L'éclairage de Adnan Debbarh. En quête d’un meilleur positionnement pour l’investissement privé

khalil Essalak / Le360

Les architectes de la nouvelle Charte de l’investissement ont vu juste en combinant l’approche sectorielle et territoriale du développement économique. Il reste au gouvernement à compléter cette offre, en déclinant la meilleure stratégie à même d'inciter le capital privé à s’impliquer davantage dans l’investissement productif national.

Le 06/11/2022 à 08h57

Le gouvernement souhaite aller vite sur le dossier de l’investissement privé, conscient au plus haut degré des enjeux en termes politiques, de croissance et de création d’emplois. Quelques semaines après l’adoption de la Charte d’Investissement, commande a été passée d’une étude stratégique sur les déclinaisons de la vision retenue.

Avant de s’essayer à quelques éclairages sur le sujet et afin de mieux le situer, avançons quelques questionnements sur les objectifs chiffrés de l’investissement.

L’engagement du gouvernement est de porter la part de l’investissement privé à hauteur de 50% de l’investissement national (public + privé) pour 2026.

Rappelons que le budget général de l’Etat prévoit pour l’exercice 2022 un investissement de 245 milliards de dirhams, celui de 2023 table sur un objectif de 300 milliards de dirhams.

Avec une croissance similaire, soit 22.5% par an, l’investissement public devrait atteindre dans le budget 2026 la somme de 550 milliards, ce qui porterait l’investissement national pour l’exercice 2026 à 1.100 milliards, en y ajoutant les 50% du privé. Chiffre très optimiste, même pour une année électorale! A moins que le gouvernement n’ait opté pour un passage de témoin au secteur privé dans le domaine de l’investissement et compte réduire le volume des investissements étatiques à partir de 2024. Un scénario envisageable, qui peut avoir un double objectif: la réduction du recours par l’Etat à l’endettement pour investir et l’utilisation de la montée en puissance des recettes fiscales pour financer des dépenses régaliennes et sociales en hausse.

La question qui se poserait alors est la suivante: est-on arrivé à un niveau suffisant de développement pour réduire la voilure de l’investissement public? A voir... Sur ce sujet, comme sur d’autres, on ne peut que regretter le caractère incomplet de la communication gouvernementale, ce qui nous oblige à élaborer des scénarios. Il aurait été souhaitable de préciser 50% de quel montant.

Revenons au confort des études et de la stratégie. L’étude du ministère de l’Investissement comprendrait «trois phases: diagnostic, déclinaison des stratégies sectorielles et des stratégies territoriales de l’investissement privé», l’ensemble en harmonie avec les futures mesures incitatives incluses dans la Charte de l’Investissement. Aucune information sur la date de publication n’a filtré. Elle aurait été la bienvenue pour marquer encore plus la sensibilité à l’urgence du chantier.

Estimons-nous heureux, c’est le cas du moins de votre serviteur, d’avoir eu droit à l’utilisation par le gouvernement d’une approche économique moderne que nous allons contextualiser et interroger, dans l’attente du document.

L’investissement productif a besoin en premier lieu de visibilité: dans quel secteur investir? En deuxième lieu, de soutiens, qui lui assurent la compétitivité au commencement. En troisième lieu, de marchés, lui permettant d’écouler sa production. On s’en doute, à mesure que notre pays avance, la contrainte de la commercialisation a pris le pas sur la production, cette dernière est devenue à la portée, à condition d’investir dans la formation des ressources humaines.

L’engagement du Maroc dans la mondialisation, la signature de dizaines d’accords de libre-échange a élevé le niveau et le nombre des barrières à l’entrée pour l’investissement productif (en normes de qualité et prix de revient). Le renchérissement de la logistique et la dispersion des chaînes de valeurs ont impacté de manière négative la compétitivité des pays ne disposant pas de tissus industriels denses: c'est le cas du Maroc.

L’option «écosystème», en permettant de «ramasser» la plupart des intervenants de la chaîne de valeurs sur un même site, permet de dépasser ces contraintes. Toutefois, bien que très séduisante et ayant permis à beaucoup de nos industriels actuels et futurs d’élargir leurs horizons intellectuels, en suivant de près les expériences étrangères installées chez nous, elle doit être bordée d’une série de mesures de préférence nationale à même d’assurer la participation réelle du capital local à la production. Il y a des leçons à retenir de l’expérience automobile (cf. analyse de l’AMICA) et aéronautique. L’appel dans le futur à d’autres «locomotives» pour la construction de nouveaux écosystèmes doit inclure la conditionnalité de participation maximale de PME éligibles appartenant à des Marocains.

Il était temps pour les concepteurs de nos programmes de développement de porter aux territoires l’attention qu’ils méritent. Chaque territoire a sa vocation, qu’il s’agit d’identifier et de mettre en valeur. Enorme gisement de richesses, aux particularités, surtout si convenablement protégées et exploitées, moins sensibles à la concurrence externe.

La territorialisation «approche des politiques publiques qui met l’accent sur les spécificités de chaque territoire» requiert de l’Etat deux choses: une exigence d’organisation plus complexe que les politiques sectorielles et la gestion d’un nombre d’acteurs autrement plus important. Il faut d’abord le pilotage, une mission dévolue aux Centres régionaux d’investissement, appelés à se renforcer en compétences (cf. rapport de la Cour des Comptes).

Ensuite la volonté de l’administration centrale à laisser libre cours à la subsidiarité; une cohérence dans les programmes de développement; des élites politiques régionales et locales aidées par l’administration territoriale, aptes à agir comme force de frappe d’un management territorial. Enfin la mise en réseau et l’appui à la PME et TPE du territoire concerné, sans oublier d’impliquer les instituts de formation. Vaste chantier demandant moyens, compétences et temps. Inutile de rappeler que l’expérience italienne dans ce domaine peut être d’une grande utilité.

L’Etat permet au capital national de prendre son envol, de gagner en autonomie et en maturité, en lui assurant l’encadrement et le soutien. C’est une décision historique.

Formulons l’espoir qu’il saura se montrer à la hauteur des attentes, pour son propre intérêt d’une part, la modernisation et le bien-être de notre pays d’autre part.

Par Adnan Debbarh
Le 06/11/2022 à 08h57