L'éclairage de Adnan Debbarh. La CGEM et les grands chantiers économiques nationaux

Adnan Debbarh.

Adnan Debbarh. . khalil Essalak / Le360

Rôle accru dévolu à l’investissement privé, nouvelles politiques sectorielles et territoriales en cours d’élaboration, élargissement de l’assiette fiscale, protection sociale plus importante, choix énergétiques pour l’avenir… Voilà quelques thèmes qui devraient interpeller la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM).

Le 12/11/2022 à 10h33

Alors que le monde traverse une crise géopolitique et économique majeure qui a, ce n’est un secret pour personne, des répercussions sur notre pays et son économie, alors que le Maroc initie avec courage des réformes structurantes qui impacteront le futur de son système productif et donc en premier lieu ses entreprises, l’organisation qui ambitionne de «représenter et défendre le droit des employeurs et des entreprises du Maroc» se contente d’une contribution à minima dans le débat public.

Pourtant, toujours en poursuivant la lecture de ses statuts, rien ne justifie ce manque d’entrain. La Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), après avoir défini sa mission, à savoir «porter la vision d’un développement soutenu et durable, producteur de valeur et d’emplois pérennes», réclame le rôle de partenaire du public «dans les étapes de déploiement, de pilotage et d’évaluation des stratégies de développement économique». Agit-elle conformément aux ambitions affichées?

D’aucuns considèrent cette discrétion voulue. La surexposition médiatique étant contreproductive quand on cherche à obtenir des avantages catégoriels d’une administration organisée en silo. Une administration qui n’aime pas beaucoup communiquer. D’autres, plus sévères, évoquent un renoncement à porter haut la voix de l’entreprise, dû à de la frilosité et à une absence de vision. La dernière sortie de l’organisation patronale s’est contentée d’aligner 14 revendications fiscales et la demande pressante de servir l’aide publique avant la réalisation de l’investissement et non après. De quoi rester sur sa faim. Pratiquement aucune contextualisation, aucun enrichissement du débat public. Ce n’est certainement pas à défaut de profils pointus. Cette organisation en dispose parmi ses adhérents.

La rentrée politique a été d’une exceptionnelle richesse cette année, axée sur des thèmes qui intéressent au plus haut degré l’entreprise. Il aurait été souhaitable qu’on puisse ne pas se contenter de messages de soutien de la part de la CGEM, mais d’un exposé plus circonstancié sur la manière dont le secteur privé entend répondre à l’invite de l’Etat à prendre le leadership de l’investissement national. Qu’est-ce qui empêche l’organisation patronale de mettre au travail ses fédérations sectorielles et ses unions régionales pour identifier les nouvelles opportunités d’investissement? N’est-il pas plus judicieux de s’adresser d’abord aux entrepreneurs pour nous indiquer les failles dans les chaînes de valeurs de leurs secteurs et comment les compléter afin de rendre notre offre économique nationale plus compétitive? Pourquoi attendre d’un Centre régional d’investissement ne disposant pas encore de suffisamment de compétences qu’il nous «déniche» les opportunités d’investissement dans un territoire, alors que nous disposons d’Unions régionales, installées depuis longtemps, censées connaître la vocation de leurs régions, ayant participé à l’élaboration de Plans de développement régionaux et disposant des réseaux nécessaires? Le top management de la CGEM peut être aussi mis à contribution pour nous éclairer sur les nouveaux métiers à développer dans notre pays, sur les souverainetés économiques à construire et les financements les mieux adaptés. Bref il est souhaitable qu’il nous fasse part de son analyse, de sa vision. Est-ce trop demander aux chefs d’entreprises? Du tout. Lauréats de grandes écoles et/ou disposant de vastes expériences, ce qui leur confère la capacité d’analyse et de mise en perspective, ils sont tout indiqués pour ce travail.

Faut-il laisser l’initiative au gouvernement dans tous les domaines? Dans sa majorité, le secteur privé ne peut continuer à évoluer indéfiniment sous la jupe du secteur public, client et protecteur. Aujourd’hui, il est appelé à prendre son autonomie, c’est aussi le désir de l’Etat.

Il est difficile de sortir du tutorat, habitude difficile à délaisser. On préfère déléguer au décideur public. Nous l’avons encore remarqué dernièrement, à l’occasion de l’élaboration de la Charte de l’investissement: la participation du secteur privé n’a pas été très visible. Certains patrons ont avancé comme justification un manque d’écoute de la part du gouvernement. Question: pourquoi ne pas mettre les médias à contribution et se faire entendre par d’autres moyens?

Autre exemple de chantier où la CGEM a brillé par sa discrétion: l’élargissement de l’assiette fiscale a été un leitmotiv de l’organisation patronale depuis des décennies. Pourquoi ne pas prendre position sur le débat actuel? Crainte de se mettre à dos le gouvernement ou certaines professions libérales? Comment ne pas prendre position sur la tentative du gouvernement, peut-être contestable dans la forme, d’élargir l’assiette et demander concomitamment des baisses de taux pour l’entreprise? N’est-ce pas un manque de cohérence?

Autre occasion ratée d’améliorer l’image de la CGEM dans l’opinion public: la non-mise en avant, chaque année, des emplois créés par le secteur privé et du rôle de celui-ci dans le financement de la protection sociale. Doit-on rappeler que la valeur ajoutée créée par une entreprise est partagée entre le capital et le coût de financement, l’employé et l’Etat? N’est-il pas temps de rappeler à notre jeunesse attachée aux emplois publics que le principal employeur et contributeur (IS+IR) dans ce pays demeure le secteur privé?

A vouloir se faire trop discret on s’autoexclut. Rien ne saurait justifier la non-participation du secteur privé au débat actuellement en cours, dans une discrétion inquiétante, sur nos choix énergétiques futurs. Allez exclure de ce débat les entreprises allemandes dans leur pays! Nos entreprises doivent avoir leur mot à dire sur le mix électrique et énergétique. Sur l’opportunité environnementale et compétitive qu’offre l’utilisation des énergies renouvelables et du nucléaire civil. Par opposition à l’utilisation du charbon pollueur et cher.

Nous avons hérité de notre histoire, quelque peu tourmentée, la culture que toute participation au débat public peut être interprétée comme une forme de contestation. Ce sentiment doit être banni. Notre pays a besoin de l’ensemble de ses énergies positives et de ses forces de propositions pour aller de l’avant.

Les contributions de votre serviteur ont la prétention de s’inscrire dans cette ligne.

Par Adnan Debbarh
Le 12/11/2022 à 10h33