux aides occasionnées par la sécheresse, à engager des dépenses sociales nouvelles d’envergure et à maintenir l’investissement public à des niveaux acceptables. Les ambitions affichées dépassaient les moyens.

Le gouvernement, pour financer les réformes, pouvait soit recourir à l’endettement et léguer cette charge aux générations à venir, solution facile et quelque part immorale; soit faire l’effort de dégager des ressources nouvelles, stables et pérennes, de l’économie nationale, en élargissant l’assiette fiscale.

La situation de l’économie nationale permettait-elle la seconde option?

Un rapide coup d’œil sur la part des prélèvements de l’Etat sur la richesse produite par l’économie annuellement, ce que les économistes appellent la «pression fiscale», actuellement de 25% y compris les dérogations, nous a rassuré sur la disponibilité de moyens additionnels. Pour les économies comparables à la nôtre, la pression fiscale supportable se situe autour de 33%. Au vu de la situation des agrégats macro-économiques, la possibilité de prélever 100 milliards d’impôts supplémentaires de l’économie existe, les experts du Fonds Monétaire International recommandent même un montant supérieur, sans que cela n’engendre des déséquilibres dans le circuit économique. Mieux encore, celui-ci sera revigoré, par la réinjection rapide des supposés 100 milliards qui contribueront à booster la consommation.

Qui devrait payer ces 100 milliards supplémentaires? Pas ceux qui payent déjà leur dû. Ils n’ont pas à s’inquiéter. Que le patron des patrons soit rassuré, lui dont les récentes sorties suscitent interrogations et alimentent les confusions. Sont concernés les «nouveaux arrivants», ceux qui ne payent pas les impôts (les fraudeurs) ou en payent très peu.

C’est de l’élargissement de l’assiette globale dont il s’agit.

Revenons à l’action du gouvernement au cours de sa première année, pour avancer quelques questionnements.

Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas fait preuve d’anticipation sur ce volet financement? Avait-il réellement l’intention de recourir à l’élargissement de l’assiette fiscale et non à l’emprunt? Une fois informé de l’ampleur des besoins en financement et la décision de recourir à l’impôt s’étant imposée, vers mai/juin, croyait-il que ses propositions allaient «passer comme une lettre à la poste» lors du débat qui accompagne le PLF?

N’était-il pas judicieux d’essayer d’emporter l’adhésion, à temps, des professions libérales en leur expliquant la portée économique et sociale des réformes engagées. D’abord en termes de croissance de chiffre d’affaires pour eux; ensuite l’impact des réformes sur le développement, la stabilité politique et sociale du pays; enfin les informer de l’importance de leurs coûts financiers? Leur signifier que le pays a besoin qu’ils contribuent désormais à hauteur de leurs revenus réels? Et qu’ils fassent preuve de reconnaissance à l’égard de l’Etat qui les a laissés tranquille côté imposition jusqu’à présent? Bref, leur tenir un discours nouveau, direct, et éminemment politique envers ceux qui, n’en doutons pas, ont les qualités intellectuelles requises pour comprendre. Libre à eux ensuite de soutenir ou de s’opposer aux réformes...

Autre questionnement. Pourquoi le gouvernement a-t-il donné l’impression de se focaliser sur les professions libérales? A cause de leur capacité à surréagir? Sont-elles les seules concernées? Il est évident qu’au vu de la taille de notre économie (avec un PIB à 1.335 milliards de dirhams) leurs activités ne peuvent générer 100 milliards de dirhams de recettes fiscales. Il y a bien d’autres secteurs qui échappent à l’impôt, ou fraudent.

Peut-être serait-il opportun, dans la perspective de moderniser notre économie et la rendre plus transparente, de faire appel, encore une fois, à l’expertise statistique, et aux capacités de recensement terrain du Haut-Commissariat au Plan?

Pour conclure, disons que sur la gestion du dossier de l’élargissement de l’assiette fiscale, le gouvernement a fait preuve de beaucoup d’hésitations, confirmant l’impression d’un retard de compréhension dans l’air du temps.

Payer l’impôt est un acte citoyen. C’est une contribution économique ayant une portée profondément politique. Un signe d’adhésion à la communauté et un marqueur de confiance dans les institutions.

L’Etat marocain, au cours de sa longue histoire, l’a toujours considéré ainsi. Cela n’exclut pas qu’il ait utilisé l’instrument fiscal pour favoriser certaines tribus sur d’autres ou certains territoires sur d’autres, au gré des conjonctures et allégeances politiques. Cette tradition s’est maintenue même à notre époque récente, où les incitations, dérogations, voire exonérations, ont souvent été utilisées. Aujourd’hui, les temps ont changé. La modernisation du pays a besoin de la contribution pécuniaire de l’ensemble des citoyens. Il s’agit de renforcer notre front intérieur pour mieux se préparer à d’éventuelles menaces externes. Toute hésitation de la part du gouvernement et des contribuables serait, à notre humble avis, malvenue.

Par Adnan Debbarh
Le 25/11/2022 à 13h38